Dans le nouvel épisode de sa websérie « Trip Roulette », qui vient de sortir, le snowboarder professionnel Victor Daviet nous emmène au Pakistan, où alpinistes, guide de montagne ou encore riders professionnels – tous membres de l’association Zom Connection – se sont envolés le 20 janvier 2021. Objectif : apprendre aux enfants pakistanais à skier, mais surtout, les former aux risques d’avalanche et autres dangers de la montagne. Nous l’avions rencontré, à son retour il y a presque un an, pour qu’il nous livre tous les détails de ses aventures dans la vallée reculée de Madaklasht.
Le 20 janvier 2021, c’est une « nouvelle aventure insolite » dans laquelle se lançait Victor Daviet au sein de l’association Zom Connection. Il partait au Pakistan pour apprendre aux enfants à skier – mais surtout, leur enseigner les gestes de secours en cas d’avalanche. Une première, dans la vallée « perdue au milieu de nulle part » de Madaklasht (2500 m), qui s’ajoutait à la récolte de plus de deux tonnes de matériel de sports d’hiver par Zom Connection, acheminée à l’automne dernier.
« Nous sommes en route pour le distribuer dans différentes régions du Pakistan, mais aussi et surtout pour transmettre notre passion et nos connaissances. Dans le cadre de ce voyage, nous tiendrons aussi des formations de secours en montagne, créant ainsi les premiers ‘Safety Shred Days au Pakistan’ », annonçait Victor Daviet lors de son départ, dans un post Facebook. Pour en savoir plus, nous l’avions interviewé alors qu’il était perché au milieu des montagnes pakistanaises, à quelques jours de son retour en France.
Quelle est l’origine de ce projet ?
À la base de ce voyage au Pakistan, c’est une association – Zom Connection – menée par Julien « Pica » Herry, un guide de Chamonix qui a fait pas mal d’expéditions au Pakistan. Il a monté cette asso suite à un accident qu’il a eu lors de sa dernière expé ici. Il s’est blessé dans une avalanche, suite à quoi il a voulu remercier les communautés qui l’ont aidé en créant Zom Connection, qui a pour but de récolter du matériel dans les Alpes et d’envoyer tout ça au Pakistan.
Cet automne (2020, ndlr), environ deux – voire trois – tonnes de matériels ont été envoyés : des skis, des snowboards, des patins à glace, des skis de fonds, etc. Tout a été acheminé ici, au Pakistan, et nous sommes là pour apprendre aux locaux à skier.
Avec qui es-tu parti ?
On est un groupe de neuf, avec des personnalités de disciplines différentes, comme Hélias Millerioux, guide à Chamonix et qui a reçu un Piolet d’Or ; « Pica » Herry, guide à Chamonix ; Gilles, le frère de Pica, moniteur de ski ; un très bon skieur de Chamonix qui s’appelle Papi qui est aussi moniteur de ski ; Mathieu Maynadier, guide de haute-montagne et alpiniste – très investi pour aider les porteurs pakistanais, comme l’a montré sa campagne de fonds en août 2020, ndlr. Et puis il y a notre équipe technique avec un caméraman, Jr Ceron, et un photographe, Arthur Ghilini, et un économiste.
Quel a été le programme de l’association cette année ?
Notre but était de nous rendre à plusieurs endroits au Pakistan. Tout d’abord à Malam Jabba, la plus grande station de ski au Pakistan où se déroulait une compétition internationale de ski. On y a distribué un peu de matériel, mais on a principalement entraîné les enfants en ski, en snowboard – et surtout, on a fait des démonstrations, car ils n’ont aucune référence. Ils n’ont pas vraiment Internet, et peu de skieurs internationaux sont venus dans la station.
Quand ils nous ont vu en démonstration, ils se sont dit « ah, mais c’est possible en fait ! ». C’était un très beau moment de partage avec les enfants, qui sont pour la plupart très pauvres. Ils ont eu accès à des paires de ski et au seul télésiège de la station gratuitement, parce que c’était des locaux. On leur a appris à faire du ski et du snow, et on les a entraînés pendant une semaine avant le début de la Compétition Internationale de ski et de snowboard du Pakistan. Et ce qui était trop mignon, c’est qu’un des enfants que j’ai coaché pendant deux jours a gagné la compétition – c’est un des plus beaux moments de snowboard de ma vie. J’avais la larme à l’oeil, à voir tout le village qui le portait en l’air, lui sur sa planche, à crier l’équivalent de « hip hip hip hourra ! » en pakistanais, c’était incroyable. Il avait 12-13 ans, à peine.
Il faut aussi savoir que le télésiège de la première station, où on était au début, est principalement utilisé pour les touristes pakistanais qui montent pour voir la neige et prendre des photos – mais il y a peu de skieurs.
Ensuite on a changé d’endroit, on est allés dans la vallée de Madaklasht – où on est actuellement. C’est le bout du monde, on est dans un petit village perdu dans la montagne. C’est là qu’on trouve la plus grosse communauté de skieurs et snowboarders au Pakistan – mais il n’y a pas de station de ski. Ici, les enfants ont appris avec des skis en bois, jusqu’à il y a trois ans. Depuis, l’armée amène petit à petit du matériel – et notre mission, c’était d’en ramener plus et de développer la pratique du ski, du snowboard, du hockey et du ski de fond.
À quoi ressemble cet endroit skiable ?
Pour le moment, c’est très rudimentaire. Il faut imaginer une pente, avec des espèces de terrasses construites pour l’agriculture. Ça fait comme des escaliers, comblés avec de la neige pour former la piste en hiver. Dans cette vallée, tout est plus ou moins cultivé, ce qui leur permet de se nourrir l’été et de faire des réserves pour l’hiver.
Comment ça se passe avec les enfants sur place ?
C’est assez fou. Tous les jours, il nous arrive des aventures pas banales. Il faut voir les gamins qui sautent dans tous les sens, qui sont prêts à tout pour avoir leur paire de ski le matin – car ils n’ont pas leurs propres ski, c’est un magasin de location qui leur offre les skis tous les jours. Ils ont une sacrée motivation.
D’autres font du parapente – et dès que les enfants voient une voile, ils sont comme des fous. Dès qu’un enfant atterrit, tu vois d’un coup quarante personnes autour de lui, c’est dingue.
On a aussi organisé une journée spéciale pour les filles – car c’est un endroit très conservateur, et les filles n’ont pas le droit normalement de pratiquer les sports d’hiver. On a quand même organisé cette journée, et on a eu le privilège de coacher des jeunes filles de moins de 16 ans. On a peu de matériel pour enfants, mais elles se débrouillent avec ce qu’elles ont, parfois des planches trop grandes, parfois elles sont encore en robe de nuit sans gants, c’est assez incroyable. Au début, j’avais seulement un groupe de trois filles. Étant en contact avec les chefs du district, ils ont autorisé une journée pour les femmes. À partir de ce moment-là, la nouvelle s’est vite ébruitée, et on s’est retrouvé avec toutes les filles devant notre ski-room. Elles étaient très motivées, malgré leur manque d’équipement. J’ai eu une vingtaine de filles en snow, il y en avait une trentaine au moins en ski.
Dans quel état d’esprit sont-ils ?
Comme partout, il y en a qui sont super motivés et très assidus. Mais la barrière de la langue pose beaucoup problème. Quelques uns parlent bien anglais, et peuvent faire les traducteurs.
Ils sont tellement excités que parfois, c’est compliqué de les canaliser. C’est comme si on leur apportait plein de jouets. Hier, certains se sont même battus pour être les premiers dans la queue, pour avoir les meilleurs skis. Il faut se dire que ça se passe « à la pakistanaise », c’est à l’arrache. Tu leur dis de venir à 10 heures, ils arrivent une heure plus tard.
Mais ils sont aussi très reconnaissants, ils savent qu’on leur ramène de très beaux « jouets », donc on est reçus comme des rois. Hier on était invités dans une famille, aujourd’hui dans une autre. Tout à l’heure, quand j’étais sur la piste, on m’a invité à prendre le thé dans une maison typique, en terre avec un toit plat, au milieu de la montagne, alors que j’étais en train de faire du ski de rando avec un des plus vieux du groupe. On m’a servi du lait et du yaourt frais, avec du lait d’une chèvre qui était là, juste derrière la maison.
Il faut aussi voir les chutes qu’ils se mettent. Ils y vont à fond, soit sur des skis en bois, ou sur des meilleurs skis. Ils dévalent la seule piste, et ils se foncent dessus les uns et les autres pour s’amuser, c’est la jungle.
Et toi, quels autres moments t’ont marqué ?
Les danses dans le village. Ils nous ont fait danser autour d’un feu, quatre soirs d’affilée, lors d’un festival de ski. Tu danses devant tous les officiels sur de la musique locale, c’était un moment fort.
Aussi, on est allé explorer un peu les montagnes ici. On fait des petites missions, quand on a un peu de temps dans la journée, souvent tôt le matin. Ce matin, par exemple, on est allé se faire une petite face ; puis on a appris aux gamins à faire du ski de randonnée. Puis ensuite on se divise chacun selon nos spécialités.
Les routes sont aussi impressionnantes, j’avais jamais vu ça. On roule sur une route en pierre, le chauffeur conduit comme un malade. Si t’as le malheur de glisser sur la glace, tu tombes dans un ravin. Tu comprends pas comment ils peuvent construire une station de ski vu la folie de leur route.
Tu as aussi rapporté de France le concept de « Safety Shred Day », une première au Pakistan. Comment ça s’est passé ?
On a ramené du matériel de sécurité. Ils ont de très grosses montagnes, donc très dangereuses. Hier, on a organisé le premier « Safety Shred Day Pakistan » (à l’image de l’événement français, à découvrir dans cet article ndlr). À la base, notre but c’était de développer les sports de montagne, mais il faut aussi développer leur expérience de la montagne et leur expérience en secourisme, les sensibiliser aux avalanches.
On a donc fait ce « Safety Shred Day », en un peu plus simplifié, avec une conférence le matin pour la partie théorie, et des ateliers pratiques l’après-midi pour les former aux avalanches. On a fait une prise en main du DVA (détecteur de victimes d’avalanches, ndlr), des recherches de DVA, du sondage, du pelletage, coupe du manteau neigeux, et analyse des risques. On leur a montré sur le terrain quels étaient les risques potentiels dans leur vallée.
Et puis on mêle ça ensuite aux entraînements. Aujourd’hui, par exemple, on a fait une sortie splitboard et ski de randonnée, et on leur a refait un brief sur la sécurité et les différents risques dans la vallée.
Que leur manque-t-il sur place ?
Du matériel. Il en manque beaucoup pour les adolescents et les enfants. Et puis des vêtements aussi. Mais c’est délicat sur une mission comme ça, d’arriver et de donner, parce qu’il n’y en aura jamais assez, et ça ne sera jamais équitable.
Ce qu’on va essayer de faire dans les prochains jours qui nous restent, c’est de louer un local pour le matériel, avec un employé de Zom Connection ou de la mairie ; et ensuite prêter ou louer le matériel – pour très peu cher, 5 ou 10 centimes. Ça permettra d’apprendre aux jeunes la valeur de ce qu’on leur loue. Parce qu’on arrive avec de beaux jouets, mais il n’y en a pas pour tout le monde.
Le but serait que ce local reste en place à chaque hiver, géré par des locaux en qui on aurait confiance, avec la mairie aussi. L’association est en contact depuis longtemps avec des partenaires sur le terrain. Ça permettrait de faire profiter du matériel qu’on apporte à toute la communauté – soit près de 500 skieurs et snowboarders, sur un village de 3000 habitants. Sachant qu’il doit y avoir 1000 skieurs au Pakistan, c’est comme si la moitié des pratiquants étaient de ce village. Le matin, quand on ouvre les portes, ça gueule dans tous les sens pour avoir ses skis en premier. On n’a qu’une quarantaine de snowboards, et une soixantaine de skis.
Quel est le prochain objectif ?
On voudrait faire évoluer le sport et leur vallée dans la bonne direction, en tenant compte de notre expérience. Là, ils veulent créer une station, ajouter un télésiège de 16 kilomètres. On leur a dit de faire attention, de respecter leur architecture locale, de ne pas construire des immeubles partout comme ça a été un désastre dans certaines stations françaises dans les années 1970. On essaye de les conseiller par rapport à ça, notamment aussi en termes d’environnement, de gestion des déchets. Mais c’est délicat. On ne peut pas arriver, passer 10 jours sur place, et leur dire de tout changer.
Et quelle est la situation actuelle des guides de montagne pakistanais ?
La montagne est encore peu développée ici. Il commence à y avoir quelques alpinistes connus au Pakistan. On a quelques guides pakistanais avec nous, qui nous disaient avoir été vraiment touchés par la crise du Covid. Ils vivent principalement des clients français et italiens. C’est très dur pour eux, toutes leurs expéditions sont annulées. Mais je pense qu’ils sont un peu plus « démerde », ils ont l’habitude que ce soit le bordel. Ce sont plus des accompagnateurs, sherpas et organisateurs d’expé que de vrais guides de haute-montagne.
Article initialement publié le 4 février 2021, mis à jour le 25 janvier 2022
Photo d'en-tête : Zom Connection