L’incontournable partenaire des grandes expéditions himalayennes vient de lancer un nouveau textile technique annoncé comme un véritable « game changer ». En clair, un produit qui changerait vraiment la donne : imperméable, respirant, durable, confortable et sans produits toxiques. L’équation du cercle ou le textile parfait. Ambitieux… Mais possible explique Scott Mellin, GM Mountain Sports de The North Face, interviewé par Outside alors que, depuis le Tibet, il s’apprête à lancer la collection en Chine, un marché à la mesure des ambitions de la marque américaine.
Entrevue en janvier à ISPO Munich, la grand-messe des produits outdoor, la collection Futurelight a enfin été lancée mardi 1er octobre. Outre l’incontournable veste de protection L5 à la surprenante légèreté, la gamme comprend notamment la veste Brigandine pour les snowsports et la veste Flight Series destinée à la pratique de la course à pied. Des grands classiques de The North Face, en fait totalement revisités grâce à la technologie du nanospinning.
Comment ça marche ? Ce nouveau procédé, breveté par la marque, rend le matériau poreux sans compromettre son imperméabilité. On obtient donc des trous nanométriques, permettant une imperméabilité (presque) totale tout en permettant au textile de respirer. C’est la double promesse de respirabilité/imperméabilité, graal que recherchent toutes les marques depuis des décennies. Ajoutez encore que la technique est applicable à toutes les pratiques et on comprend soudain pourquoi chez The North Face on se passionne autant pour cette innovation depuis près de trois ans. Dernier point, et non des moindres, la marque a décidé de nous réconcilier avec notre veste de protection en misant sur le confort. Et … le résultat est bluffant. On est loin de la veste imperméable certes mais dont le toucher « plastifié » a du mal à se faire oublier au fil des heures. La veste version Futurelight permet d’évacuer la transpiration, sans virer à l’éponge. De quoi envisager une pratique plus longue, à haute intensité ou dans des conditions extrêmes, sans rien perdre en confort. Et, petit détail pratique qui parlera à plus d’un, moins de transpiration veut dire moins d’odeurs et moins de lavages, soit une durée de vie plus longue. En sachant que pour les produits fabriqués en Futurelight, 80% des propriétés déperlantes sont conservées après 80 lavages.
Comment s’y est donc pris The North Face ? Réponse de Scott Mellin. à l’origine d’un projet qu’il qualifie d’aussi novateur que le lancement par la marque de sa mythique tente d’expédition 2 Meter Dome.
Futurelight a été officiellement lancé en tout début d’année au CES de Las Vegas, la Mecque de la technologie, et non à ISPO, rendez-vous des industriels de l’outdoor. Pourquoi ce choix, totalement inhabituel pour The North Face ?
Cette technologie avait tant d’applications possibles qu’il nous a semblé évident qu’elle avait besoin d’une plateforme de lancement bien plus large qu’un salon de l’outdoor.
La technologie de Futurelight est réellement révolutionnaire, elle entre complètement dans l’univers du CES. Je crois d’ailleurs qu’elle a été considérée comme l’innovation la plus importante de l’édition 2019. Nous sommes donc allés à la rencontre de toutes ces sociétés d’électronique, avec pour seul argument : du tissu !
Vous pensez donc pouvoir l’appliquer à d’autres produits que ceux que The North Face fabrique traditionnellement ?
Dès cet automne, nous l’appliquons à nos vêtements techniques, ainsi qu’à nos tentes et à ce que nous appelons le « hand wear », les gants entre autres. Au printemps 2020, nous introduirons le procédé dans le footwear et dans nos produits « pluie » et enfin dans notre ligne lifestyle. A l’automne 2020, Futurelight devrait être utilisé dans tous nos produits techniques, tous nos équipements.
Ce qui veut dire que vous allez abandonner toutes les autres technologies utilisées jusqu’à présent ?
Nous allons effectivement cesser de les utiliser. Mais nous conserverons, pour certains produits, la technologie DryVent (technologie imperméable et respirante de The North Face, ndlr), mais le plan à terme est bien de faire évoluer tous nos produits vers Futurelight.
Qui se cache derrière l’innovation de Futurelight ?
Tout a commencé avec l’un de nos athlètes, Andres Marin, un alpiniste avec lequel je skiais dans le Colorado. On discutait des problèmes qu’il rencontrait lors de ses expéditions et des solutions que nous pourrions lui apporter sur le plan technique. En fait, tout a germé pendant cette journée de ski. J’ai alors commencé à travailler avec notre équipe sur le concept lui-même. Et une fois affiné, nous avons mis dessus notre équipe de recherches en tissu qui s’est appuyée sur un partenaire totalement étranger à l’univers du tissu.
Au départ, j’avais cette idée, il y a plus de deux ans, et ce qui est génial, c’est qu’en cours de route, elle n’a cessé d’être améliorée par tous les intervenants.
Combien de temps vous a-t-il fallu pour développer ce procédé ?
La presse parle souvent de trois ans, mais en fait, c’est un peu moins, 32 mois pour être précis. Depuis l’idée initiale, jusqu’au lancement effectif du produit aux US.
Dans ce laps de temps, j’ai fait près d’un million huit cent mille kilomètres en avion. Alors, en ce qui me concerne, cela représente beaucoup, beaucoup de temps. D’ailleurs, si vous posiez la question à ma femme, elle vous dirait qu’elle ne m’a pas vu depuis trois ans !
Mais à l’échelle du développement technique d’un produit, c’est plutôt dans la norme chez The North Face: trois ans pour développer une innovation. Mais cette fois-ci nous devions créer de nouvelles usines, de nouvelles infrastructures, c’était assez complexe et très intense.
Maintenant que le lancement est fait, vous allez retrouver un peu de vie privée ?
Well … c’est à voir. Le jour même du lancement à New-York … je me suis envolé vers la Corée pour superviser un nouveau projet, c’est là que nous avons nos usines. Au-delà de Futurelight et de sa technologie waterproof, nous travaillons en effet sur d’autres technologies, nous recherchons en permanence de nouvelles façons d’améliorer les conditions de pratiques de nos athlètes.
Ce qui est fascinant avec les innovations, c’est qu’on n’en a jamais terminé. Une fois que vous avez commencé à développer votre propre textile, votre propre technologie, cela devient très vite addictif pour une société comme la nôtre. Cela génère une énergie que l’on a à cœur d’entretenir. A l’heure actuelle, notre planning nous conduit jusqu’en 2024. Et mon job est clairement de faire la différence entre les produits de The North Face et ceux de nos concurrents. Nous sommes donc perpétuellement en quête d’idées nouvelles qui tranchent.
Quelles sont les principales difficultés rencontrées au cours du développement de Futurelight ?
Nous avons dû résoudre des problèmes à pratiquement tous les stades. Et c’est normal. Quand vous passez du pur synthétique au synthétique recyclé, on a tout à apprendre. Une fois réglée la question du fil, il faut s’attaquer à celle du tissage, car le fil est extrêmement fin, il suppose d’explorer de nouvelles techniques. Arrive ensuite l’étape de la confection et toutes les questions posées au niveau des coupes et coutures, l’insertion des zips. Autant de points qu’il nous a fallu caler, un par un. C’était vraiment nouveau pour nous.
Au final, nous avons dû revoir notre process de fabrication à pratiquement tous les niveaux.
J’ai trouvé ça fascinant. Nous nous sommes retrouvés confrontés à des dizaines de challenges. Mais mon job est de sortir quelque chose de vraiment révolutionnaire, d’arriver à produire une innovation « disruptive », qui change tout. J’ai la chance d’avoir d’excellentes équipes chez The North Face et chez nos partenaires, ce qui nous a permis de résoudre tout ça. C’est parfois hyper stressant, mais nous sommes parvenus à sortir un produit où le consommateur va vraiment voir la différence.
The North Face est détenteur de la technologie Futurelight, à terme, envisagez-vous de la vendre à d’autres secteurs de l’industrie, non concurrents ?
Hum … C’est une bonne question … Nous avons eu beaucoup de demandes. Du secteur de la marine, du cycle, par exemple. Certains de nos concurrents ont également montré un intérêt certain pour notre technologie. Mais pour l’instant, nous n’avons pas l’intention de la commercialiser à des tiers. Notre idée n’est pas de vendre du tissu ou l’exploitation de notre licence. Nous nous concentrons sur l’optimisation de nos gammes de produits.
Nous avons bien considéré cette option mais elle n’est pas à l’ordre du jour. En clair … nous ne disons pas « non, jamais ». Mais nous n’avons pas dit « oui » non plus ! (Rires).
Futurelight est à peine lancé que les questions fusent, notamment au sujet de la durabilité. Un tissu aussi léger et souple va-t-il vraiment être assez résistant pour un usage outdoor ?
Il faut savoir que ce produit a été testé dans le monde entier par les athlètes The North Face qui les ont soumis aux conditions climatiques et aux usages les plus extrêmes que l’on puisse imaginer. Par ailleurs, nous avons un laboratoire très avancé, chargé de faire des tests d’abrasion, de durabilité et d’imperméabilité. Les tests montrent qu’en terme de durabilité, le produit va bien au-delà des performances exigées sur le terrain. Il faut garder en tête qu’aux Etats-Unis, nous offrons une garantie à vie, nos produits doivent donc être à la hauteur, sur tous les plans, il en va de notre engagement. Cela nous a donc obligé a encore plus de rigueur. C’était bien d’avoir un produit souple qui tombait bien, mais il fallait aussi qu’il dure, qu’il soit solide.
Le consommateur européen bénéficie-t-il de cette garantie à vie ?
Non, pour des raisons légales, les garanties sont sensiblement différentes d’une zone à l’autre. Mais nos produits sont les mêmes, où qu’ils soient vendus dans le monde. Aussi si nous nous engageons sur un tel niveau de garantie aux Etats-Unis, cela reste un sérieux gage de qualité à l’échelle mondiale.
Les prix des produits intégrant la technologie Futurelight restent élevés par rapport à la concurrence. Avez-vous l’intention, à terme, de les rendre plus accessibles ?
Dès février 2020, notre plan est que le début de gamme soit accessible à partir de 229$. Contre 450$ à l’heure actuelle pour notre veste la moins chère. Nous souhaitons que le plus grand nombre puisse en profiter.
La technologie Futurelight intègre du synthétique recyclé. C’est une première étape intéressante, mais jusqu’où pouvez-vous encore aller pour réduire l’impact de vos produits sur l’environnement ?
Nous pouvons aller plus loin, bien sûr. Notamment au niveau des fermetures (zips) qui pourraient gagner en recyclabilité par exemple. On peut aussi faire mieux au niveau des infrastructures de fabrication. Un autre axe de travail : réduire la consommation d’énergie et de produits chimiques utilisés pour la teinture et le traitement du tissu. Cela fait partie de nos objectifs à l’horizon 2020/24. Mais je pense que sur notre segment de marché, nous sommes déjà allés très loin, bien plus que nos concurrents.
Une innovation, une vraie, pas une amélioration ou une déclinaison de produit reste rare. A quelle fréquence une marque peut-elle raisonnablement en produire une ?
Well, j’espère que nous allons pouvoir reproduire ça encore et encore !
En fait, pour moi l’innovation intervient à deux niveaux. On parle d’innovation incrémentale, autrement dit une amélioration d’un produit ou service existant déjà, et d’innovation dite de « rupture ». Lorsque vous avez acheté votre premier Iphone en 2006, il s’agissait clairement d’une façon totalement nouvelle d’utiliser internet. Mais avec un peu de recul, disons que ça n’a pas changé fondamentalement les choses. En revanche, si l’on prend l’exemple de Tesla, Elon Musk a changé non seulement notre mode de transport, mais aussi nos valeurs, qu’il a bouleversées. Tesla nous a conduit à considérer nos choix différemment.
Au final, l’innovation incrémentale n’est pas très intéressante à mes yeux, ce n’est pas très intéressant non plus pour The North Face. Une innovation de rupture est très difficile, mais je pense que nous avons quelques idées et concepts qui vont nous permettre de continuer à innover rapidement. J’en suis totalement convaincu.
Dans quelle catégorie situez-vous Futurelight ? Innovation d’amélioration ou de rupture ?
Je pense qu’il s’agit d’une innovation « disruptive », de rupture. Elle remet en cause toutes les technologies utilisées à ce jour dans notre industrie, elle bouleverse le status quo. Elle offre au consommateur le choix d’un produit waterproof et respirant à la fois, une expérience radicalement différente. Sans compter que nous y parvenons sans rien sacrifier au niveau de l’environnement.
On atteint rarement ce niveau-là. Le dernier que j’ai en tête, c’est sans doute l’arrivée sur le marché de notre tente 2 Meter Dome. Sa structure était radicalement innovante … et elle reste la référence en matière de tente d’expédition.
Vous êtes passionné par l’art et le design. Dans quelle mesure cela vous a-t-il influencé dans l’élaboration de ce projet ?
J’ai travaillé dans le produit, mais aussi dans la pub, mais c’est dans ma relation à l’art, notamment à la peinture et à la sculpture que je trouve le plus d’énergie créatrice. Peintres et sculpteurs prennent plus de risque que quiconque. Ils s’identifient totalement à leurs œuvres.
Avec le produit, on travaille pour une marque. Et une marque a sa personnalité. Dans le cas de la pub, vous travaillez pour une marque qui a sa propre personnalité. Aussi ce que j’aime avec les artistes, c’est qu’ils ne cessent de prendre d’énormes risques pour sortir quelque chose de nouveau et de personnel. C’est cet esprit que je veux introduire dans ce projet. Je veux encourager les gens, mon équipe, à prendre des risques. Parce que, franchement, notre industrie (l’outdoor, ndlr) n’est pas un secteur qui en prend beaucoup ! Or j’ai vraiment été sidéré par le niveau d’implication et de prise de risque que The North Face a pris dans ce projet.
De là, à imaginer des collaborations avec des artistes et The North Face via Futurelight ?
Oh, là ! Nous venons tout juste de lancer le produit ! C’est un peu tôt pour se prononcer. Mais j’adore l’idée. Je la garde en tête.
Photo d'en-tête : Blake Jorgenson- Thèmes :
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