C’est en avocat du climat mais aussi en acteur majeur de l’univers de l’outdoor que se positionne plus que jamais l’ultra traileur le plus médiatisé de la planète et qu’il est intervenu à deux reprises cette semaine à l’occasion du salon européen de l’outdoor, ISPO. Poursuivant le travail de sa toute jeune fondation, Kilian rappelle la responsabilité de l’industrie de l’outdoor, une des plus polluantes de la planète, mais aussi une des plus sensibles aux enjeux environnementaux. Quels sont les priorités aujourd’hui dans l’énorme chantier qui nous attend ?Comment agir ? Quel impact sur le calendrier des compétitions ? Il répond à tout avec l’enthousiasme qui le caractérise dans une longue interview accordée à ISPO, dont nous publions ici de larges extraits, ainsi que dans un « live » organisé jeudi, disponible aujourd’hui en replay.
Comment il a vécu le confinement
« Ici, (en Norvège, où il réside, ndlr), nous n’avons pas eu de gros problèmes concernant le virus ici. Mais 2020 a été assez étrange. Je voulais essayer de courir davantage sur du plat, puis je me suis blessé et j’ai dû récupérer. Mais le bon côté de toutes ces restrictions, c’est qu’en temps normal, nous voyageons loin, or cette année, c’était le bon moment pour explorer ma région, les montagnes norvégiennes. Nous avons pu sortir assez souvent, comparé à beaucoup d’autres pays. »
Pourquoi il s’est lancé dans la course sur route
« Aucune expédition n’a été possible en 2020, nous avons dû tout annuler. Je voulais donc essayer quelque chose de différent, m’entraîner différemment, apprendre des choses différentes – et utiliser ce que je pouvais en retirer pour l’appliquer à d’autres activités en montagne. »
Sa tentative du record des 24 h sur route
« Cela ne s’est pas très bien passé. J’ai eu quelques problèmes de santé, des douleurs à la poitrine. Je ne sais toujours pas exactement ce qui s’est passé. Mais au final cet entraînement a été très intéressant. J’y ai beaucoup appris sur la nutrition et sur les rythmes de course. »
Sa gestion des risques en montagne, maintenant qu’il est père
« Cela n’a pas vraiment changé grand chose. Depuis, je suis parti dans l’Himalaya, j’ai fait quelques expéditions en Norvège. J’ai toujours essayé d’être aussi objectif que possible, compte tenu de mes capacités et des conditions. Quand je prends un risque, j’en connais les conséquences – et je les accepte. Mais c’est la même chose pour d’autres choses : quand je conduis une voiture par exemple. Même lorsque je m’entraînais pour la course sur route, j’avais besoin de courir deux ou trois jours en montagne – j’en ai besoin pour ma santé mentale. »
L’impact de la pandémie sur son quotidien
« Les voyages ne me manquent pas du tout. Mais la haute altitude oui. Le temps que vous passez seul en haute montagne. D’un autre côté, c’était vraiment cool d’être à la maison et de courir dans les montagnes, tout près de chez moi. Quand on voyage, on perd tellement de temps dans les transports, alors que j’aime m’entraîner tous les jours, être dans les montagnes tous les jours. »
Le planning des courses, son impact sur l’environnement et l’action de chacun
« Il est nécessaire que chaque athlète s’engage personnellement. Je connais un type qui a décidé de ne pas prendre l’avion pour aller courir, de ne pas créer plus de trois tonnes d’émissions de carbone par an. Mais chaque athlète doit être en phase avec ses propres choix. Bien sûr, c’est plus facile pour moi. Je n’ai pas besoin de faire autant de courses et de voyager autant qu’un jeune traileur par exemple.
D’un autre côté, il est important de savoir comment nous structurons le calendrier des compétitions. Devons-nous perpétuer le même type d’événements dans différents endroits du monde ? Pourquoi ne pas lancer d’autres formats et imaginer des courses plus locales, où l’on obtiendrait une sorte de qualification pour une finale internationale. Organiser des compétitions de haut niveau au niveau local et des compétitions internationales une ou deux fois par an seulement. Nous devons promouvoir ce concept auprès des fédérations et des organisations afin d’éviter autant que possible le format actuel de circuit mondial. Il serait ainsi beaucoup plus facile pour les athlètes de limiter leurs déplacements. Cela pourrait être un bon exemple pour tous les sports qui ont le même modèle. »
Concrètement, comment les choses commencent à bouger
« Le sujet commence à être posé sur la table. C’est la première étape, et elle est importante. Les résultats des enquêtes sur le circuit mondial des courses montrent que la question de l’environnement suscite énormément de questions et de commentaires. Je pense que dans les quatre ou cinq prochaines années, beaucoup de choses vont bouger, car les athlètes sont nombreux à se préoccuper de l’urgence climatique. Je sais que d’ici là, nous aurons les moyens d’en discuter avec les fédérations afin de changer le modèle actuel.
Son rôle en tant qu’athlète sponsorisé et très médiatisé
Le rôle d’un ambassadeur (pour une marque, ndlr) ne doit pas se limiter à faire du placement de produits. Le plus important est de défendre et de pousser la marque à être meilleure en termes de performance. Lors d’une discussion avec les ingénieurs sur un sac à dos, par exemple, poser les bonnes questions : Quels sont les matériaux de base ? D’où viennent-ils ? Est-il possible de remplacer ces matériaux d’origine par des matériaux recyclés ? Comment est conçu le sac ? Comment est-il coupé ? Est-il possible de recycler le produit par la suite ? Y a-t-il une certaine modularité ? Les athlètes doivent intervenir sur le design ainsi que sur le cycle du produit. Nous devons nous demander : quelle est la politique de la marque en matière de durabilité ? S’agit-il uniquement de marketing ? À quoi ressemble la chaîne d’approvisionnement ? Quelle est la durée de vie de l’équipement ? Existe-t-il des modèles commerciaux comme celui du produit d’occasion par exemple ? La marque communique-t-elle à ce sujet ? C’est notre rôle en tant qu’athlètes de pousser la marque à le faire.
L’évolution de son rôle chez Salomon
« En 2007 (date du début de sa collaboration avec la marque, ndlr) le développement durable était un sujet mineur. Marginal. Aujourd’hui, c’est le contraire. La durabilité est un enjeu majeur. Certaines marques vont plus vite, d’autres moins, mais toutes vont dans cette direction, ce qui est une bonne chose. Dans l’esprit des logiciels libre, je pense qu’il est important de partager les ressources, de partager les connaissances ; par exemple sur les matériaux sans PVC.
L’évolution du matériel depuis 2007
Les chaussures étaient très lourdes à l’époque, mais il y avait déjà de très bons produits. La grosse différence, c’est que nous n’avions qu’un seul et unique modèle pour tout faire, alors qu’aujourd’hui nous avons de nombreux modèles différents selon les terrains et pratiques.
L’objectif de sa fondation
L’objectif de ma fondation est la préservation des montagnes et de leur environnement. J’ai pensé que je pourrais utiliser ma voix pour lancer un débat sur l’environnement et la durabilité dans les montagnes. Nous travaillons sur plusieurs axes. L’une d’eux est le financement de la recherche, car nous devons savoir quels sont les meilleurs outils pour lutter contre le changement climatique ou pour préserver la biodiversité. Le deuxième, c’est la sensibilisation, pour expliquer pourquoi nous devons préserver l’environnement en montagne – et comment nous pouvons le faire. Cela concerne le grand public, mais aussi les marques et les institutions. Le troisième axe, ce sont les actions directes : les problèmes locaux ou saisonniers, que nous essayons de résoudre, en plantant des arbres par exemple, ou en nettoyant une zone de plastique. Tous ces projets peuvent être lancés directement par la fondation, ou faire l’objet d’une collaboration avec d’autres organisations.
Pourquoi le sport peut jouer un rôle capital
« Nous vivons aujourd’hui une période où nous sommes confrontés à de nombreux problèmes. Nous avons besoin d’une société plus forte, plus saine, pour pouvoir faire face à des problèmes majeurs, notamment l’épidémie de Covid-19. Le sport n’est pas seulement une question de plaisir et de divertissement. Nous devons faire valoir que le sport est une question de santé. C’est un point sur lequel le sport a un rôle majeur. Et le sport, c’est aussi la santé mentale. Être à l’extérieur, seul ou avec d’autres personnes, est important pour la santé mentale, surtout à une époque où nous sommes contraints de vivre en quarantaine ou en confinement et de passer beaucoup de temps à l’intérieur.
Par ailleurs, le sport est intimement lié au monde dans lequel nous voulons vivre. En ce qui concerne les sports de plein air : nous voulons faire du ski – nous avons besoin de neige. Nous voulons faire de la course sur piste – nous avons besoin de montagnes. Nous voulons surfer – nous avons besoin d’un océan propre. Si vous voulez pratiquer ces sports, vous devez aussi mettre toute votre énergie pour protéger ces terrains de jeu (…).
Voir ou revoir le live organisé par ISPO le jeudi 4 février
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