Cinq à sept mois par an, Brice Delsoullier, 42 ans, athlète de haut niveau et berger, monte, seul, en estive, dans la montagne ariégeoise. Un paradis de 5000 hectares, situé entre 1500 et 3000 mètres d’altitude où il marche huit à dix heures par jour pour offrir à ses 400 vaches l’herbe la plus savoureuse. Il y court aussi, beaucoup, longtemps, jusqu’à l’épuisement sur des pentes raides, des crêtes escarpées, des terres rocailleuses et inhospitalières. Sa façon à lui de préparer ses compétitions de skyrunning, rares liens avec une société qu’il fuit, en quête de paix, de silence et d’absolu. Un beau documentaire de 53 minutes, réalisé par Sandrine Mörch, à découvrir jusqu’au 15 novembre.
C’est un rendez-vous qu’il ne manquerait pour rien au monde : l’estive. Ce moment, où au printemps, aidé de son père et de quelques amis, Brice Delsoullier quitte Saint-Frajou en Haute-Garonne et part en montagne. Avec lui, ses deux chiens et son troupeau de vaches gasconnes. De vigoureuses montagnardes qu’il conduit pour la saison vers les plus beaux pâturages nichés entre 1500 et 3000 mètres d’altitude. Pour les atteindre, il faut marcher longtemps, les guider le long de sentiers étroits et très escarpés, les encourager à passer les torrents glacés, sans qu’elles ne se blessent où s’affolent. Là-haut les attend l’air pur, l’immensité des Pyrénées et la réglisse tendre, leur herbe préférée. Arrivés à la cabane de 6 mètres carrés, tous soufflent. Un bout de saucisson, un verre de vin rouge et déjà les aides de Brice s’éloignent, en route vers Foix, la ville la plus proche, située à trois heures de marche. Dès lors seuls quelques éleveurs venus compléter son troupeau de 400 vaches, viendront troubler la solitude du berger. Et c’est seul, sans portable ni ordinateur, avec pour compagnons Giono ou Bukowski, que Brice va affronter ses longs mois de solitude choisie, désirée même. Longue parenthèse de vie, indispensable bulle, soupape de sécurité, pour un homme qui décidément ne se fait pas à notre société, à ce « monde en furie », dit-il.
Plus de vingt ans que ça dure, vingt ans où, levé à 5 heures et couché à 22 heures, « il n’emmerde personne et où personne ne l’emmerde », et il ne voit pas comment il pourrait en être autrement à l’avenir, lui qui ne s’accorde qu’une seule concession à son quotidien de vacher : le trail. En solitaire, dès qu’il peut mettre son troupeau à l’abri des intempéries et des ours, moments bénis où il chausse ses vieilles baskets et file vers les sommets, dévalant les sentiers les plus raides, son point fort, ivre de vitesse, jouissant de la puissance d’un corps affuté par l’effort quotidien. Une passion aiguisée par un esprit de compétition surprenant chez ce reclus volontaire, qui n’hésite pas à abandonner quelques heures son troupeau le temps d’une course, pour se frotter aux meilleurs athlètes du skyrunning et s’y faire une place. A l’époque du tournage, en 2016, le traileur s’imposait parmi les 6 meilleurs français et les 20 meilleurs mondiaux. L’année précédente, en 2015, ses exploits sportifs lui permettaient d’intégrer l’équipe de France de course en montagne. Depuis, à 42 ans, il continue de courir, de performer, soutenu par quelques sponsors maintenant, séduits autant par ses performances que par sa personnalité.
Brice n’est pas le seul berger à s’illustrer sur la scène du trail. Yann Mondot, « le berger des Esclops d’Azun », dans les Pyrénées, s’y est aussi fait un nom. Sans parler du Catalan Michel Rabat, vigneron, maraîcher et arboriculteur. Mais Brice Delsoullier, avec sa tignasse bouclée en bataille, son petit accent et son regard profond sait capter son auditoire, en philosophe, poète, esthète et militant. Un peu écorché vif, lui qui ne concède à la ville et à sa compagne, Catherine, que quelques mois par an, est devenu berger après des études de langues à Toulouse, quelques boulots, un peu de bourlingue. Sa mère, guide interprète, l’aurait bien vu dans la littérature ou l’art, mais c’est la voie de son père, citadin venu à la campagne et à l’élevage, dans les années 60 qu’il suit. Grâce à eux, très tôt il prend goût à la liberté. Et en choisissant de prendre le chemin de l’estive et de défendre l’élevage traditionnel, il creuse encore ce sillon et affine un discours très structuré qui parlera à plus d’un.
Une vie hors du monde mais pas solitaire dont la réalisatrice Sandrine Mörch, ex journaliste de guerre, a su saisir toute la richesse à l’issue de deux ans de tournage. Seul bémol, qu’on lui pardonnera tant cette rencontre avec ce berger traileur est passionnante : pourquoi avoir affadi son film avec un voix off aussi plate ?
Livre, TED Talk, pour en savoir plus sur Brice Delsoullier
Dans « Des nuages plein la tête », paru en mai 2018, aux éditions Michel Lafon, le pâtre traileur, amoureux des mots, se livre plus encore. Un titre également disponible en format poche aux éditions du Point.
L’année suivant cette parution, c’est sur la scène des TED talks, devant 800 personnes rassemblées à Toulouse, qu’on le retrouve, en poète militant. Onze minutes chargées d’émotions qu’il conclut en ces termes : « Etre simple, c’est une question d’esthétique, de vie, de mort. Alors aux armes !
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