Voilà une histoire comme on les aime. Parce qu’elle se déroule tout près, chez nous, dans les Alpes, à cheval entre la France, l’Italie et la Suisse. Que c’est un exploit, et même une première -7 sommets, 10 jours d’expédition, 130 km, plus de 16 000 m de D +. Mais surtout parce que c’est une quête personnelle, celle de Lucien Boucansaud qui a embarqué dans l’aventure son ami et compagnon de cordée, Guillaume Pierrel, guide comme lui. Ensemble, à pied, en crampons, à ski, en parapente et en tandem, ils sont partis sur les traces de l’histoire de sept modestes statues veillant depuis sept sommets alpins. Un voyage sur les cimes et dans le temps retracé dans ce 52 minutes passionnant, dont on peut déjà découvrir ici le très beau traileur ; en attendant de le voir lors de la première, mi-avril, au Festival International du Film d’Aventure et de Découverte de Val d’Isère.
Aiguille Noire de Peuterey (3 773m), Tour Ronde (3 798m), Dent du Géant (4 000m), Mont-Dolent (3 823m), Petit Clocher du Portalet (2 985m), Drus (3 754m), Grépon(3 482m)… qui sait que sur le point culminant de chacun de ces sommets du massif du Mont-Blanc trône une Madone ? Statuette plus modeste qu’on ne l’imagine bien souvent, elle veille sur la vallée, au plus près des cieux, le regard tourné vers ceux d’en bas, mais aussi vers tous les plus intrépides qui au fil des ans, des siècles parfois, se sont risqués dans une ascension.
Comment ces 7 statuettes de métal à l’effigie de Sainte-Marie ont pu atteindre ces altitudes vertigineuses 200 ans plus tôt ? Quelle a été l’inspiration derrière ces œuvres érigées au péril de vies humaines ? Qui étaient ces audacieux artisans de l’altitude qui ont porté ces énigmatiques silhouettes d’une dizaine de kilos, dépassant parfois le mètre-soixante? C’est le mystère que Lucien Boucansaud et Guillaume Pierrel, tous deux guides chamoniards, compagnons de cordée, ont entrepris d’élucider.
Comme dans toutes les bonnes histoires, le hasard y est pour quelque chose. La passion a fait le reste. Au départ, c’est la découverte par Lucien Boucansaud dans la grange familiale de photos, documents et objets d’époque appartenant à un certain Alphonse Couttet faisant partie de la cordée qui a monté la Vierge sur le sommet du Grépon en 1927. L’idée va faire son chemin dans la tête de Lucien : cette Madone n’est pas la seule, la tradition montagnarde veut que d’autres, ailleurs, ait été installées sur les cimes. Car depuis des siècles la montagne fascine, mais surtout, elle fait peur. On y imagine des fantômes, le risque est partout. Qu’on soit croyant ou pas, la protection de ces femmes auréolées d’un halo symbolique n’est jamais de trop.
Au fil de leur enquête, les deux guides vont découvrir qu’en effet de Courmayeur à Chamonix, en France, comme en Italie ou en Suisse, des hommes courageux ont hissé au plus haut ces modestes statues. C’est sur leurs traces qu’ils sont donc partis, usant de tous les moyens possible, marche, ski, parapente ou tandem. Au total, un périple de 7 sommets, 10 jours d’expédition, 130 km, plus de 16 000 m de D+. Un exploit, mais on préfère parler ici de voyage, au cours duquel on croise des personnages improbables Armando Chanoine, gardien du Refuge Torino – Courmayeur qui a remplacé lui-même une des statues endommagées par le temps. Ou encore le Suisse Justin Marquis. Menuisier et guide, 28 ascensions du Petit clochet du Portalet. Sur leur chemin aussi, des experts, David Ravanel (guide depuis 6 générations, ex Président de la Compagnie des Guides de Chamonix), Catherine Destivelle qui avait déjà écrit sur Notre Dame des Drus. Et bien sûr, le passionnant Etienne Klein. Physicien, philosophe des sciences, producteur de l’émission « la conversation scientifique » sur France Culture, il parle avec intelligence et poésie de ces présences silencieuses et bienveillantes, veillant depuis ces sommets « plus tout à fait terrestres ».
Bref, un film aussi profond que beau, que l’on doit à la curiosité de Lucien Boucansaud. Et au talent de Laurent Jamet et de Guillaume Pierrel. Guide, alpiniste et réalisateur multiprimé, ce dernier est visiblement aussi doué pour nous faire rêver avec sa descente de la face sud du mont Robson, dans les Rocheuses canadiennes en février dernier (une première), qu’avec ses pérégrinations « à la maison », dans les Alpes.