C’est une légende du freeride : le premier snowboarder à avoir descendu la face nord de l’Everest par le couloir Norton et ses pentes à 50 degrés. C’était en 2001 et il n’avait que 22 ans. Un an plus tard, le Chamoniard vise plus haut, plus fort, et se lance dans une deuxième tentative, mais via le couloir Hornbein, la voie suprême à ses yeux. Il n’en reviendra pas. Vingt ans après sa disparition – le 8 septembre 2002 – le mystère de sa disparition reste entier. Un parcours hors norme, un style, une fin tragique, tous les ingrédients étaient réunis pour hisser Marco Siffredi au rang des grandes figures du snowboard.
« Marco Siffredi est un héros », déclarait Jeremy Jones dans une interview accordée en septembre 2014 à YoBeat, un magazine américain. « Je n’ai pas de mots pour décrire le respect que j’ai pour ce qu’il a fait. Il a ridé la plus grosse ligne du monde, avec tellement de style et d’engagement. » Venant de la légende américaine, le compliment vaut son poids. Mais le monde du freeride n’avait pas attendu 2014 pour hisser Marco Siffredi au plus haut dans le panthéon des riders qui inspirera des auteurs tels que Antoine Chandelier auteur de « La Trace de l’ange » , publié en 2005, ou encore Jeremy Evans, auteur de « See You Tomorrow », sorti aux Etats-Unis en mai 2021. Mais aussi le réalisateur Bertrand Delapierre, l’un des meilleurs amis de Marco Siffredi, à l’origine de l’incontournable documentaire « Marco, étoile filante » produit par Seven Doc. Un titre évident lorsqu’on revient sur le destin de Marco Siffredi.
Ses inspirations
22 mai 1979. Philippe et Michelle Siffredi célèbrent la naissance de leur quatrième enfant, Marco, à Chamonix, haut lieu du ski extrême. Son père guidait parfois dans le massif du Mont Blanc, mais Marco a ses propres héros : des skieurs locaux. A commencer par l’immense Jean-Marc Boivin, bien sûr. Mais aussi le légendaire snowboarder Bruno Gouvy, devenu célèbre en 1986 pour avoir sauté en parachute depuis un hélicoptère sur le sommet du Petit Dru, une tour quasi verticale de 1 000 mètres, avant de descendre en rappel environ les deux tiers de la face, et de rider sur un glacier de 250 mètres, sur une pente à 50 degrés. Il bouclera son exploit en filant en parapente jusqu’à Chamonix. Son destin sera, lui aussi, tragique : il mourra sur l’Aiguille Verte en 1990. C’est alors les performances de Jérôme Ruby et Dede Rhem, deux jeunes guides de Chamonix, que va suivre de près Marco Siffredi.
Un parcours fulgurant
Marco, inspiré par ces exploits, commence bientôt à cocher certaines des voies les plus raides de la vallée. En mai 1996, un an seulement après avoir appris à rider, en mai 1996, il s’attaque au Mallory, sur la face nord de l’Aiguille du Midi : 1 000 mètres, très exposé, avec des passages proches de 55 degrés. Dans la même saison, on le verra réaliser la première descente en snowboard du Chardonnet (55 degrés soutenus) avec son ami Philippe Forte, qui disparaitra plus tard dans une avalanche sur le domaine des Grands Montets de Chamonix.
Son porte bonheur
A l’automne 1998 Marco part pour le Tocllaraju (6 032 m) au Pérou avec Philippe Forte et le photographe René Robert auquel on doit ses plus belles photos. La mère d’un ami lui offre un pendentif en forme de croix. L’équipe réussit l’ascension et la descente du sommet. Dès lors, Marco ne quittera plus cette croix, devenue son porte-bonheur.
1999, année clef
De retour à Chamonix en juin, Marco n’a que 20 ans, mais il va rapidement marquer les esprits. Sur les traces de son idole, Jean-Marc Boivin, il réalise la première descente en snowboard et la deuxième descente de l’histoire du très convoité Nant Blanc sur l’Aiguille Verte. Cette ligne de 1 000 mètres de dénivelé moyen de 55 degrés avec des sections de 60 degrés n’avait jamais été répétée depuis la descente épique à ski de Boivin en 1989. Quelques mois plus tard, à l’automne de la même année, il ajoute à son palmarès la première descente du Dorje Lhakpa (6 988 mètres) au Népal. De ce sommet, il a une vue imprenable sur deux des plus hauts sommets du monde, le Shishapangma et … l’Everest. Il devient alors obsédé par une idée : être le premier à descendre le sommet du monde en snowboard.
Russell Brice, le déclencheur
Dès son retour à Chamonix, Marco contacte le meilleur de la profession, Russell Brice d’Himalayan Expeditions, un guide néo-zélandais spécialisé dans les expéditions vers des sommets de 8 000 mètres. C’est lui qui va conseiller le jeune rider de s’essayer à d’autres 8 000 mètres avant de tenter l’Everest pour voir si son corps peut s’adapter à l’altitude extrême. Ce sera le Cho Oyu (8 201 mètres), sixième plus haut sommet de la planète, à l’automne 2020, gravi après le Huayna Potosi, un sommet bolivien de 6 088 mètres atteint en juin 2000. Ça y est, le Chamoniard se sent prêt à affronter l’Everest.
Printemps 2001, l’exploit mondial
Parti avec Himalayan Expeditions pour l’Everest, Marco se lance dans une course avec l’Autrichien Stefan Gatt, un alpiniste expérimenté qui avait déjà réussi une descente en snowboard du Cho Oyu. Leur objectif ? Etre le premier à réussir une descente de l’Everest en snowboard. Marco ambitionne d’y réussir par le couloir Hornbein, mais faute de neige, il se rabat sur son plan B : le couloir Norton. Le 23 mai, au lendemain de son 22e anniversaire, engage la descente, il est à 8848 mètres. Non loin du sommet, sa fixation se casse, un sherpa la répare avec du fil de fer et Marco entre dans le couloir : 1 800 mètres sur des pentes de 40 à 45 degrés. Un arrêt au col nord pour se reposer une heure et il termine les derniers 1 000 mètres. Sa descente depuis le sommet vers le camp de base avancé aura duré moins de quatre heures. La nouvelle, communiquée par téléphone satellite, fait l’effet d’une bombe. La descente historique de Marco sera enregistrée comme la première descente continue en snowboard de la plus haute montagne du monde.
L’objectif ultime : l’Everest encore … mais par le couloir Hornbein
De retour à Chamonix, Marco et son ami Sherpa Phurba, ainsi que Russell Brice et Loppasang Temba Sherpa affinent leurs plans pour tenter une deuxième tentative via leur objectif initiale, le couloir Hornbein, une voie beaucoup plus abrupte et difficile que sa première descente par le couloir Norton. « Bien que la neige ait été suffisante pour sa deuxième tentative, après une marche ardue jusqu’au sommet, Siffredi semblait inhabituellement fatigué pour un alpiniste de son calibre », raconte Jeremy Evans dans « See You Tomorrow », enquête qu’il mène en 2017 sur le mystère de la disparition du rider, publiée en mai dernier, 20 ans après le drame. « Ses partenaires d’ascension, Pa Nuru, Da Tenzing et Phurba Tashi, incitent Siffredi à abandonner son objectif. Phurba Tashi, notamment, n’a pas manqué de noter que cette fois, Marco ne semble pas aussi détendu et en forme que lors de sa première expédition vers l’Everest. Tashi avait alors déjà atteint le sommet du toit du monde 21 fois, un record. En observateur avisé, il connaissait bien les effets de l’altitude sur les alpinistes. Et selon lui, lors de la première ascension, Marco Siffredi avait grimpé comme un Sherpa. Mais lors de la longue marche de 12 heures, neige jusqu’à la taille, oxygène raréfié, le Français semble vidé de toute son énergie. Malgré les mises en garde de Tashi et des deux autres sherpas, le rider, vêtu d’une combinaison jaune, resserre ses fixations et part en direction du couloir Hornbein ». Il est environ 15 heures ce 8 septembre 2002, et on le reverra plus. Avalanche, crevasse, problème technique ou physique ? Le mystère reste entier et pour la famille Siffredi, c’est le deuxième fils que la montagne avale, après la mort dans une avalanche de Pierre Siffredi, alors que Marco n’avait que 18 mois.
Article initialement publié le 8/09/2021, mis à jour le 8/09/2022
Photo d'en-tête : Collection Marco Siffredi