« Yeti », aka Marcin Tomaszewski – déjà célèbre pour son ascension du Jannu en compagnie de Sergey Nilov et Dmitry Golovchenko – est retourné en Himalaya le 5 décembre, près des Trango Towers, au Pakistan, accompagné de son compatriote Damian Bielecki. Après 11 jours en paroi, les deux grimpeurs reviennent avec un big wall au compteur. De quoi ouvrir de nouvelles perspectives sur les lignes existantes et envisager leur ascension en hivernale, raconte Marcin.
Peut-être avez-vous déjà visionné l’une des aventures de Marcin Tomaszewski, en regardant le film « Le Mur de l’Ombre », signé Eliza Kubarska. Récemment primé meilleur film d’alpinisme au festival de Banff, ce documentaire prenait le parti de raconter l’ascension de la face est du Jannu (7 710 m) en suivant les Sherpas plutôt que les alpinistes. Cette semaine, en compagnie de Damian Bielecki, il ouvrait une nouvelle voie, nommée « Frozen Fight Club », 780 mètres. Outre les difficultés techniques d’une escalade en bigwall, les conditions hivernales pakistanaises ont corsé l’ascension – du froid extrême, allant jusqu’à – 32 °C, raconte Marcin dans un long post diffusé sur Facebook dont nous publions ici les principaux extraits.
« À l’origine, nous devions grimper le mur de Shipton Spire avec Pawel Haldas, qui n’a cependant pas pu faire le voyage avec nous à la dernière minute. Nous avons donc changé notre destination pour le magnifique mur exposé d’Uli Biaho, une montagne située dans la vallée de Trango. Nous avons été très chanceux et n’avons pas fait d’erreurs. En l’espace de onze jours, Damian Dany Bielecki et moi avons ouvert une nouvelle voie en big wall, d’une longueur d’environ 800 mètres. Une ascension très longue et exigeante en raison des conditions hivernales du Karakorum – les températures sont descendues jusqu’à – 32 degrés. Même si la paroi était exposée nord-est, le soleil n’a quasiment jamais été sur nous. C’est pourquoi, on a dessiné un soleil barré dans notre topo, un aspect qu’il ne faut pas le sous-estimer. Il faisait froid mais nous nous y étions préparés. Nous étions dans un univers différent, oscillant entre conditions d’escalade extrêmes et séchage des sacs de couchage. Nous avions l’impression de pratiquer un autre sport.
Escalade sur des formations étroites et exposées, le tout avec le transport du lourd matériel dans la paroi, la logistique de survie, les bivouacs et de courtes journées… Cette expédition était un combat contre nous-mêmes, d’où le nom de la voie, ‘Frozen Fight Club’ (le Fight Club gelé, ndlr) (…). Au bord des gelures, nous cherchions constamment des moyens de nous réchauffer. Il n’y avait pas de place pour l’erreur ou l’omission. Cela faisait longtemps que nous n’avions pas contrôlé notre corps aussi méticuleusement. Notre équipement était blanc, comme si quelqu’un l’avait aspergé d’azote. D’ailleurs, on a accidentellement laissé de la peau dessus. La chaleur dégagée pendant l’ascension s’évaporait instantanément une fois arrivés au relais, pour laisser place au froid. (…) Pendant l’expédition, au cœur d’un vent léger, il neigeait un peu.
Lors nos décisions improvisées – quelle paroi, quelle voie – nous avons eu beaucoup de chance. Il n’y aucun doute : notre équipe était en parfaite harmonie. Damian est un grimpeur d’hiver pure souche. Il a rapidement trouvé ses marques dans ces nouvelles conditions, même s’il s’agissait pour lui de son premier bigwall. Il s’est magnifiquement battu dans la longueur menant au sommet de la voie. (…) Ensuite, nous sommes descendus jusqu’au dernier bivouac, avant de reprendre nos habitudes – se mettre dans le sac de couchage, faire fondre de l’eau, prendre un repas, se réchauffer les pieds.
Peut-être que personne n’a jamais grimpé un bigwall à cette époque dans le Karakorum. (…) Mais une autre porte s’ouvre. Il est désormais possible de regarder d’un œil différent chacune des lignes existantes, envisager leur ascension en hivernale. Un phénomène intéressant, bien connu dans nos montagnes Tatras natales (chaîne de montagne située dans le massif de Carpates, frontière naturelle entre la Pologne et la Slovaquie, ndlr). Au cours de cette expédition nous avons beaucoup appris – sur nous-mêmes principalement. À l’avenir, nous comptons repartir bien mener une expédition avec Paweł, qui n’a pas pu être de la partie aujourd’hui. Nous avons déjà une idée en tête ».
Photo d'en-tête : Marcin Tomaszewski