Alors que l’Australie brûle toujours, on continue à s’interroger sur les causes de ce drame écologique. 2019 a été une année particulièrement critique : Amazonie, Sibérie, Californie, la planète n’a cessé de flamber. A contrario, en France, depuis trente ans, la situation s’est grandement améliorée. Quelles sont les raisons de ce succès ? La situation est-elle comparable à la situation australienne ? Décryptage.
Images satellites saisissantes, nouvelles tous les jours plus alarmantes, les incendies qui touchent depuis septembre le “pays-continent” émeuvent la planète. Et le bilan est lourd : plus de 10 millions d’hectares brûlés (soit un sixième de l’Hexagone), un milliard d’animaux décimés, au moins 25 personnes décédées, de nombreuses espèces végétales uniques au monde disparues et l’humain semble impuissant. Il l’est, assurément, et ce n’est pas le déploiement de 3 000 pompiers supplémentaires ou l’envoi de spécialistes étrangers (dont 5 Français) qui pourront arrêter les flammes. Seule la pluie le fera, mais elle se fait attendre plus que jamais.
Alors s’il est impossible de “guérir”, que peut-on faire ? Prévenir, autant que possible. C’est la stratégie sur laquelle a misé la France, et force est de constater qu’elle porte ses fruits.
Un bilan français positif, mais à nuancer
Si chaque été l’Hexagone doit faire face à des feux de forêt qui font la une des médias, la situation globale est en réalité plutôt satisfaisante lorsqu’on la compare à celle d’il y a 30 ans. Une étude de la Commission européenne, “European Forest Fire Information System”, datant de 2016 et reprise par l’AAF (Académie de l’Agriculture de France) le démontre : entre 1985 et 2015, on est passé de plus de 40 000 hectares brûlés à 10 000 environ. En Corse, le bilan est encore plus positif, passant de 12 000 hectares en moyenne dans les années 1980 à 2 000 aujourd’hui, soit une division par six.
Les résultats sont bons, mais comme le souligne l’AAF, “ces chiffres, bien que flatteurs, masquent quelques réalités très préoccupantes.” Lorsqu’on y regarde de plus près, on s’aperçoit que 95% des surfaces brûlées sont le fait de 5% des feux. La tendance, comme en Australie, en Amazonie, ou en Sibérie est aux grands feux dévastateurs – même si cela reste à l’échelle du territoire français.
Déjà, dès 2010, un rapport de la mission interministérielle « Changement climatique et extension des zones sensibles aux feux de forêt » mettait en garde contre ce qu’elle nomme les “mega-feux”. Selon ses prévisions, d’ici 2050, 50% des forêts françaises seront exposées à un fort risque d’incendie. Cause principale ? Le réchauffement climatique, qui favorise la transpiration des plantes et qui renforce le risque d’embrasement. Concomitamment, les espaces forestiers ne cessent de progresser dans l’Hexagone, et deviennent un autre facteur à prendre en compte. Dominique Morvan, chercheur à l’université Aix-Marseille et spécialiste de la propagation des feux de forêt, interrogé par le Huffington Post, ajoute : “Les espaces naturels, pour de nombreuses raisons, se développent de plus en plus, de même que les forêts. Notamment du fait de la réduction des activités agricoles.” Ce qui accroît mécaniquement le risque de feux immenses et incontrôlables.
La Corse, un exemple concret de solutions efficaces
Parmi les régions qui ont obtenu les meilleurs résultats, la Corse figure en bonne place. Différents axes d’action, qui ont permis la division par six des surfaces brûlées depuis les années 1980, pourraient faire des émules.
Première initiative, la création de comités “feux de forêt” dans les villages corses. Des bénévoles ayant une très bonne connaissance du terrain font un travail de surveillance et de prévention tout au long de l’année. En période de forts risques, ils se relayent pour surveiller 24h/24h la zone et intervenir très rapidement sur les départs de feux. Le reste du temps, ils participent à prévenir les incendies en nettoyant le maquis. L’implication des populations locales est un facteur essentiel qui explique ces bons résultats.
Ensuite, à une échelle plus large, la région a fait un gros travail de prévention en développant de nombreux pare-feux, particulièrement dans les zones de maquis où il y a peu d’activités agricoles. Ces pare-feux ont un double rôle : d’une part ils limitent la propagation de l’incendie, mais ils permettent aussi une meilleure accessibilité pour les forces d’intervention. Ce travail est complété par des brûlis préventifs.
Enfin, l’Université de Corse a mis en place depuis les années 1990 tout un programme de recherche – en collaboration avec entre autres l’ONF (Office National des Forêts), le CNRS et le Parc naturel régional de Corse – pour mieux comprendre les incendies et, in fine, trouver des solutions plus efficaces pour les prévenir et les contenir. L’accent a été mis en particulier sur la modélisation numérique, afin d’anticiper la propagation des incendies et d’aider les pompiers au sol et dans les airs, à s’organiser et être plus efficients.
L’Australie, le contre-exemple ?
Au regard de ces éléments, il est intéressant de faire le parallèle avec la situation australienne. Une récente polémique, reprise en France par l’énarque chirurgien et entrepreneur Laurent Alexandre – qui a fait fortune avec Doctissimo, a mis le doigt sur la soi-disant responsabilité des nouvelles normes environnementales dans les incendies de masse. Celles-ci empêcheraient de nettoyer convenablement le bush et donc auraient favorisé la propagation des incendies.
La situation est évidemment plus complexe. Si le travail de prévention, tel qu’il a été réalisé en Corse ou en France de manière générale, a peut-être été insuffisant dans certaines régions australiennes, à l’échelle du pays, les objectifs ont été plutôt respectés selon les chiffres de l’État australien. Il faut par ailleurs prendre en compte la taille du territoire : 14 fois la France, pour à peine 25 millions d’habitants…
Les incendies actuels sont surtout l’accumulation de facteurs de long terme liés au changement climatique, qui ont pris une résonance particulièrement dramatique ces derniers mois. L’année 2019 a été la plus chaude depuis 1910 en Australie selon le Bureau de météorologie, et les précipitations ont été particulièrement faibles. Dans ces conditions, le moindre départ de feu peut vite devenir incontrôlable. Reste à espérer que les pluies devancent les prévisions et arrivent en avance.
Photo d'en-tête : Kristen Honig- Thèmes :
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