C’est la question que nous nous sommes posée en mai dernier lors du week-end parisien organisée par l’association «Grimpeuses », créée par la grimpeuse pro Caroline Ciavaldini, 38 ans, ex compétitrice de haut niveau, soutenue par The North Face et la FFME. Deux jours de grimpe en salle à Nanterre puis à Fontainebleau. Mais aussi, et surtout peut-être, des ateliers techniques, des conférences et beaucoup d’échanges entre grimpeuses aguerries, pures débutantes et membres de l’équipe de France. Arrivée plutôt sceptique, notre journaliste (femme) en est revenue avec quelques courbatures et une conviction en plus : ensemble les filles se marrent bien, grimpent sans complexe et parfois plus fort. Même si c’est presque un détail dans une organisation qui prône avant tout l’épanouissement des femmes… notamment par la grimpe.
Il fallait être sacrément motivée fin mai pour filer au fin fond de Nanterre, en banlieue parisienne, un samedi matin, 9h30, pour rejoindre les filles de « Grimpeuses », réunies pour leur premier événement parisien. La suite logique des sessions organisées depuis quelques années dans le Gard et dans le massif des Ecrins. Et pourtant elles sont une centaine à s’être levées à l’aube, à avoir enchaîné métro et RER, voire pour certaines venues de très loin, à avoir dormi dans leur voiture faute de moyens, pour monter les marches de l’ex usine de papier transformée en une gigantesque salle d’escalade, l’une des dernières nées d’Arkoze Nanterre. Autour, des immeubles de bureaux vides, le prolongement « vert » du quartier d’affaires de La Défense. Flambants neufs, ils n’attendent plus que les employés. De potentiels clients pour la salle qu’on imagine décompresser entre deux dossiers, le temps d’une séance.
En attendant, une joyeuse foule de filles a envahi les lieux. Des pros, des grimpeuses D.E, et même des membres de l’équipe de France, Agathe Calliet, Flavy Cohaut, Solenn Piret ou Manu Cornu, mais également des débutantes de tous les âges et tous les milieux sociaux – les tarifs sont volontairement très modiques – curieuses de voir ce que c’est que l’escalade. La moitié d’entre elles s’est décidée en découvrant les posts annonçant l’événement sur Instagram. D’autres en ont entendu parler dans les salles qu’elles fréquentent occasionnellement ou avec assiduité pour les plus passionnées. Certaines ont des copains, des maris qui grimpent, très bien parfois. Alors, s’y mettre aussi, elles ? Pourquoi pas. Mais comment trouver le temps entre son job, la maison, les enfants ? Comment oser se lancer, en salle comme en falaises, où les hommes dominent ?
Deux événements annuels, bientôt trois peut-être
Faux problème, diront certains, et c’est d’ailleurs plus ou moins ce que pensait il y a une dizaine d’années Caroline Ciavaldini, grimpeuse pro, vice-championne de France 2010, quand elle est invitée en Angleterre au Women’s Climbing Symposium (WCS).« C’est quoi cet évènement féministe, on n’en a plus besoin ! se dit-elle alors. Mais elle en ressort étonnée : « Il s’était passé un truc ! Je n’avais pas l’habitude de cette ambiance entre filles, très différente de la mixité, voire de la majorité masculine que je connais dans le milieu de l’escalade. A l’époque il y avait zéro mouvement féministe dans le monde de l’escalade, donc j’ai créé « Grimpeuses » en 2018, en utilisant l’orga du WCS qui m’a aidé à lancer la première édition.
Parmi les coaches, une jeune grimpeuse prometteuse, Coralie Havas, 17 ans à l’époque. Passionnée, elle va fortement s’impliquer aux côtés de Caroline (et rejoindre plus tard la rédaction d’Outside, ndlr). Ensemble elles vont passer d’un événement, à deux. L’un dans le Gard, l’autre à Ailefroide dans les Ecrins. Paris est pour elles une première. Aujourd’hui, elles sont huit, toutes bénévoles, à animer un évènement qui ne cesse de prendre de l’ampleur. Aux rencontres biannuelles s’ajoutent déjà des micro events, mais aussi des stages plus techniques, en associations pour certains avec la FFME.
Car la demande est là. 100 grimpeuses à Paris, il y a deux semaines, et déjà les inscriptions se remplissent pour la prochaine session organisée les 15 et 16 juin à dans les Ecrins. Caroline et Coralie s’en étonnent un peu mais veillent à ce que le nombre de participantes reste gérable dans ces espaces naturels protégés, l’association prônant une pratique plus responsable de l’escalade. Et surtout qu’au-delà des initiations ou perfectionnements techniques qu’attendent les grimpeuses, elles puissent échanger entre elles, partager leurs expériences. Et, pourquoi pas, créent ici de solides amitiés, de celles qui vous portent et vous donnent envie de tenter l’aventure, en falaise ou ailleurs.
Adultes, les grimpeuses abandonnent souvent leur passion, faute de temps pour elles
« Ici, les filles ont toutes les morphologies, tous les niveaux aussi, mais elles aiment grimper, », explique Caroline. « On n’est pas du tout dans la recherche du haut niveau. Je m’en fous du haut niveau, que les filles grimpent en 5a ou 8a. L’ objectif, c’est que les filles échangent. Ce n’est pas le cas de tous les events d’escalade féminins. Pour nous, l’escalade est un prétexte pour se développer à travers notre passion. » Et pour la poursuivre toute une vie. Ce qui est loin d’être gagné, poursuit-elle. « 47% des licenciés en escalade sont des filles. Mais la réalité est plus complexe. Les petites filles sont plus nombreuses que les petits garçons, mais, adultes, elles décrochent. Pourquoi ? Parce que ce sont des femmes ! Sans tomber dans la caricature, c’est vrai qu’une fois adultes, elles s’accordent peu de temps à leurs passions. Boulot, famille… plus de temps pour elles. C’est une des raisons pour laquelle j’ai démarré « Grimpeuses » : je voyais mes copines disparaitre derrière leur vie de famille, parce qu’elles pensaient qu’il valait mieux que leurs mecs gardent du temps pour leur passion à eux. Pour elles, ce n’était pas grave ! Il faut faire évoluer les mentalités ! »
C’est précisément ce que « Grimpeuses » entend poursuivre. Alors bien sûr, au cours de ces deux jours de découverte ou de perfectionnement les grimpeuses ont eu la chance de grimper sous l’œil bienveillant des coaches en salle, mais aussi, le lendemain à Fontainebleau, mais on a pu les voir aussi assister à des conférences ou participer à des débats sur « La place de l’ego dans l’escalade : comment travailler avec la compétitivité d’une façon plus saine », « La place de la femme dans l’univers de l’escalade » ou sur une « pratique responsable de la grimpe ».
Trouver sa place, gagner en autonomie et en confiance
Des échanges souvent animés, émouvants parfois, comme lorsque cette jeune grimpeuse raconte qu’elle a du mal à se consacrer à ses propres projets d’escalade parce que son copain la monopolise : « il tient toujours à ce que je le regarde », confie-t-elle. « Viens grimper avec moi », lui lance une autre participante, laisse le grimper sous les yeux de ses potes ! Et cette autre, condamnée à s’ennuyer ferme au pied de la falaise, faute d’avoir encore le niveau dont elle était si fière avant la naissance de ses enfants. « Mon compagnon choisit toujours des voies trop dures pour moi maintenant », raconte-t-elle. Un discours qui étonne les grimpeurs présents lors de ce débat sur « grimper en couple ». Parmi eux, Siebe Vanhee et James Pearson, respectivement compagnons de Maria Mayor et Caroline Ciavaldini. Deux grimpeurs de très haut niveau qui ne cachent pas leur admiration pour leurs compagnes, brillantes elles aussi.
Ces témoignages masculins sont précieux. Car si les hommes ne participent pas aux ateliers techniques, afin de laisser les filles grimper seules, les conjoints sont les bienvenus sur les sites en mode « grimpe libre » (hors ateliers coachés). Une présence masculine qui s’est imposée progressivement, faisant taire les commentaires parfois très critiques qui ont accueilli « Grimpeuses « à son lancement. Cet après-midi là, au cœur de la forêt de la Fontainebleau, ces échanges semblent avoir ouvert des perspectives à plus d’une mais aussi plus d’un grimpeur.
Ils nous auront surprise aussi. On comprend mieux désormais ce que les filles de « Grimpeuses » veulent dire lorsqu’elles écrivent sur leur site : « nous sommes convaincues que les stages en mixité choisie (à destination des grimpeuses) favorisent l’apprentissage, le développement de compétences, et surtout l’empowerment, permettant ainsi aux femmes de sentir plus à l’aise dans leurs prises de décision et dans leur confiance en elles dans un environnement en mixité. »
Photo d'en-tête : Loic Lemahieu