« Je n’avais vraiment rien pour devenir grimpeur, ni le physique, ni le mental », confie Alain Robert, l’un des grimpeurs français les plus connus du grand public, dans « Libre et sans attaches », sa biographie rédigée par David Chambre et Laurent Belluard. « Je me suis sacrément battu pour en devenir un, et ce sont toutes ces aventures précaires et initiatiques qui m’ont transformé et permis d’apprivoiser ma peur du vide. […] On est totalement à l’opposé de ce que notre société nous vend quotidiennement : la sécurité, le confort et la consommation à outrance ». Cet esprit contestataire l’a forgé, et ce, depuis ses débuts hasardeux sur les falaises du Diois, dans la Drôme, révèle cet ouvrage richement illustré dans lequel, à 62 ans maintenant, ce personnage haut en couleur se livre comme jamais.
La figure d’Alain Robert divise. Dans le monde de la grimpe et ailleurs. Lui-même l’avait reconnu dans une interview qu’il nous avait accordée. « Je peux aussi bien susciter l’agacement que l’intérêt. Mais je ne suis pas vu comme un délinquant » avait-il alors confié. « La célébrité, ce n’est pas quelque chose que j’avais anticipé, c’est un coup de bol ». L’un de ses buildings fétiches ? La Tour TotalEnergie, à La Défense, qu’il a gravie pour la quinzième fois fin septembre, accompagné cette fois de Seb Bouin, un falaisiste ayant l’habitude de signer des performances de très haut niveau. Une rencontre atypique et une ascension qui avaient suscité l’indignation de certains passionnés d’escalade, quelque peu surpris par la mise en avant de l’un des géants du pétrolier.
« Le style et la difficulté des voies qu’il a parcourues en solo intégral restent inégalés. »
Mais Alain Robert, c’est bien plus qu’un grimpeur de buildings. Derrière cet « homme aux 250 tours » se cache un personnage aux multiples talents, reconnu par ses pairs pour ses solos extrêmes sur le rocher, comme le souligne d’ailleurs Alex Honnold dans la préface de « Libre et sans attache », un ouvrage sorti le 16 octobre aux Editions du Mont-Blanc.
« Les escalades urbaines d’Alain sont parfois considérées comme un simple coup médiatique pour faire parler de lui », détaille le grimpeur américain. « D’une certaine manière, ce n’est pas faux, car Alain est un showman et il aime le spectacle. Il n’empêche que ces ‘cascades’ exigent des compétences exceptionnelles en tant que grimpeur. Durant les années 1990, Alain a parcouru en solo des voies rocheuses jusqu’au 8b, alors que le 8c était la difficulté maximale encordé. Cela signifie qu’il était prêt à mettre sa vie en jeu sur certaines des voies les plus difficiles du monde. Aucun autre soloïste n’a été aussi proche de cette ‘limite’ ».
« À titre de comparaison, mon solo d’El Capitan de 2017 était six degrés en dessous de ma limite technique (sur l’échelle de difficulté américaine) et de dix degrés inférieur au top mondial encordé – une différence significative par rapport à la marge d’un ou deux degrés seulement que prenait Alain » poursuit-il. « Le style et la difficulté des voies qu’il a parcourues en solo intégral restent inégalés ». Un palmarès imposant, largement détaillé dans l’ouvrage écrit par David Chambre et Laurent Belluard, deux auteurs réputés dans le monde de la grimpe.
Un gamin « terrorisé par le vide, par un peu tout d’ailleurs »
Les ascensions marquantes d’Alain Robert, les passionnés d’escalade les connaissent certainement sur le bout des doigts. Mais ce qu’ils découvriront certainement dans cet ouvrage, extrêmement bien illustré, c’est le passé du grimpeur français que rien ne prédestinait à être qui il est aujourd’hui. « J’étais un enfant timide et chétif. Donc, ce qui me faisait rêver, c’était de ressembler un jour à ces grimpeurs audacieux, mais aussi à Zorro, Robin des Bois ou d’Artagnan, tous ces modèles idéaux qui semblaient sans peur » confie-t-il dans « Libre et sans attaches ». « Gamin, j’avais une peur panique du vide. Une appréhension déraisonnable, ridicule, obsessionnelle. Pourtant, j’étais fasciné par l’héroïsme des alpinistes, surtout par celui du fameux personnage de La Neige en deuil. D’un côté, ma fascination et mon admiration pour ces hommes qui se jouent de la verticale et de la mort, de l’autre, la réalité, le petit gamin que j’étais, complètement terrorisé par le vide, par un peu tout d’ailleurs… »
L’escalade, il l’a découverte grâce à son père qui l’a envoyé en colonie dans le massif du Diois, non loin de sa ville natale, Valence. Malgré sa petite taille, il se révèle particulièrement doué. « Un jour où il rentre chez lui du collège, il s’aperçoit qu’il a oublié ses clés, et décide de rejoindre l’appartement familial situé au huitième étage en escaladant la façade par ses aspérités et ses balcons » racontent David Chambre et Laurent Belluard dans leur livre. « L’immeuble se nomme l’Ailefroide, en référence au célèbre pic du massif des Écrins. Cette première escalade solitaire à 11 ans, couronnée de succès, ravive son rêve d’enfant. Elle lui permet aussi de nouvelles rencontres grâce à sa notoriété locale d’ ‘aventurier’ ».
« La journée terminée, tu peux être content, tout simplement parce que tu es toujours en vie ! »
À partir de là, Alain Robert ne s’arrêtera plus. Il fera d’abord ses armes avec un copain, Pierre, dans le Diois. « Il y avait une grosse prise de risque parce que, avec tout ce que nous avions lu d’exaltant, l’escalade devait forcément être une activité dangereuse » raconte le grimpeur. « Notre conception se résumait ainsi : la journée terminée, tu peux être content, tout simplement parce que tu es toujours en vie ! Une philosophie qui ferait hurler les éducateurs fédéraux, car on se trouvait aux antipodes de l’optique actuelle […] L’escalade agissait sur moi comme une thérapie : d’aussi loin que je m’en souvienne, je suis devenu grimpeur non par amour du sport mais pour la bravoure, le côté chevaleresque : mettre sa vie en péril. Et ça a marché ! »
« Face à la paroi, ma petite taille était gommée, comme ce manque d’assurance avec les autres qui m’empêchait de bouger, comme si je traînais un boulet » poursuit Alain Robert. « Bref, la multitude des peurs qui m’empêchaient d’avancer dans la vie avec assurance disparaissait au contact de la pierre et de la verticale ». La suite de carrière l’emmènera vers les plus hauts buildings du monde, il n’en perdra pourtant jamais l’amour du rocher. Encore moins son côté contestataire.
« Intimement liée à la nature, l’escalade apportait à ces jeunes dont je faisais partie, la valeur ajoutée de la prise de risque, d’un risque surmonté par l’alliance des forces du physique et du mental. En découlaient une éthique, une philosophie et en tout cas un art de vivre qui se positionnaient facilement en décalage de la société d’alors » explique-t-il. « Aujourd’hui, les choses ont bien changé : l’escalade n’est plus ce sport un peu marginal, mais l’une des activités scolaires les plus pratiquées et un nouveau sport olympique. Grimper est devenu banal. Nous consommons du sport ou de l’aventure comme on se sert dans les rayons d’une grande surface […] Ce que je dirais aux nouvelles générations ? Rêvez et faites tout ensuite pour réaliser vos rêves avant que l’argent et le système social ne vous absorbent. Foncez ! Il n’y a pas de mauvais parcours. Vivez juste la vie que vous avez envie de vivre ! »
Photo d'en-tête : Éditions du Mont-Blanc- Thèmes :
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