Surf en Méditerranée

Film « Demain, ça rentre » : surfer en Méditerranée, c’est accepter un autre rapport au temps

  • 2 décembre 2024
  • 6 minutes

Oui, il est possible de surfer en Méditerranée ! D’octobre à mai, quelques passionnés attendent patiemment la houle… qui parfois n’arrive pas. « On va surfer… s’il y a des vagues ! » s’amusent les quatre protagonistes de « Demain, ça rentre », surprenant documentaire sorti en salle le 22 novembre. Le réalisateur Nicolas Loth livre un regard bienveillant et atypique sur cette passion dévorante dont il est revenu pour nous, dans cette longue interview.

« Les vagues de Méditerranée ? Vaste sujet » lance d’emblée l’un des protagonistes de « Demain, ça rentre », film dont le titre fait référence à l’arrivée soudaine et espérée de la houle. Quoiqu’il en soit, surfer en Méditerranée, c’est accepter un autre rapport au temps. Et ça, Thomas, Yann, Christophe et JD, les quatre surfeurs présentés dans le documentaire prêts à tout laisser derrière eux pour se retrouver à l’eau, l’ont bien compris. « On se met à l’eau dans des conditions où les mecs du Pays Basque diraient ‘mais attendez les gars, non’. Mais nous, non seulement on y va, mais surtout on est contents » poursuit-il. « Il y a cette attente, cette frustration mais aussi ce plaisir décuplé quand on est à l’eau. On n’a pas des réflexes d’enfants gâtés ». 

Pourquoi avoir réalisé un film sur le surf en Méditerranée ? 

C’est mon beau-frère qui m’a donné envie. Il est dans le film [JD, le sage qui, d’après la légende, fait monter la houle lorsqu’il se met à l’eau, ndlr]. Un jour, il m’a dit : « Avec ma bande de potes, on surfe ici, j’aimerais bien venir une fois avec toi ». Et comme c’est un peu un sauvage, ça ne s’est pas fait tout de suite. Alors un jour, j’ai insisté – et il m’a emmené. Je me suis retrouvé dans l’eau, en plein hiver avec lui, on n’était que deux à l’eau. J’ai éprouvé un énorme sentiment de liberté. J’ai tout de suite j’ai été piqué. Je me suis senti tellement bien dans l’eau, dans cet élément… Comme l’a dit Yann dans le docu : je n’étais pas sur terre. J’ai éprouvé une espèce de truc presque spirituel, ça m’a nourri intérieurement. 

Par la suite, JD m’a fait rencontrer Christophe, Thomas, et dans un troisième temps Yann [les autres protagonistes du film, ndlr]. Je les ai découverts petit à petit, me suis rendu compte que Christophe était écrivain, que Thomas avait un resto semi-gastro, et qu’ils jonglaient avec leur emploi du temps. […] Thomas, il va à 5h du mat’ checker les vagues, il se met à l’eau en pleine nuit… Ce genre de chose, ça n’a jamais été filmé. Alors j’avais très envie de mettre à tout ça à l’image : leur approche, de leur vie, et du surf. Christophe qui notait toutes ses sessions pour éviter les problèmes avec sa femme. Yann qui s’occupait de ses gosses. Les devoirs, la bouffe, avec toujours la vidéo de surf qui passe en boucle à la télé. […] Je me suis dit ça, en images, ça doit être chouette. Je voulais montrer leur quotidien à mes autres copains. 

Surf Méditerranée
(Surf en Méditerranée)

Finalement, ce n’est presque pas un film de surf. Du moins pas le genre de film de surf que l’on a l’habitude de voir. 

C’est exactement ce que je voulais faire. […] Au début je l’ai vraiment fait pour mes potes ce film. Et puis quand on a fait la projection intimiste entre nous, on s’est posé la question : est-ce que c’est susceptible de plaire à d’autres personnes que nous ? Sachant que ce n’est pas un film où on en prend plein les yeux. J’ai voulu faire un contre-documentaire, par rapport à ce qu’on voit généralement. Même si je suis également consommateur de vidéos, de films, très beaux, où t’as des ralentis magnifiques, où y’a une vraie part d’esthétisme. Et un gros côté spectaculaire. Sauf que ce n’est pas du tout ça qui m’intéresse dans la réalisation. Je préfère me concentrer sur les personnages, sur comment ils abordent un sport, comment ils vivent leur passion. Alors pour moi, ce n’est pas un documentaire sur le surf. Mais sur comment ces quatre personnages le vivent intérieurement.

Surf en Méditerranée
(Surf en Méditerranée)

Qu’est-ce qu’il t’a amené à adopter cette approche ? 

Je viens du monde du vélo à la base, dans le journalisme sportif. Les documentaires que l’on me proposait, à la télé ou autre, ce n’était pas du tout ce que j’avais envie de voir. J’étais plutôt sensible à l’émission Streap-tease [émission culte de la RTBF, ndlr]. Mais dans le vélo, il n’y avait pas ça en fait. Et ça m’énervait. Parce que j’ai beaucoup de mal avec le manichéisme, d’un côté il y a les bons, puis de l’autre il y a les méchants. Et dans le vélo, c’est beaucoup ça.

Par exemple, le Tour de France, ceux qui se sont fait choper au contrôle, qui ont été dopés, ils sont rangés, on les met au placard, on ne veut plus en entendre parler. Alors que moi, je me disais : « Mais derrière, il y a des êtres humains, qui ont une histoire ». J’avais envie de filmer, j’avais du matos, l’envie de raconter des histoires… J’ai donc créé avec un pote, journaliste, une association qui s’appelle La Bordure. Et on est partis sur des documentaires. On a en réalisé une dizaine de documentaires, tous bénévolement. En dehors de mon activité professionnelle, je partais avec ma caméra, avec mes potes, et puis on allait filmer des personnages un peu hors du commun, des personnages différents de ceux qu’on voit à la télé. J’ai créé un site, puis on a mis ça sur les réseaux sociaux. Ça a eu son petit succès dans le milieu du vélo. Ça a été un super formateur pour moi. 

Surf en Méditerranée
(Surf en Méditerranée)

Comment décrirais-tu l’expérience du surf en Méditerranée par rapport à celle d’autres spots plus réputés, tels que le Pays Basque ? 

Alors, je dirais que c’est beaucoup plus frustrant. Parce que t’es continuellement en attente que les vagues montent, que la houle monte. Tandis qu’au Pays Basque, il y a tout le temps de la houle, en fait. Là-bas, les questions, c’est : est-ce que tu t’y mets maintenant, est-ce que t’attends un peu plus tard, est-ce que le vent va tourner offshore, est-ce que la marée ne va pas tout bousiller le spot… Mais tu te mets à l’eau à un moment. Alors qu’ici [en Méditerranée, ndlr], il m’est parfois arrivé de devoir à attendre que la houle monte pendant 3-4 heures. Et parfois, elle ne monte jamais. 

Il y a donc cette frustration à gérer et qui parfois même te ronge. Parce que comme un petit garçon, t’as envie d’aller dans l’eau. […] Mes potes, même s’ils font genre parfois, ils sont tout autant dégoûtés que moi. Mais ce qui est bizarre aussi, c’est que la Méditerranée, elle te procure un tel plaisir, de telles sensations, un tel calme, une telle plénitude… La vague est tellement plus douce, plus douce, plus lisse, que ça procure des sensations, je trouve, beaucoup plus fortes, que quand tu vas chercher de l’adrénaline dans un tube au Pays Basque. Même s’il en faut pour tout le monde et pour tous les goûts. Mais nous, c’est comme ça qu’on l’aborde. 

Et dans le film, il semblerait que cette frustration décuple le plaisir. 

Oui, c’est exactement ça. […] Et puis, nous, dès qu’il y a un semblant de houle, dès que c’est surfable, on y va. On ne se pose pas la question. Mais parfois, il faut trouver autre chose pour enlever cette frustration. Donc Christophe, il va faire de la boxe. Thomas, il va courir. JD, il fait du paddle. Moi, je fais du vélo. Alors dès qu’il y a des vagues, on fonce. Tout ça, c’est un retour à l’enfance, aussi. C’est ça que je recherche. Redevenir un petit garçon qui n’a plus de contraintes, qui se retrouve dans l’eau, qui oublie tout. […] Mais après, on retrouve ça dans beaucoup d’autres sports. Sauf que là, contrairement à un sport collectif, où t’es tout le temps en mouvement, nous on attend. Donc on a le temps de discuter. Comme dans une cour de récré. On laisse tout derrière, on oublie tous les soucis. On est là, sans téléphone portable. Et pour moi, c’est ça : faire l’expérience du présent, ce qui est super difficile dans nos sociétés actuelles. 

Surf en Méditerranée
(Surf en Méditerranée)

Tu as mis en avant la culture surf en Méditerranée avec quatre personnages. Mais de manière plus globale, elle ressemble à quoi ?

La culture surf en Méditerranée, c’est une centaine de passionnés qui se retrouvent entre la frontière italienne, jusque dans le Var (Saint-Raphaël, Fréjus). Il y en a aussi beaucoup à Marseille. Là-bas, il y a une grosse scène de surf, avec des clubs. […] Donc la culture surf est quand même assez développée. Elle est intimiste, mais elle est là. Et c’est quand même plus doux. C’est très rare qu’il y ait des moments où tu flippes. Contrairement au Pays-Basque. Là-bas, les écoles de surf t’emmènent parfois dans des endroits où il y a tout le temps du bruit. Là-bas, l’océan ne s’arrête pas, tu te manges des machines à laver… 

« Demain, ça rentre » est actuellement diffusé dans certains cinémas. Pour trouver une date proche de chez vous, n’hésitez pas à aller suivre le travail du collectif « La Bordure » sur Instagram.

Photo d'en-tête : Etienne Garnier / Surf en Méditerranée
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