« Holy shit ! », « Putain de merde ! », s’est exclamé hier soir le réalisateur Jimmy Chin à l’annonce de l’Oscar attribué à son film Free Solo, avant de céder le micro à sa femme et co-directrice, Elizabeth Chai Vasarhelyi.
On se souvient qu’Elizabeth Chai Vasarhelyi s’était évertuée à expurger toutes les grossièretés de « Free Solo » lors du montage, mais elle n’a pas pu empêcher Jimmy Chin de lacher un « Holy Shit » retentissant hier soir à Los Angeles lors de la cérémonie de remise des prix. « Free Solo », chronique du solo d’Alex Honnold entamée en 2017, est le premier vrai film d’escalade à recevoir l’Oscar du documentaire. Le long métrage de 1h37 mn a déjà engrangé près de 19 millions de dollars au box-office et a remporté le BAFTA (British Association of Film and Television Arts) du meilleur documentaire il y a quelques semaines.
Le film repose sur l’intense présence d’Honnold face à la caméra et sur l’accès exceptionnel accordé à Chin et Vasarhelyi durant ses années d’entraînement, y compris lorsqu’il était à des centaines de mètres du sol, sans corde. Mais, comme « Le Funambule » qui a remporté un Oscar en 2007, le drame de « Free Solo » n’est pas seulement physique. Chin et Vasarhelyi auraient pu se focaliser essentiellement sur les risques de cet exploit hors normes, mais ils ont pris le parti de traiter l’expérience émotionnelle de Honnold, sachant que ses proches et sa petite amie Sanni McCandless avaient envisagé la possibilité de sa mort. Vasarhelyi a bien senti que Honnold était parfois inaccessible. Son intuition fait de ce film un grand film qui, à juste titre, touche le grand public.
Reste que l’escalade n’a jamais été un sport populaire aux Etats-Unis. Or, contre toute attente, les deux ascensions les plus populaires de la dernière décennie sont le solo libre de Honnold et la première du Dawn Wall d’El Capitan en 2015 par Tommy Caldwell et Kevin Jorgeson, couverte pas à pas dans le New York Times.
Un infime pourcentage de grimpeurs peuvent prétendre réussir El Cap, et ceux qui pourraient réaliser un parcours en solitaire sont moins nombreux encore. Aussi l’avenir risque-t-il d’être assez confus pour les grimpeurs. Après le Dawn Wall, ils n’ont eu de cesse de rappeler que Caldwell et Jorgeson avaient libéré la grande voie la plus difficile au monde, mais pas la plus difficile en solo libre ni la plus difficile en escalade sportive.
L’accueil réservé à « Free Solo » auprès du grand public – qui voit dans tous les grimpeurs des casse-cou – a été légèrement différent de celui du monde de l’escalade. Le documentaire a déjà créé une certaine confusion sur le statut de Honnold. CNN a qualifié Honnold de « plus grand grimpeur de tous les temps »; le Washington Post a déclaré que « Free Solo » était un film d’alpinisme hors pair. Honnold est effectivement un bon sujet de documentaire, mais c’est bizarre que les non-initiés ne connaissent pas vraiment des grimpeurs exceptionnels tels que Adam Ondra ou Alex Puccio.
« Le solo libre, c’est nul, point barre ! », écrivait en 2017 Matt Samet, rédacteur en chef du magazine Climbing. « On y croise trop souvent la mort. Les grimpeurs savent combien ne sont pas revenus d’un solo intégral. « Climbing va continuer de couvrir Honnold, c’est incontournable », écrivait Samet, « mais sans grand enthousiasme. »
Tous ceux qui ont regardé « Free Solo » se sont probablement demandé comment un grimpeur aussi centré sur sa passion que Honnold avait pu tenir le coup lors d’une tournée de films commencée en septembre. Hier soir, après une soirée de fêtes pré-Oscars, Honnold a envoyé un texto disant qu’il se sentait bien et qu’il était touché que tant de gens aient vu le film. Les Oscars sont « la fin d’un très long voyage », écrivait-il. « On tourne avec le film sans arrêt depuis six mois, donc d’une façon ou d’une autre, c’est génial qu’il se termine enfin. »
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Photo d'en-tête : Jimmy Chin