En remportant la troisième manche du Freeride World Tour organisée ce samedi à Fieberbrunn en Autriche, la snowboardeuse décroche son 4e titre mondial … une manche avant la fin. Un scénario qu’elle connait bien. L’année dernière, elle s’était déjà assuré le podium avant la finale de Verbier.
Les Français ont de quoi se réjouir aujourd’hui sur le Freeride World Tour. Après la victoire de Victor De Le Rue et la deuxième place de Camille Armand, Marion Haerty vient de confirmer tous les pronostics. 2017, 2019 et 2020 avaient déjà consacré son talent, elle était donc très attendue cette année. Et cette année encore, la Française n’a pas déçu.
La troisième manche du Freeride World Tour, qui s’est tenue aujourd’hui, samedi 13 mars, à Fieberbrunn en Autriche, lui a permis de consolider ses deux précédentes victoires en Andorre en février. De quoi lui assurer un 4e titre de championne du monde de snowboard, sans trop s’inquiéter de la dernière étape, la finale prévue du 20 au 28 mars à Verbier, en Suisse. Du jamais vu. Pas de quoi déstabiliser pour autant la snowboardeuse plutôt réaliste et posée, comme nous avons pu le constater dans l’entretien qu’elle nous accordé il y a quelques jours.
Interview d’une femme forte et lucide
L’avenir ? A 29 ans, la désormais quadruple championne du monde de snowboard y pense, forcément. En février, dernier, à la veille du démarrage du World Tour, nous avions interviewée Marion Haerty. Un entretien très large que nous republions aujourd’hui : relations avec ses sponsors, avenir du snowboard, impact du Covid sur le secteur, pression de la compétition et reconversion, la championne, très lucide, aborde librement tous les sujets.
« Pour nous, cette année, tout va se jouer sur deux runs, ce n’est pas mal comme concept. On en parlait déjà depuis un moment et au final cela apporte un peu de nouveauté, de fraîcheur. Les organisateurs font ce qu’ils peuvent avec ce qu’ils ont, au niveau des stations comme des sponsors. Mais en 2021, on fonctionne tous au jour le jour. C’est compliqué de faire des projets. Et quand, en fin d’année, les marques de l’industrie du snowboard vont faire leur bilan, les choix ne seront pas simples. Il faut s’attendre au pire. D’où l’impact que peuvent avoir les athlètes et les events en général.
« Personne n’est à l’abri de se faire virer »
Nous, les athlètes, nous devons travailler à leurs côtés, veiller à les mettre en avant dans les réseaux sociaux. On doit les aider. D’autant qu’en matière de sponsoring, l’avenir est toujours en dents de scie. Les marques peuvent changer d’athlètes, personne n’est à l’abri de se faire virer. Personne n’est intouchable. Même lorsqu’on est au top niveau. Question de travail, mais aussi de chance ou pas de chance, car pour les marques de snowboard, c’est très compliqué maintenant.
Les athlètes en parlent beaucoup entre eux. On prend tout doucement conscience de ce qui se passe. Et on est prêts au pire. Prêts à trouver des plans B, si on ne peut plus vivre de notre passion. Si le Covid nous a appris quelque chose, c’est bien qu’il nous faut être plus flexibles. Nous en avons déjà fait l’expérience au niveau de l’entraînement. Cet hiver cela nous demande beaucoup d’adaptabilité, plus d’énergie aussi que d’habitude. Les stations étant fermées en France, nous devons perpétuellement trouver des plan B ou C. Cela m’a conduit à bouger en Suisse, ce qui suppose des coûts supplémentaires, mais cela m’a ouvert d’autres possibilités et permis aussi de passer du temps avec des amis. De quoi casser aussi la routine, installée depuis des années. C’est à moi de m’adapter, ça ne sert à rien de se plaindre, il faut rester positif. Franchement, on fait ce qu’on aime – ce qui n’est pas le cas de tout le monde, je le vois avec certains de mes amis. Alors, tant qu’il y a de la neige, on peut faire des projets. »
« A 10 ans, j’ai été projetée dans l’âge adulte »
Reste que la championne du monde doit préparer « l’après ». Et elle y travaille depuis plusieurs années maintenant, très sérieusement. Loin de la caricature du rider lancé dans la quête d’un « endless winter », Marion Hearty est une femme réfléchie, sans doute marquée par une enfance heureuse, mais pas toujours facile.
« J’ai eu une douce enfance en grandissant près de Grenoble, mais cela s’est vite transformé en combat, raconte-t-elle à Jérôme Tanon, dans « Heroes », un superbe ouvrage paru à l’automne dernier. Le réalisateur de « The Eternal Beauty Of Snowboarding » et de « Zabardast » avait entrepris de mettre en lumière le combat qui se cache derrière la carrière de rideuses ; des femmes exceptionnelles trop souvent effacées dans le monde du snowboard. Parmi elles, Marion Haerty, qui s’était confiée très librement sur son parcours, dont la trajectoire explique sans doute aujourd’hui sa force.
« À 10 ans, j’ai été projetée dans l’âge adulte quand j’ai vu les bailleurs de fonds menacer de nous chasser de notre maison », poursuit-elle. « Mes parents, mes frères et sœurs travaillaient d’innombrables heures pour sauver l’entreprise familiale de menuiserie, et mon père travaillait jusqu’à l’épuisement total. Après avoir reçu une planche pour Noël, le snowboard est devenu mon échappatoire. Je rêvais d’être un jour championne du monde, peut-être parce que je voulais aider ma famille à surmonter ce cycle infernal, mais je voulais aussi consacrer ma vie à un travail que j’aimerais toujours. C’est ainsi qu’à 14 ans, j’ai commencé à faire du baby-sitting pour payer mes stages de snowboard à Chamrousse et mes premières compétitions. Grâce à mes sponsors, à des jobs supplémentaires et à des amis qui me donnaient des conseils dans le snowpark, je suis devenue championne nationale de slopestyle à 18 ans. Quelques années plus tard, je suis devenue championne du monde et cela a été un tournant immense dans ma vie. Il ne s’agissait pas seulement de collectionner des trophées sur mon étagère, j’ai trouvé au fond de moi le pouvoir de savoir qui je suis. Je me suis débarrassée de mon manque de confiance en moi et de ma timidité. Grâce au snowboard, j’ai trouvé un moyen d’éteindre ma colère avec une planche sous mes pieds, et de retrouver la paix. »
« J’ai un plan B. Et un plan C »
On comprend mieux maintenant comment Marion Haerty est parvenue à conjuguer la compétition au plus niveau et une carrière universitaire, couronnée par un master en entreprenariat et commerce. Son plan B. Sécurisant sans doute, quand aucun rider pro n’est à l’abri d’une blessure qui peut tout remettre en cause du jour au lendemain. Et on ne s’étonne pas non plus que la championne ait aussi réfléchi à un plan C : devenir préparateur mental. « J’ai déjà commencé à y travailler », nous explique-t-elle. « Bien avant le Covid et les incertitudes que cela génère dans le milieu, j’ai entrepris d’étudier ce domaine en Suisse, mais cette formation n’étant pas valable en France, je dois la poursuivre.
En snowboard, tout peut finir n’importe quand, je ne peux pas dépendre de cette unique profession. Nous les riders, on est des indépendants, on n’a pas le chômage. Je me suis battue pour en arriver là, mais je sais que c’est un avenir en dents de scie. Etre en mesure de subvenir à mes besoins, c’est quelque chose d’ancré en moi. D’où mon intérêt pour ce qui pourrait être une autre option, la préparation mentale. Un domaine dont j’apprécie personnellement l’impact depuis 2017. Encore aujourd’hui, ça m’arrive de faire appel à un coach mental, quand j’en ai trop fait et que j’ai besoin d’une épaule extérieure avant une épreuve difficile. Moi, ça m’a tellement aidée ! Et pas seulement dans le sport. L’univers du mental est incroyablement beau et il y a tant encore à y découvrir, on le connait si mal ! Contrairement à d’autres pays, notamment en Scandinavie, en France, faire appel à un préparateur mental, est encore vu parfois comme un signe de faiblesse, alors, qu’au contraire, cela te donne des forces en plus».
« Plus envie de super héros, mais d’émotion »
Cela dit, si Marion Haerty ne s’était pas imposée comme snowboardeuse pro, que serait-elle devenue ? « Skateboardeuse », répond-elle sans hésiter. De la glisse toujours, mais pas que. Et pas forcément comme on l’entend, si l’on en juge par ses premiers pas dans la vidéo. En 2019, La championne du monde surprenait tout le monde en réalisant « Insitu ». Un film de snowboard, pas vraiment dans les standards habituels. » J’avais envie de quelque chose de plus profond, plus ‘dark’, plus artistique, assez poétique. Certains n’ont pas aimé, d’autres si. Mais ça ne va pas s’arrêter là. La chance qu’on a en snowboard, c’est qu’on a matière à raconter de belles histoires. Et moi, ce que j’adore, c’est l’émotion. Comprendre comment les gens en sont arrivés là. Je n’ai plus envie de super héros, ça fait des années qu’on voit ça. Ce qui m’inspire ? des femmes comme Anastasia Mikova, réalisatrice du doc «Woman » (avec Yann Arthus-Bertrand, ndlr), et ses multiples profils de femmes. Ou encore des sportives comme Nouria Newman, Myriam Nicole ou Justine Dupont. Toutes elles se sont battues, et se battent encore, pour arriver là où elles sont aujourd’hui. »
Article initialement publié le vendredi 19 février, mis à jour le samedi 13 mars.
Photo d'en-tête : Freeride World Tour