Le confinement a parfois fait émerger des rêves d’aventure, que certains ont concrétisés. C’est le cas de The Big Idea, un groupe de musique monté par six amis d’enfance rochelais. En octobre 2021, ils lancent le projet fou d’une traversée de l’atlantique à la voile… dans le but d’enregistrer un album à bord. Un pari un peu dingue, aucun d’eux n’ayant vraiment d’expérience en matière d’expédition en mer. De cette aventure, ils reviendront avec 10 titres et un film étonnant de 71 minutes. Sélectionné au Festival International du Film et du Livre d’Aventure (FIFAV) à la Rochelle, en novembre dernier, vous pouvez le découvrir exceptionnellement sur Outside à partir d’aujourd’hui et jusqu’au 18 décembre.
Matéo, Sinclair, Sacha, Victor, Louis et Pierre font de la musique ensemble depuis le collège, du côté de La Rochelle. Après le bac, en 2015, pas de question de moisir sur les bancs de la fac, ils montent en région parisienne pour former une coloc et poursuivre leur rêve de rock à plein temps. C’est là qu’est né « The Big Idea ». Le groupe y enregistre 3 albums et plusieurs EP qui leur ouvriront la voie de 150 concerts en Europe. Leurs vidéos sur youtube cumulent quelques centaines, voire milliers de vue. Ce n’est pas encore la gloire, plutôt la débrouille, mais ils s’amusent. Mars 2020 marque un coup d’arrêt. Le confinement est annoncé. Le groupe ne pourra plus se produire sur scène pendant un certain temps. Déception, forcément, mais pas abattement. Ces gars là ont entre 23 et 24 ans, de l’énergie à revendre et des envies de voyage. Et un soir, autour d’un verre, émerge une brillante idée, un peu sortie de nulle part. Tout simplement enregistrer un album sur l’eau, au cours d’une traversée de l’atlantique à la voile. Soit, mais… comment s’y prendre ? Sans bateau ni expérience, tout est à faire.
Des mois pour boucler leur budget
Après 6 mois à écumer les sites de revente, les garçons trouvent en février 2021 le bateau répondant à leurs critères. Suffisamment grand pour y vivre à 5 ( Pierre au final ne pourra pas se joindre à eux) pendant deux mois sans s’étriper, et suffisamment fiable et récent pour ne pas avoir trop de problèmes en mer. Ils se décident pour un Bavaria 37, de onze mètres, qu’ils renomment le Grand Vésigue (vésiguer voulant dire errer en patois charentais). Financé par leurs économies et aidés par des proches, ils s’en sortent pour 50 000 €. Mais pour passer d’un bateau de voile côtière à une embarcation capable de naviguer plusieurs jours en mer, ils vont vite apprendre que quelques adaptations sont nécessaires. Il leur a donc fallu racheter des voiles, changer les batteries en plomb pour du lithium ou encore installer des panneaux solaires. Un chantier coûteux qui n’aurait pas été possible sans le soutien de sponsors venus à leur rescousse. A défaut d’être marin, l’équipage du Grand Vésigue est musicien, ce qui va bien lui servir.
Pour l’aider dans sa recherche de partenaires, le groupe va en effet pouvoir s’appuyer sur la salle La Sirène, labélisée Scène de Musiques Actuelles. Fort de la notoriété du groupe dans sa région, le projet est plutôt bien reçu au niveau local. L’idée de jeunes qui veulent se lancer dans une expédition maritime séduit dans une zone géographique où chacun a un lien avec l’océan. Il aura pourtant fallu envoyer des centaines de demandes pour boucler le budget. « Plein de gens ne nous répondaient pas. On a passé des après-midi entières à déposer des dossiers dans des boites. On s’en est quand même plutôt bien sorti », reconnait Victor, l’un des membres du groupe. La vingtaine de partenaires, issus du privé comme du public (Crédit Mutuel, le département de Charente Maritime, la ville d’Yves, Maelström…) leur permet finalement de boucler leur budget de 30 000€. De quoi couvrir les travaux de réhabilitation et tous les frais occasionnés lors d’une traversée en mer.
Inspirés par Hemingway, Kerouac et Rimbaud
Reste un problème, et non des moindres, la navigation. Pour leur première sortie, il leur faut ramener le bateau depuis les sables d’Olonne où il est à quai, jusqu’à la Rochelle. C’est là que les cinq amis réalisent l’ampleur du projet. Seul l’un d’entre eux, Matéo, a quelques connaissances en voile, héritées de sa famille bretonne, avec laquelle, enfant, il allait parfois naviguer. Pas toujours une partie de plaisir à l’époque, se souvient-il, mais une fois arrivé à Paris, la mer lui manque. Alors, il avale toutes les vidéos youtube sur le sujet. « Je trouvais ça fabuleux de pouvoir se dire; ce gars la, il a traversé l’Atlantique et c’est trop la classe » explique-t-il dans le film. C’est donc lui qui va former les autres, comptant sur le fait, pas vraiment prouvé scientifiquement, mais bon, que même si aucun d’eux n’a de sérieuse expérience nautique, les Rochelais d’origine ont grandit les pieds dans l’eau, donc, ça devrait le faire. Dans la foulée, l’équipage s’inspire de romans d’aventure qui renforcent encore leur envie de partir. Hemingway, Kerouac, Rimbaud, des braves qui décrivent la mer sans, parfois, y avoir mis les pieds. La pratique est moins théorique, et le groupe réalise quand même plusieurs sorties en mer, allant jusqu’à Santander en Espagne. Des sorties limitées à une journée, puis de nuit avant de se lancer dans des micro expéditions de plusieurs jours. L’occasion de découvrir le bateau mais aussi de souder l’équipage. « Quand on est ensemble, on se sent invincibles » expliquent-ils. Un apprentissage dont ils documentent toute les étapes sur le site internet dédié à la transatlantique. Voilà pour le bateau, mais bientôt va s’y ajouter une autre idée, tout aussi folle, celle d’un film, un vrai. Et là aussi, c’est un peu le hasard qui va jouer.
Alors qu’ils avaient bien entamé leur formation, les musiciens croisent le chemin d’Eric Paget, monteur de documentaires pour la télévision. Fasciné par la mer depuis un voyage en Islande, il veut jouer les réalisateurs et a en tête de monter un film sur des jeunes qui partiraient en mer. Seul le projet de The Big Idea va le séduire, pour son esprit très rock, loin de tout message politique, mais aussi pour la force qui se dégage du groupe. Son idée : « raconter une belle histoire » pour son fils de 9 ans explique-t-il. Il propose d’équiper les jeunes gens d’un drone et de les former à la prise de vue pour réaliser un documentaire de leur aventure. Mais impossible de trouver un diffuseur. Il faudra donc faire avec un budget réduit, notamment au niveau du matériel. Les garçons ayant déja en tête de garder une trace de leur aventure, disposent d’un peu d’équipement : un appareil photo Sony A7, un stabilisateur et un micro adapté au vent, le tout acheté grâce aux fonds collectés. Pendant deux ans, ils apprendront à les manier. En parallèle, le réalisateur, qui n’est pas de la traversée, les suit et les filme dans les moments clés du projet, notamment au cours des jours précédant le départ.
En soutien, le routeur de François Gabart
Le top départ est lancé le 7 octobre, depuis le port de la Rochelle, après deux jours de report, faute de conditions météorologiques favorables. La gorge nouée, ils ont tout de même hâte de partir. Leur arrivée à la Guadeloupe est prévue début décembre, les garçons ont donc deux mois pour enregistrer leur album à bord. En mer, les journées sont bien rythmées. Après leur quart, chacun s’installe dans le carré avec son instrument pour enregistrer ses parties. Ce n’est pas tant la concentration qui est un problème, « ils ont l’habitude » explique Victor, mais plutôt les bruits parasites qui obligent parfois à refaire une prise, sans parler de la chaleur épouvantable qui augmente à mesure qu’ils approchent de leur destination. Tous les soirs, les parties de tarot signent la fin de la journée.
A bord, ils sont aidés par le météorologue Jean-Yves Bernot, routeur de François Gabart et originaire, lui aussi, de La Rochelle. En complément, les matelots téléchargent les fichiers météo tous les 2-3 jours, sans trop de stress. Peu pressés par le temps, ils peuvent changer de cap facilement pour éviter les intempéries. « On ne prenait pas de risque, on n’attendait pas forcément le dernier moment pour changer les voiles », raconte Victor. Qu’ils le doivent à leur stratégie ou à la chance, les équipiers ne traverseront pas de difficulté majeure, mais parviendront tout de même à se faire un peu peur. Lors de la préparation, au large de l’Espagne, ils seront confrontés à des creux de quatre mètres. Une expérience qu’ils résument dans le film : « c’est cool, c’est sport, c’est la liberté, mais c’est aussi très anxiogène. C’est marrant cette dualité de la situation. »
10 titres tous enregistrés à bord
Le Grand Vésigue est arrivé début décembre 2021 en Guadeloupe. Depuis, le bateau a été revendu et l’album bouclé. Il sortira le 17 février prochain avec 10 titres, tous enregistrés à bord, dont le premier, « King Cabral » est déja disponible. Ce qui est certain, c’est que ce voyage a donné l’envie aux membres de The Big Idea de repartir en mer. « J’en garde un souvenir de plénitude, de calme. La vie est belle ! », conclut Victor. Après deux mois en mer, le groupe est toujours aussi soudé et continue de vivre en coloc, à terre, « ce qui est plus dur que sur un bateau », raconte-t-il. Tous ne rêvent maintenant que de repartir pour mettre le cap sur… l’Antarctique cette fois, en 2025. « Mais bon ce n’est pas fait. Déja il faut acheter un bateau et on n’a pas la thune » temporise-t-il. Car pour l’heure, il faut bien vivre, et les marins multiplient les petits boulots entre deux concerts.
Côté réalisation, c’est également une belle expédition qu’a menée Eric Paget. Le début d’un long travail qui va durer de janvier à juillet 2022. Il y passe ses nuits et enchaine les journées de visionnage de rushes et de montage. Exténué mais fier du résultat, il ne regrette pas le choix d’une réalisation « fait-maison ». « Je pense que c’est un film qui fait du bien, qui n’est ni prétentieux, ni moralisateur. J’ai vraiment été libre de faire le documentaire que je voulais. », nous explique-t-il. Sélectionné en novembre dernier au Festival International du Film et du Livre d’Aventure de La Rochelle, un événement pourtant très sélectif, il sera visible ce vendredi 8 novembre au Bars en Trans à Rennes ainsi qu’au festival Les Rendez-Vous De L’aventure à Lons-Le-Saunier en mars 2023. Mais nos lecteurs pourront le voir dès ce ce vendredi 9 décembre jusqu’au 18 décembre sur notre plateforme… en attendant la sortie de l’album !
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