Les images de la vidéo diffusée hier sur Twitter laissent sans voix : des bouteilles d’oxygène vides, des monceaux de tentes en lambeaux, des cordes, sans parler des déchets humains. Le camp IV – l’avant dernier avant l’assaut final vers le sommet tant convoité – n’est que désolation. Or là, à 7950 mètres, il y a peu de chances que les équipes de Sherpas envoyées chaque année pour « nettoyer « le toit du monde puissent faire grand-chose. Tant elles ont déjà à faire au camp de base. Pourtant des solutions existent.
« Toujours plus d’alpinistes attendus sur l’Everest ce printemps », écrivions-nous le 28 avril dernier. Et toujours plus de déchets, aurions-nous pu ajouter dans la foulée. Car qu’attendre de l’affluence qui cette année encore bat tous les records sur le toit du monde? Avec 463 permis délivrés – au 26 avril – le gouvernement népalais, a encore fait monter le curseur cette saison en accordant 55 précieux sésames de plus qu’en 2021, année qui avait enregistré le plus de prétendants au sommet, et 138 de plus qu’en 2022 ! Histoire sans doute de compenser le manque à gagner de 2020, année blanche s’il en fut pour le Népal durement frappé par la pandémie. Mais à quel prix ? En ouvrant grand les portes de l’Everest à 463 candidats au sommet dont 325 étrangers ( notamment 96 Chinois, 87 Américains, 40 Indiens et 13 Français), c’est toute une cohorte lourdement équipée qui s’y attaque et y laisse des traces.
🚨🏔Bouteilles de gaz abandonnées, tentes déchirées et détritus par milliers… La semaine dernière, le camp 4 de l’Everest (alt 8050m) a été transformé en déchèterie géante après le passage des expéditions. Terrifiant et affligeant, tout simplement (credit:Tenzi Sherpa) #Népal pic.twitter.com/wCxQslA1Pb
— the_8000m (@8000mThe) May 29, 2023
Début avril le gouvernement népalais estimait en effet qu’entre 30 et 40 équipes d’alpinistes seraient présentes sur l’Everest cette année. Leur taille varie de deux à plus de cent personnes, auxquels s’ajoutent plusieurs dizaines de guides et des équipes de logistique. Des centaines de personnes qui pendant huit à trois semaines selon les méthodes d’acclimatation et la météo, doivent se nourrir, se loger et grimper, pour la large majorité avec une supplémentation en oxygène. Autant de sources de déchets dont la collecte est loin d’être simple.
Dans le viseur, l’Everest, mais aussi de nombreux autres « 8000 »
La première grande opération de nettoyage a été organisée en 1996 par l’Association d’alpinisme du Népal. Depuis, chaque année, à la veille de l’ouverture de la saison la plus propice aux ascensions dans la région, le Népal procède à un grand nettoyage de printemps, sans grand succès, vu l’ampleur du désastre… et l’augmentation du nombre de permis accordés ! En première ligne, l’Everest bien sûr, mais aussi, c’est nouveau, cinq autres montagnes, victimes de leur succès.
En 2019, pas moins de 14 Sherpas étaient ainsi mobilisés pour cette opération. Ils avaient redescendu du camp de base 10 386 kg de déchets. En 2021, 43 soldats népalais accompagnés de Sherpas expérimentés ont été chargés d’enlever autant d’ordures que possible sur l’Everest, mais aussi sur le Lhotse, le Pumori, l’Ama Dablam, le Makalu et le Dhaulagiri. Le Makalu, le Dhaulagiri et le Lhotse font tous partie du club des 8000 mètres avec l’Everest, mais le Pumori et l’Ama Dablam – sommets d’entraînement devenus très populaires au fil des ans – ont été ajoutés à la liste car eux aussi étaient victimes de leur succès. Plus de 35 tonnes de déchets devaient en redescendre, dont environ 18 tonnes pour les seuls camps de base où l’on retrouve inéluctablement un amoncellement de matériel d’alpinisme : de la tente déchiquetée aux vêtements en passant par d’innombrables récipients et emballages, sans parler, bien sûr, des bouteilles d’oxygènes épuisées abandonnées en haute altitude. Une opération qui avait coûté près de 89 000 euros, supportés à la hauteur de 70 000 euros par le ministère des Forêts et de l’Environnement, le solde étant pris en charge par l’armée népalaise, selon The Himalayan Times.
Des bouteilles d’oxygène et une montagne d’excréments
Coûteux, mais peu efficace : une goutte d’eau face à un tsunami d’ordures accumulées au camp de base, le plus fréquenté bien sûr par les centaines d’alpinistes et les milliers de trekkeurs, mais plus haut aussi, sur les trois autres camps menant jusqu’au sommet, y compris au dernier, le camp IV, situé à près de 8000 mètres. Et ceux qui y parviennent tombent littéralement sur un dépotoir. Ici, comme 3000 mètres plus bas, quantité des déchets, bien visibles sur les images diffusées hier sur Twitter, mais aussi, certains l’ignorent, une montagne d’excréments qui, à cette altitude, ne se dégradent pas. Ils s’envolent ou s’enfoncent dans les roches. Or, à ce jour, seules quelques équipes de grimpeurs occidentaux commencent à utiliser des sacs pour redescendre leurs résidus corporels, une pratique semblable à celle qui a été mise en place récemment dans la région du Denali en Alaska.
Certes depuis 2014, le gouvernement népalais exige un dépôt de 4.000 dollars par groupe d’alpinistes, qui leur est remboursé si chaque grimpeur rapporte de son expédition au moins huit kilos de déchets. En parallèle, une taxe payée par chaque alpiniste individuellement a été instaurée pour financer le ramassage des ordures sur les plus hautes pentes, mais il est de notoriété publique que la réglementation est peu appliquée par le Sagarmatha Pollution Control Committee, l’organisme qui gère le versement de la somme, et les amendes rarissimes, par peur sans doute d’effaroucher les précieux pourvoyeurs de devises, et certaines équipes laissent encore des ordures dans les camps situés en haute altitude, notamment au camp IV, où il n’y a aucun contrôle. Or à près de 8000 mètres, comme au camp de base, il semble que certains alpinistes se soucient plus de rapporter des selfies que leurs déchets et les tours opérators d’enchaîner les ascensions en redescendant aussi légers que possible.
Photo d'en-tête : Tenzi Sherpa