A Nazaré, au nord du Portugal, elles ne sont qu’une poignée encore à se lancer face à des vagues pouvant atteindre 30 m. Justine Dupont, Maria Gabeira, bien sûr, mais aussi Katie McConnell, Polly Kai Ralda ou encore Michaela Fregonese. Trois surfeuses auxquelles Tim Bonython, réalisateur et producteur de films de surf multiprimé, a donné la parole. Leur feeling à leur arrivée sur ce spot hors normes imprévisible, leurs peurs, leur technique… elles racontent « leur Nazaré », côté féminin.
« Je vais à Nazaré depuis des années et j’ai toujours pensé que celles et ceux qui y sont à l’aise, en harmonie avec la plus grande vague du monde, peuvent surfer n’importe où. Dans ce documentaire, je me suis concentré sur trois jeunes femmes qui font exactement cela. Elles se challengent, faisant appel à tout leur courage, pour surfer la vague la plus effrayante du monde. », explique Tim Bonython. Que l’un des réalisateurs les plus reconnus de l’univers du surf : Fighting Fear (2011), Immersion the Movie (2012) et The Big Wave Project (2017)) se penche sur les athlètes féminines de Nazare a son poids.
Plus de 40 ans de carrière, cet Australien spécialiste des big waves sait de quoi il parle. Pour pénétrer dans la petite communauté des surfeuses de Nazaré, il n’a pas choisi de se focaliser sur les plus connues du grand public, mais sur trois personnalités très différentes. l’Américaine Katie Mc Connell, biologiste, et plongeuse spécialisée dans les expéditions scientifiques. La Guatelmaltèque Polly Kai Ralda, surfeuse pro. Et la Brésilienne Michaela Fregonese, qui jongle entre compétitions et son agence de voyage.
Pour elles, le surf de big waves est un choix de vie. Pas toujours facile au niveau financier. Certaines doivent compléter les quelques revenus tirés de leurs sponsors par de petits jobs, car surfer à Nazare représente un vrai investissement. Mais le jeu, et les risques, en valent la chandelle. Car, expliquent-elles, sur ce spot les vagues sont exceptionnelles, uniques, gigantesques. Mais aussi imprévisibles et sans issue. Ici, contrairement à Hawaï, pas de channel pour se dégager. Une fois prises dans la vague, c’est la machine à laver. Et là, la technique compte. L’équipement aussi, le gilet gonflable notamment.
Il en faut donc du courage pour s’y lancer. Et une passion sans failles. Car se faire une place dans un univers encore très masculin n’est pas ici la moindre des difficultés. En témoigne Polly Kai Ralda, cofondatrice de Bigwavebabes (un collectif de surfeuses spécialisées dans les grosses vagues), indignée par l’article d’un surfeur, JP Currie. Ce dernier, réagissant à la participation de femmes à une compétition écrivait « voir les femmes s’efforcer d’atteindre la masculinité, parce que c’est le seul moyen pour elles d’être acceptées par une culture imprégnée de testostérone ». Ce à quoi elle répondait via le texte suivant, dont voici quelques extraits.
« Je ne suis pas du tout d’accord. En tant que concurrente du Pe’ahi Challenge, j’invite ce soi-disant « écrivain » à entrer dans l’eau comme je le fais, lorsqu’il y a plus de 30 pieds (9 mètres). Je l’invite à ressentir la sensation d’être victime de discrimination avant même de pagayer, et ce en raison de votre sexe. Car quand on est une femme, on vous répète que « vous ne pouvez pas le faire » et que « vous allez échouer » sans même vous donner la chance d’essayer. Je l’invite à essayer de gérer toute cette pression, tout en restant fort, à continuer à pagayer et à surfer sur ces vagues.
Je pense qu’être une femme dans le monde exige plus de force qu’aucun homme ne pourrait l’imaginer. JP Currie, je ne vous ai jamais vu surfer sur de grosses vagues à Hawaï ; ce sport serait-il trop masculin pour vous ?
Alors que tant de données scientifiques plaident en faveur de la pratique du sport par les femmes, je me permets de vous poser la question suivante : Comment allons-nous faire progresser les sports féminins sans donner aux femmes l’occasion de montrer leur talent ? (…) Le surf féminin est sur le point de se faire un nom – cette fois dans le domaine des grosses vagues – avec Pe’ahi, l’une des premières sessions télévisées de femmes surfant sur de grosses vagues. De gros revenus pour de grosses vagues. Le sport est un divertissement et nous avons attiré un public. Cela a de la valeur.(…)
Dans un sport à dominante masculine, lorsqu’un rider masculin de grosses vagues frôle la mort, il est célébré comme un héros. En revanche, lorsqu’une femme surfe sur une vague de 70 pieds (21 mètres, elle est critiquée. Car on dit qu’elle ne devrait pas être là. Que le surf sur grosses vagues n’est pas un sport pour les femmes.
Tout cela me semble dater de l’époque médiévale. Au XXIe siècle, certains hommes pensent encore que limiter les femmes à ne pas atteindre leur plein potentiel va les arrêter, en leur disant qu’elles devraient agir de manière plus féminine, pratiquer un sport plus « girly », ressembler à une Barbie… au lieu de les encourager à être des femmes actives et à avoir un mode de vie sain.
Je veux encourager toutes les femmes du monde qui veulent surfer de grosses vagues à le faire. Ne vous laissez pas décourager par les publications que vous pourrez trouver sur l’internet. Les vrais surfeurs de grosses vagues sont souvent trop occupés à s’entraîner pour écrire des articles aussi lamentables censés dire aux femmes ce qu’elles devraient ou ne devraient pas faire de leur temps !
Son coup de colère date de 2016. En 2024, elle est toujours dans le circuit, de mieux en mieux classée. Et elle compte bien monter un groupe de surfeuses à Nazaréens à son retour cet automne, histoire de s’entraider entre filles. Plus déterminée que jamais.
Photo d'en-tête : Ricardo Bravo / Red Bull Content Pool