Ce film de 49 minutes, nous avons failli ne pas le voir. Et cela aurait vraiment été dommage, car nous serions passés à côté d’une pépite et d’une personnalité comme on en rencontre peu : Cornelius Marot, 24 ans, Parigot qui a fui la fac, l’usine et la routine pour la route. Un aventurier pas si courageux que ça, mais prêt à affronter ses peurs et surtout à rencontrer les autres. Le genre qui vous rebooste le moral pour la journée !
Tout a commencé par un mail de quatre lignes : « Bonjour ! Voici une vidéo de moi qui marche de Paris Montparnasse jusqu’au vieux port de Marseille en 30 jours ! En Passant par la banlieue parisienne, la Loire, les chemins de Compostelle, Le Massif Central, l’Ardèche, le Puy-en-Velay, Le GR Stevenson… Une sorte de pèlerinage entre les deux plus grandes villes françaises ! 900 km de marche, quelques galères mais surtout de super rencontres… Dites-moi ce que vous en pensez! »
Des messages de ce type, on en reçoit beaucoup à la rédaction. Mais aussi peu vendeurs, c’est rare ! D’autant que pour savoir qui se cache derrière ce message laconique, il fallait vérifier la signature du mail : Cornelius Marot. Inconnu aux bataillons des aventuriers. Mais comme on est du genre curieux, on clique sur le lien en se disant qu’en cinq minutes c’est plié, tant le pitch est mauvais. Et, contre toute attente, on est scotché par ce Cornelius sorti de nulle part qui annonce en un premier mauvais plan qu’il va marcher de Paris à Marseille. Soit. On a vu plus excitant comme expédition. Et déjà les plans qui suivent nous convainquent que, non, décidément, cette histoire ne sera pas sauvée par la forme. Mais il ne faut pas trente secondes pour oublier tout ça, le pitch et les cadrages très amateurs, et dévorer les 49 minutes du périple de ce marcheur au nom de détective privé qui va effectivement quitter son quartier de Montparnasse, non loin de l’une des plus hautes tours de Paris, pour descendre vers Marseille et ses calanques.
Pas de quoi en faire un film ? Et bien si. Car, comme bien souvent dans les bonnes histoires, tout tient grâce au personnage central et à son regard sur le monde et sur les autres. Avec Cornelius, pas de baratin. Il est du genre direct. Face caméra, muni de sa GoPro, les yeux dans les nôtres, il commente son quotidien de marcheur novice, entre galères sous la pluie, parcours hasardeux et paysages sublimes. Mais surtout ce sont les rencontres qui le touchent. Et nous dans la foulée, car ce gars-là a le don de faire jaillir l’humain là où on l’attend le moins. Au point que le film bouclé, on n’a qu’une envie, lui passer un coup de fil pour en savoir plus pour rencontrer l’homme à l’origine de ce documentaire improbable. Et c’est ce que nous avons fait hier. Cornelius était encore à Paris, il nous a répondu en marchant dans la rue entre deux rafales de vent et deux sirènes de police, mais le feeling est passé.
Cornelius, quelques mots pour te présenter ?
J’ai 23 ans, j’ai grandi à Paris, entre Belleville et la Gare de l’Est. Avant, jusqu’au confinement, j’étais étudiant en cinéma. Mais lorsque les cours ont été arrêtés je suis parti en Bretagne, travailler à la chaîne à l’usine. Je fabriquais des produits qui ne m’intéressaient pas. C’est ça qui m’a donné envie de fuir, de me mettre à la marche avec dans l’idée aussi de faire des films. Paris-Marseille, c’est mon second. Avant, en mai 2021, j’ai fait un Paris-Lille à pied aussi. Dur. J’étais intimidé, c’était la première fois que je campais, je posais ma tente chez les gens, dans leur jardin. Là, je suis carrément sorti de ma zone de confort, car l’itinéraire était nul. J’avais tout simplement pris celui de Google map, plein de routes et de voitures. Mais j’ai fait les 250 km en 8 jours. Pourquoi Lille ? J’y avais un copain, c’est tout. Personne n’était au courant de mon départ, pas même ma mère. Mon copain de Lille, je l’ai averti en cours de route. Ce voyage c’était pour me rôder pour le Paris-Marseille car, quand même, sans expérience, ça me paraissait un peu gros comme objectif,.
Tu étais déjà un bon marcheur ?
J’étais un marcheur citadin, j’aimais déjà beaucoup faire des marches dans Paris, dès l’adolescence. C’est tout ce que j’ai connu jusqu’à mes 21 ans. Mais je n’aimais pas marcher en forêt. Rien que idée m’en donnait des maux de tête, je n’en voyais pas l’intérêt. Mais un jour je suis allée en Chartreuse et j’ai vu les choses autrement.
Sans expérience de la rando, comment tu te lances ?
Au départ, j’étais en bonne condition physique, entre le footing, la natation et la marche : à l’usine pendant un an, j’ai marché 10 à 15 km par jour, par 4°C. J’ai acheté du bon matériel, un sac à dos North Face, sac de couchage, tapis de sol, tout quoi et j’ai regardé des vidéos de rando de Youtubeurs, c’est comme ça que j’apprends, tout seul. J’avais peur de dormir dehors la nuit, des peurs non fondées au fond, car je prends plus de risques, là dans Paris, que sous ma tente posée dans un champ ou en forêt. Des peurs de Parigot ! Mais pendant tout ce premier voyage j’avais peur ! Sur mon Paris-Marseille, je n’avais plus du tout peur de demander aux gens si je pouvais poser ma tente dans leur jardin. Alors au 21e jour, je me suis dit, ça suffit, il fallait que j’affronte ma peur. Je me suis installé en forêt… et un sanglier a rodé autour de ma tente jusqu’à deux heures du matin. En plus j’avais posé mon matelas sur des ronces et il était crevé. Une nuit horrible !
Donc tu boucles ce Paris-Lille et à la rentrée, tu ne retournes pas en cours ?
Non, c’est le destin, plus d’école au mois de septembre. Je préférais vivre des aventures que rester assis dans une classe. Je ne suis pas fait pour étudier mais pour vivre les trucs.
En quoi ce deuxième périple est-il différent du premier ?
Pour le premier j’avais mis deux mois pour faire le montage seul, en apprenant sur YouTube. J’avais trop de rushes et je ne savais pas comment construire le film pour faire un truc pas chiant à regarder. Pour Paris-Marseille, j’avais le même matériel, une GoPro, mais j’avais une nouvelle approche. Cette fois j’ai laissé tomber Google et j’ai suivi le parcours de Komoot. J’étais nettement plus serein, même si je n’étais pas sûr d’avoir le physique et le mental pour arriver au bout. Ce voyage était nettement plus agréable que pour Lille. Les routes étaient magnifiques et les gens très accueillants, c’est ça que je retiens. Rien à voir, donc, même si j’avais encore peur la nuit, peur aussi une fois de mourir d’hypothermie en montagne. Mais bon, ça va, je fonctionne en freestyle, ça ne marche pas toujours, mais je ne sais pas faire autrement. Et puis, je me dis que les gens avant faisaient bien pire avec moins de matos et moins de technologie !
En chemin vers Marseille, tu te perds …
Oui. J’étais en montagne, et le parcours de Komoot n’était pas fiable à 100% dans cette zone. En plus, avec la pluie mon téléphone ne marchait plus. J’ai suivi mon instinct, marché vers l’ouest et me suis mis en mode survie.
Dans ton film les gens t’ouvrent leur jardin comme leur maison sans problème. Tu expliques ça comment ?
D’abord j’arrive seul. Et puis les gens m’ont dit que je n’avais « pas une tête de voyou ». Si ça m’a aidé d’être blanc ? J’avoue que je me suis posé la question, mais je ne peux pas le garantir. Mais c’est sûr que quand on parle cinq minutes avec moi on comprend que je ne suis pas un mafieux. Même si dans le sud les gens se sont montrés un peu méfiants. Dans les Bouches du Rhônes par exemple j’ai demandé à camper à quinze personnes différentes, toutes ont refusé. Alors qu’en général c’était un maximum de deux.
Donc être seul, c’est déjà bien, mais ça peut quand même être compliqué de trouver un jardin où poser la tente. Ma méthode ? Pas trop raconter sa vie, juste dire : « bonjour, je vais de Paris à Marseille à pied, est-ce que je peux poser ma tente dans votre jardin ? » Il faut annoncer directement le projet, et généralement ça marche. Bien sûr parfois tu te retrouves dans des endroits un peu spéciaux. Une fois j’ai campé chez des gens qui avaient sept enfants, la maison était comme cambriolée, des couches de bébés dans le jardin. Peut-être des toxicomanes ? Je n’ai pas osé repartir et j’ai passé la nuit-là, mais bon.
Jamais je n’ai été aussi sociable. Dans ce genre de marche je me transforme, et montre la meilleure version de moi-même. Ca ne m’étonne pas tant que ça, au fond, je suis heureux, je suis plus sociable. Quand je traverse ces régions magnifiques, ça m’interesse vraiment ce que les habitants ont à dire. C’est moi qui les écoute, plus que moi qui parle. Les gens se racontent facilement. Au bout de vingt minutes, on parle de choses très profondes. Comme cette fois où j’ai rencontré un gars handicapé, dans un fauteuil électrique. Très vite il m’a expliqué ce qui lui était arrivé. Je l’ai écouté pendant vingt minutes, c’était super !
Paris-Marseille, 900 km en 31 jours, dont 2 de pause, comment se passe ton retour à Paris ?
Après le voyage, j’étais au top de ma forme, pas vraiment aussi musclé au niveau des jambes que je l’espérais, mais hyper bronzé ! J’adore revenir à Paris, mais le retour à la vie normale a été dur. Dormir dans un lit, n’avoir rien à faire. Plus de but quotidien, mon quota de kilomètres. Le retour à Paris en novembre 2021, ça a été la douche froide. Je n’avais envie de rien faire : j’ai passé une semaine dans ma chambre sur l’ordi à regarder des combats de boxe et de MMA, en mangeant des pâtes sans sauce. En fait, quand je faisais mon périple, je m’étais juré de m’inscrire à la boxe. Maintenant ça fait trois mois que j’en fais, trois fois par semaine. C’est un défouloir, apaisant. Tu es confronté à tes peurs, à la douleur. Comme dans le voyage à pied, tu dois te surpasser. Tu penses que tu es fatigué, que tu as mal ? Et puis non, tu passes dessus, tu continues, c’est une école de vie.
De Marseille, j’en suis revenu changé, plus serein dans la vie de tous les jours. Mais le voyage, la marche, ça devient addictif. Il faut que je reparte ! Où ? Là, c’est secret ! En attendant, il faut que je fasse de l’argent et trouve du boulot. Plus d’usine en vue. Peut-être serveur, on verra. Ce que je changerais sur le prochain voyage ? Peut-être un sac moins lourd et plus de podcasts ni de musique, car ça aussi, ça peut-être une fuite.
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