Blessée en février 2019 aux ligaments croisés et au ménisque du genou droit, la freerideuse Maude Besse a dû suspendre sa carrière pendant six mois, dont deux sans pouvoir marcher. Une convalescence douloureuse, vécue comme une « blessure mentale » dont elle revient aujourd’hui plus solide, raconte-t-elle dans une vidéo de 4 minutes. Alors qu’elle a repris la compétition, en ce moment sur le Freeride World Tour (FWT) dont la deuxième étape devrait se tenir à compter du 17 mars, Outside l’a interviewée pour savoir comment son accident a modifié sa vision du freeride.
« Rupture des ligaments croisés antérieurs ». Le 12 février 2019, le diagnostic est un choc pour Maude Besse – alors en lice pour le FWT. C’est la première blessure grave de cette athlète de 24 ans, qui écope de six mois d’arrêt. Un an après son accident, la freerideuse revient sur ce moment suspendu de sa carrière, qui a impacté sa conception de la discipline.
Racontes-nous ton accident, que s’est-il passé ?
C’était juste après la deuxième étape du FWT au Canada, j’étais rentrée sur le domaine de Verbier. J’étais en train de skier pour moi, je faisais des backflips en bord de piste avec un copain. À un moment, j’ai voulu mettre plus d’amplitude et finalement je suis partie en sur-rotation. La réception n’était pas bonne, un peu plate, très rude. J’ai essayé de m’ouvrir au maximum pour ne pas arriver sur le dos, donc je me suis posée juste sur l’arrière des skis, et mon genou est parti en surextension, et il a lâché. C’était donc une rupture des ligaments croisés antérieurs du genou droit, et du ménisque.
Au-delà de la blessure physique, quelle a été l’ampleur de ta blessure mentale ?
J’ai été arrêtée 6 mois avant de pouvoir recommencer le travail. Ma rééducation a été toute une mise en train psychologique dans les premiers temps. Quand le chirurgien a vu les résultats de l’IRM, il m’a dit que ma saison était terminée. Il a attendu trois semaines avant de m’opérer, en mars 2019. Pendant l’opération, il a vu que le ménisque était totalement abîmé, alors il l’a suturé. À mon réveil, il est venu me voir dans ma chambre d’hôpital et m’a dit que je ne devais pas du tout poser mon pied à terre pendant 6 semaines, ou je risquais de faire lâcher les points de suture.
Le premier mois a été le plus difficile mentalement, la transition a été brusque entre l’habitude de passer tous mes jours dehors, et là à devoir rester dans le canapé sans bouger. C’est là que les nerfs ont lâché, et que la remise en question a commencé. C’était ma première blessure grave. Quand j’ai entendu le chirurgien dire que ma saison était finie, que je devrais attendre janvier 2020 avant de pouvoir skier à nouveau… c’était fracassant, surtout que je venais d’arriver sur le FWT, qui était un rêve. C’est comme si on me coupait l’herbe sous le pied.
Cette blessure est arrivée comme un coup de tonnerre. Avec du recul, je pense qu’elle est arrivée avec trop de stress accumulé depuis 2017 – en plus du fait que je recevais une invitation pour le FWT. J’arrivais enfin dans la cour des grands. Mais le mental et le physique sont vraiment liés dans notre corps, et j’en ai tiré la conclusion que je devais me remettre en question.
Ta remise en question t’a menée à quel résultat ?
Ça m’a permis de me recentrer vraiment sur moi-même. Je me suis rappelée que lorsqu’on aime ce qu’on fait, rien ne peut nous arrêter. Cette expérience m’a fait relativiser sur énormément de choses. Elle m’a fait prendre plus de recul en général, elle m’aura aussi permis de prendre l’année 2020 très à la légère. Ma remise en question m’a surtout permis de me demander comment j’en étais arrivée là. Pour moi, notre corps réagit énormément d’après notre ressenti, notre moral, nos doutes, etc. Ça m’a permis de reprendre méthodiquement les choses les unes après les autres.
J’ai énormément travaillé pour récupérer mon niveau de base. C’était mon objectif, que j’ai réussi à atteindre avant la fermeture des stations à cause de la pandémie. Je mesure aussi la chance que j’ai eu d’être beaucoup soutenue par ma famille, mes amis, et de mes sponsors – heureusement qu’ils étaient là pour me soutenir financièrement.
Qu’as-tu appris de cette réflexion ?
J’ai appris énormément sur moi-même. Par exemple, quand j’ai remis les skis pour la première fois, ça a été très difficile. J’avais peur de ne plus avoir le même genou, et de ne plus le gérer de la même manière. Mais j’ai appris qu’il faut se faire confiance, notamment en ce qui concerne la mémoire musculaire. Il faut reprendre les choses petits à petits, réhabituer le corps, et tout s’est bien passé.
Cet accident a-t-il été un traumatisme ?
Ça a été un traumatisme surtout pendant les premiers mois, qui étaient très frustrants. Se dire que tout est fini, qu’il ne reste plus qu’à patienter… et la façon dont le chirurgien m’a annoncé la nouvelle était assez rude. Mais finalement, c’est un traumatisme qui m’a fait réaliser une chose : dès qu’on veut profondément quelque chose, et qu’on donne tout pour y arriver, on ne peut que revenir plus fort. Quand je voyais mon matériel de ski, je ne pensais qu’à mon envie de récupérer. À aucun moment, je me suis dit que j’allais tirer un trait sur ma carrière de skieuse.
Comment s’est passée ta rééducation ?
J’ai commencé à remarcher à partir de mi-mai 2019. J’ai aussi fait de la natation, qui est un sport très doux pour reprendre pendant une rééducation. J’ai énormément fait confiance à mon chirurgien, qui n’opère que des sportifs ; et j’ai suivi beaucoup de conseils de mon beau-frère, Justin Murisier, qui s’est lui-même cassé trois fois ses ligaments mais qui est toujours revenu à son niveau de coupe du monde en ski alpin – et qui a d’ailleurs fait son premier podium cette année. Il m’a donné des astuces pour apprendre à prendre mon temps, sans griller les étapes et faire les choses correctement. Avec un peu de patience, un l’entraînement régulier, j’ai maintenant bien récupéré.
Comment as-tu remédié à la blessure mentale ?
Pendant le premier mois, j’ai beaucoup repensé à la chute, l’opération, au pourquoi du comment… ça a été une bonne remise en question personnelle. Ensuite, au mois de mai, rien que le fait de pouvoir à nouveau bouger, retourner en montagne, grimper un peu, faire des balades dans le sud de la France, tout ça m’a aidé à m’évader. J’ai profité de ma période de rééducation pour me ressourcer, ça m’a énormément aidée. Retourner en nature est le meilleur lieu pour ça.
En quoi cette expérience a changé ta vision du ski ?
Ça faisait déjà quelques années que j’étais focaliser sur une qualification pour le FWT. Pendant cette période, j’ai pu me rappeler que je devais avant tout skier pour le plaisir, et parce que c’est ma passion depuis que je suis toute petite. J’ai encore un peu de mal à gérer le stress en compétition, mais j’imagine que ça viendra. C’est important pour moi de trouver une ligne où je ne pense qu’à m’amuser, et écarter la pression malsaine que j’avais tendance à subir avant.
Tu anticipais ta reprise avec crainte ou motivation ?
Avec plus de crainte que de motivation. J’avais pas mal d’appréhension. C’était tellement frustrant au début, de voir à quel point on pouvait perdre le niveau qu’on a mis autant de temps à atteindre. Notamment du point de vue de la musculature. La motivation ne manquait pas, mais je craignais surtout la réaction de mon genou, savoir s’il était encore trop fragile ou non…
Comment te sens-tu aujourd’hui ?
Maintenant je me sens super bien, et sur mes skis aussi. Je sens que mon genou droit est très solide, dans n’importe quel sport, même en football. Je me réjouis des prochaines aventures, l’opération n’est plus qu’un mauvais souvenir. Aujourd’hui, on n’attend plus que les nouvelles pour la prochaine étape du FWT en Autriche. Les conditions de neige ne sont pas terribles, et il y a quand même quelques cas de Covid dans le Tyrol. Comme je suis tombée lors de la deuxième étape du Tour, il faudra que je donne tout la prochaine fois pour me qualifier pour la finale.
Gères-tu différemment la pression maintenant ?
La pression reste encore un peu indomptable chez moi. C’est vraiment quelque chose à travailler pour la faire disparaitre, car finalement elle n’a pas lieu d’être. On se trouve tous sur des compétitions pour s’amuser, et partager la même passion. D’autant plus que c’est une discipline qui appelle à laisser libre cours à son imagination, et sa personnalité.
Mais je suis déjà très heureuse de ce qui a été accompli cette saison, notamment d’avoir sortie cette vidéo. J’en suis très satisfaite, on verra ensuite comment se déroule la fin de la saison.
Photos : Dom Daher et Scott.
Voir « Silence », le court métrage consacré à Maude Besse
Photo d'en-tête : Dom Daher