A peine rentré de Tokyo, pourquoi le champion français a-t-il annoncé qu’il mettait un terme à sa carrière de surfeur pro ? La question est sur toutes les lèvres depuis lundi. Devenu père en 2018, les priorités du surfeur semblent avoir changé. « Le sport de haut niveau, c’est du sérieux. Il y a tellement de choses qui se passent derrière les rideaux. C’est intense, ça demande énormément d’énergie et un mode de vie très strict » explique-t-il dans une longue interview accordée à la FFS. Le stress, la pression de la compétition, les moments sombres, l’évolution du surf… Jérémy Florès, homme entier sur la planche comme dans la vie, revient sur son formidable parcours et dévoile ses projets d’avenir.
Né à la Réunion, non loin des plages, Jérémy Florès a commencé à surfer avant même de savoir nager. “À l’époque, je voulais être surfeur professionnel, même à 10 ans (…) Moi, j’avais pas de plan B, il fallait que je réussisse dans le surf” confie l’athlète, sponsorisé par Quicksilver dès l’âge de 9 ans, lors d’un interview pour le podcast Impact Zone. À 33 ans, après avoir passé 14 saisons sur le circuit pro et remporté de nombreux victoires emblématiques faisant de lui le meilleur surfeur français de tous les temps, il a annoncé le lundi 10 août mettre un terme à sa carrière professionnelle via un post Instagram.
Jérémy Florès a incontestablement marqué l’histoire du surf. Au-delà de ses nombreux victoires – deux au Pipe Masters à Hawaï et une au Pro France à Hossegor en 2019 – on retient surtout sa force de caractère. « J’ai essayé de rester vrai, le plus possible toutes ces années, des fois un peu trop même. Cela a pu me jouer des tours mais ça valait toujours le coup » explique l’athlète qui a été suspendu 40 jours en 2014 pour propos injurieux dans la tour des juges. Récemment, il devait se satisfaire d’une 9e place aux Jeux Olympiques de Tokyo, moment historique où le surf intégrait les JO, réussissant tout de même à placer le premier tube olympique.
Après son annonce avant-hier, il a donné une longue interview à la Fédération Française de Surf revenant sur l’ensemble de sa carrière.
Pourquoi cette décision d’arrêter la compétition alors que tu figures toujours parmi les meilleurs surfeurs au monde et que tu n’as « que » 33 ans ?
« J’ai pris ma décision en début d’année. Avant même le début de la saison WSL. Je m’étais déjà posé la question d’arrêter il y a quelques années, mais je n’avais jamais été totalement sûr. J’étais juste fatigué et démoralisé. J’ai commencé jeune, j’ai été très jeune sur le tour mondial, j’ai dépensé beaucoup d’énergie. Le stress, la pression, les résultats, les points, etc… Tout ça m’a pesé pendant longtemps. Cette fois, je n’ai jamais été aussi sûr de moi : je suis certain à 100% que mon choix est le bon. »
Le stress et la pression, c’est le jeu quand on fait du sport à haut niveau…
« Oui. Sauf que moi j’ai vraiment débuté très jeune. Donc j’ai eu plusieurs périodes où j’ai pensé arrêter. Mais à chaque fois, le compétiteur en moi disait : « Le feeling de gagner est plus fort que tout ». Et comme je détestais toujours autant perdre, que j’avais encore ce feu intérieur, je continuais. Et puis, soyons honnête, j’avais peur à l’époque que ça me manque. Plus aujourd’hui. »
Qu’est-ce qui t’a finalement fait prendre cette décision ?
« La saison blanche en 2020. Cette année off à cause du Covid aura été une année incroyable. Évidemment, je pense à tous ceux qui ont souffert de la pandémie. Mais pour moi, 2020 a été une année exceptionnelle car je suis resté des mois et des mois avec ma compagne et ma fille. Financièrement ça n’a pas été terrible, mais j’ai été si heureux de passer du bon temps avec ma famille. J’ai vécu plein de belles choses que je n’avais plus connu depuis gamin. Le début de cette année-ci a confirmé que c’était ce que je voulais désormais vivre. Le feu en moi était moins fort, j’avais moins la motivation ».
On t’a effectivement vu moins guerrier sur les CT australiens…
« Ce n’est pas un secret de dire que je m’entraîne moins. Je suis moins affûté et je donne l’opportunité aux autres de me battre. En début de saison en Australie, j’ai perdu des séries que je n’aurais jamais perdu avant. Ça m’a énervé. Je ne voulais pas devenir ce surfeur qui se laisse battre par n’importe qui ».
La qualité des vagues en Australie n’a pas non plus été celle que tu affectionnes.
« C’est ça. Désormais, les conditions sont même souvent assez médiocres sur les CT. Et comme je suis meilleur dans les belles vagues, je galère vraiment quand c’est petit. Et puis on le sait, je suis dépassé avec les manœuvres aériennes. La direction que prend le surf ne me correspond plus. J’ai vécu les plus belles années du Dream tour. C’étaient des épreuves de dingue dans des vagues de dingue, avec une mentalité plus familiale. L’ambiance était exceptionnelle. Si le surf a aujourd’hui pris une ampleur phénoménale, je ne me reconnais plus dans ce monde-là ».
C’est donc toutes ces raisons qui te font arrêter ?
« Oui, c’est tout ça. Mais ma famille est bien la raison numéro 1. Mon rôle aujourd’hui est d’être un père de famille, un bon papa. Ma priorité est que ma fille et ma compagne aillent bien. Du coup, je ne suis plus assez focus sur la compétition. Au plus haut niveau, tu ne dois t’occuper que de toi. Si tu penses davantage à ta famille qu’au surf, tu ne gagnes plus. Je ne me voyais pas non plus partir des semaines ou des mois sans elles. J’ai donc décidé de dire stop ».
Tu as plusieurs fois hésité à t’arrêter. Tu aurais pu prendre ta « retraite » il y a 4-5 ans déjà. On se souvient de ces années où tu n’avais plus la flamme. Qu’est-ce qui t’a fait tenir jusqu’à aujourd’hui ?
« Il y a eu des moments où je n’avais plus le moral. J’avais même des côtés sombres… J’étais dépressif, j’avais des crises d’anxiété. Il y avait trop de monde focalisé sur moi, j’avais tous les projecteurs sur moi, les médias ne parlaient que de moi. Tout ça me pesait et je ne le supportais plus. Mais à aucun moment je n’ai eu envie d’arrêter le surf. C’était ma passion, et c’est toujours ma passion. Mais c’était mon métier aussi. Le seul que je n’ai jamais eu. C’est ça qui m’a fait tenir. J’ai arrêté l’école très tôt, je n’ai pas de diplôme, le surf est toute ma vie et je la gagne en surfant. Je viens d’un milieu modeste, j’ai fait d’énormes sacrifices pour arriver où j’en suis. Ça aurait été dommage de tout arrêter, de tout jeter en l’air à cause d’un coup de mou il y a quatre-cinq ans. Quand j’ai su que j’allais être père de famille (en 2018, ndlr), je me suis dit que je ne pouvais pas faire autre chose que surfer au risque de mettre en danger ma famille. J’ai arrêté de pleurnicher et je suis reparti de l’avant ».
Tu t’es confié il y a quelques temps sur ces années très difficiles que tu as vécues. A l’image de sportifs qui en parlent ouvertement aujourd’hui, comme la Japonaise Naomi Osaka ou la gymnaste Simone Biles, tu as souffert psychologiquement…
« Devenir sportif de haut niveau est un choix qu’on fait quand on est jeune. J’ai eu la chance de le devenir grâce à ma passion. C’était un rêve absolu. Et puis le surf est un sport plutôt cool. Mais tu donnes tellement d’énergie, tu veux tellement bien faire, tu es si focalisé sur un but unique, qu’à un moment tu peux exploser. Tu ne peux pas être tout le temps parfait. Le sport de haut niveau peut t’atteindre psychologiquement. J’ai effectivement vécu des moments très difficiles. Quand tu atteins un tel niveau, que tu es en permanence cité en exemple, tu veux toujours montrer une image de quelqu’un de fort. Mais quand tu rentres à la maison, ce n’est plus la même chose… »
On referme cette page et on parle des moments magiques de ta carrière. Si tu pouvais dresser une liste hiérarchique, que mettrais-tu tout en haut ?
« (Il souffle) Si on m’avait dit petit que j’allais faire ne serait-ce que la moitié de ma carrière, je n’y aurais pas cru. Je viens de La Réunion, une petite île, j’ai grandi à Madagascar, je suis d’un milieu modeste. J’ai connu beaucoup de succès mais le plus grand moment est ma victoire au Quiksilver Pro France à Hossegor (en 2019, ndlr). C’est la consécration de toute ma carrière. J’ai eu tellement de pression et tant de déceptions sur cette épreuve, qui m’a échappée pendant si longtemps, que la gagner est ma plus grande réussite sportive. En plus sur une de mes dernières années, devant ma famille, le public français, les gens qui m’ont toujours soutenu, c’était le rêve. L’aboutissement de toute ma vie ».
Tu la mets au-dessus de Pipeline ?
« En termes de prestige, Pipeline est au-dessus. Quoi qu’il arrive, mon nom restera à jamais gravé dans l’histoire du Pipe Masters. C’est comme pour un tennisman qui voit son nom à jamais gravé sur le trophée de Wimbledon. En plus à deux reprises ! Mais sur un plan personnel, le Pro France reste au-dessus de toutes mes victoires. C’est mon Roland-Garros. Je suis le seul Français à l’avoir gagné, c’est ma fierté ».
Teahupo’o que tu as gagné en 2015 revêt aussi un certain prestige car c’est aujourd’hui l’épreuve ultime du tour mondial. D’autant que tu habites à Tahiti…
« Oui, Tahiti est vraiment spécial. Ma femme est Tahitienne, ma fille est Tahitienne. C’est mon endroit préféré au monde. Gagner là-bas était à la limite du spirituel. C’était juste après mon accident en Indonésie (double fracture de la pommette et 35 points de suture au visage, ndlr). Quelques semaines auparavant, on m’avait dit que je ne re-surferais peut-être plus… Cette victoire a été très spéciale pour toutes ces raisons ».
Tu as aussi été champion du monde ISA en 2009 au Costa Rica, et deux fois champion du monde des nations avec l’équipe de France, à Biarritz en 2017 et au Salvador en juin dernier…
« J’en suis très fier aussi. Ces victoires sont celles de la famille du surf français. Et de ma famille tout court car j’ai pu les partager avec mon père, coach des équipes de France. Il était avec moi à mes débuts, et il m’a ensuite laissé vivre ma carrière pro tout seul. Ça a toujours été génial de le retrouver avec les équipes de France et de gagner avec lui ».
Peux-tu nous parler de tes débuts et de ton accession sur le CT à 18 ans ?
« Je n’étais pas censé me qualifier aussi tôt. 2006 était ma première année complète sur le circuit de qualifications et je gagne le QS ! Je n’y croyais pas. Je ne savais même pas si j’étais prêt pour le CT. Mais j’étais tellement excité à l’idée d’aller sur le tour et de surfer avec mes idoles. Je ne m’attendais même pas à gagner une série, mais plutôt à faire dernier du classement (rires). Je ne savais vraiment pas ce que j’allais faire. Du coup, je suis arrivé sans aucune pression ».
Et tu boucles cette première année sur le CT à la 8e place mondiale…
« Les gens ont dit pas mal de choses sur moi avant cette première année sur le CT : « J’étais trop jeune, je n’avais pas de puissance, je n’étais bon que dans les petites vagues ». J’ai remarqué il n’y a pas si longtemps que j’ai toujours performé quand on me descendait. A l’inverse, à chaque fois que j’étais mis sur un piédestal, je me cassais la gueule. Pour faire mentir tous ces gens, j’ai voulu prouver que j’avais ma place sur le tour, prouver que le surf français pouvait rivaliser avec les meilleures nations du monde. Prouver que j’étais bon dans les grosses vagues. Ça a été une motivation énorme. En 2007, les gens ne connaissait pas mon surf. Les vagues parfaites, les vagues solides, le reef, … c’est toute ma vie ! Si je ne savais pas où j’allais en arrivant sur le CT, je savais en revanche que les étapes allaient me convenir ».
La suite n’a pas été aussi linéaire, on pense notamment à ta 24e place en 2009, à la 33e en 2014…
« Après cette première année, tout le monde me voyait partir pour le titre. On m’a mis une pression de dingue. Que j’ai détesté. Un an plus tôt j’allais vite dégager car j’étais trop jeune, voire parce que j’avais eu de la chance de me qualifier… L’année d’après, j’allais être champion du monde ! Je faisais la Une de L’Équipe, les gros médias français parlaient de moi. J’avoue avoir eu du mal à gérer car je ne voulais pas décevoir. Je me suis pris la tête tout seul. J’ai eu des hauts et des bas. Ma carrière a été comme des montagnes russes. Et si j’ai très souvent navigué autour du Top 10, je n’ai jamais su gérer la pression quand je me suis approché du Top 5″.
Penses-tu être passé à côté de certaines choses en faisant ces fameux sacrifices pour être focus sur une réussite sportive…
« Oui. J’ai tellement été à fond dans ma bulle que je suis devenu très égoïste. C’est ça le haut niveau. Si tu veux réussir, il faut être égoïste. Tout ce que tu veux c’est réussir, et ne penser qu’à toi. Qu’à ce que tu dois faire. Malheureusement, la contrepartie est qu’il n’y a plus tes vrais proches autour de toi. Même la famille, tes amis d’enfance, ne sont plus là. Tu ne t’en rends pas compte mais tu les as écartés sans faire exprès. Bien sûr, la famille et les vrais amis vont toujours revenir vers toi quand tu auras besoin d’eux mais, moi, quand je m’en suis aperçu, ça m’a fait très mal. On en revient à ce que je disais tout à l’heure, à ces moments où j’étais dépressif, où j’avais des crises d’anxiété. Je me suis dit : « Est-ce que la compétition vaut le coup de perdre ce lien avec mes proches ? » J’ai mis du temps à reconnecter avec eux. J’ai eu beaucoup de mal à digérer cette période. Ça a laissé des traces. Ce qui m’a complètement remonté le moral, c’est la naissance de ma fille. Ça a mis un boost incroyable à ma vie. C’est comme si je renaissais. Et ça m’a rapproché énormément de ma famille ».
Tu parles de la famille, on pense forcément à ton père. Il a joué un rôle immense dans ta carrière. Il t’a façonné, couvé, coaché…
« Oui, oui. Ça a surtout été une relation… explosive (rires). Très jeune, ça a été très compliqué. Cette relation père-coach était particulière. Mais j’étais tellement en demande. Tout petit, je voulais être surfeur pro, vivre du surf. A l’époque, c’était un pari fou. C’était mission impossible. Mon père connaissait le haut niveau, il avait fait du surf, du foot, du rugby. Le sport était toute sa vie. Il m’a prévenu avant qu’on ne commence tous les deux : « Tu viens d’un milieu différent, tu vas en chi… si tu veux réussir, je vais devoir te faire travailler deux fois plus que les autres. » Il m’en a fait baver. Mais c’est moi qui lui donnais à chaque fois le fouet pour que je réussisse. Avec le temps, je sais que c’était l’unique manière de réussir ».
Sans lui, tu n’aurais donc pas réussi à un tel niveau ?
« Je le dis clairement : sans lui, je n’aurais pas eu cette carrière. Si j’ai eu cette réussite, si on me respecte depuis des années, c’est parce que j’ai ce caractère, transmis par mon père, qui est de ne jamais rien lâcher. Être un battant, ça vient de mon père. Il m’a donné des valeurs. Des sportifs et des surfeurs talentueux, il y en a des dizaines de milliers. Mais il faut autre chose que le talent pour y arriver. Souvent, on me demande pourquoi on n’a pas plus de bons surfeurs en France. A quoi je réponds qu’ils sont très bons mais que la différence se fait par le mental. C’est ce que j’explique aujourd’hui aux jeunes et à leurs parents ».
À 16 ans, ton père décide pourtant de te laisser seul face au circuit professionnel. Un choix très dur qui t’a marqué, non ?
« Il a fait ce choix de me laisser affronter par moi-même la réalité et le monde du très haut niveau. Je me souviens avoir halluciné sur le moment. On était si proches, on faisait tout ensemble et, subitement, il m’a dit qu’il fallait que je me débrouille seul. J’ai quand même flippé, je ne savais pas si j’allais réussir sans lui. Finalement, c’était une très bonne décision de sa part parce qu’il savait que j’étais bien entouré. Il ne m’a pas abandonné. Il m’a mis entre les mains de gens de confiance comme Pierre Agnès (le PDG de Quiksilver disparu en mer en 2018, ndlr), qui a été mon deuxième père. Mais aussi des personnes comme Fred Robin ou Miky Picon. J’ai aussi eu la chance de voyager avec Kelly Slater. Bref, avant de se retirer, mon père avait tout calculé en me mettant dans d’excellentes conditions. Il n’avait rien laissé au hasard ».
Il est quand même resté proche de toi et a continué à te dire les choses qu’il fallait que tu entendes…
« Oui, et c’est bien le seul qui m’a toujours dit la vérité en face. Que je gagne ou que je perde. Il m’a toujours mis les coups de pieds au c… pour me re-motiver. Quand j’ai voulu arrêter, il y a quelques années, il m’a rappelé que l’histoire n’était pas encore terminée. Que j’avais des devoirs. Psychologiquement, il a toujours été là. Aux JO le mois dernier, il m’a parlé et remonté le moral entre le premier tour et les repêchages quand j’étais vraiment au fond du seau. Il m’a regardé et m’a dit : « Tu ne vas pas perdre comme ça. Ne lâche rien ! Pas maintenant ! »
Tu as commencé avec lui, tu termines avec lui. Vous avez vécu, ensemble, les Jeux Olympiques le mois dernier à Tokyo, et il sera à Tahiti dans quelques jours pour ta dernière compétition.
« C’était très important de vivre ça ensemble. Aux Jeux, j’ai vécu un truc de dingue. Mon père était au bord et me coachait comme quand j’étais gamin. J’étais dans ma compet’ mais j’en ai eu des frissons… Il ne l’avait pas fait depuis mes 15 ans. C’était dingue de le voir me faire des signes pour aller à gauche, à droite. J’ai kiffé ce moment ! »
Mick Fanning en 2019, Julian Wilson et Adriano De Souza cette année. Tous les « vieux » quittent le tour. Est-il temps pour cette génération de tourner la page ?
« J’en ai parlé avec Julian (Wilson) le mois dernier, quand il a pris sa décision, et on est tous les deux sur la même longueur d’onde. On a vécu les plus belles années du surf professionnel. Il y a 10-15 ans encore, il y avait sur le tour un vrai esprit de camaraderie. On formait une famille et on allait sur des destinations de rêves, à surfer des vagues de rêves. Le sport évolue. La vie et le monde évoluent. Ça ne pourra plus jamais être comme ça. D’un côté c’est bien car ça créé des opportunités pour beaucoup de jeunes. Mais en même temps, c’est triste car ces jeunes ne connaîtront pas l’esprit d’avant. On était tous de vrais pros mais avec un esprit surf. Et, qu’on perde ou qu’on gagne, on se retrouvait tous après pour rigoler. Aujourd’hui, le tour est aseptisé. Chaque surfeur a son entourage avec son coach, son manager, son kiné, son nutritionniste… Il y a de moins en moins de relations entre nous. On perd l’ADN du surf ».
Est-ce aussi pour cela que tu as énormément voyagé avec Michel Bourez ces dernières années, lui qui est aussi sur le tour depuis plus de 10 ans ?
« On fait partie des derniers à avoir cet esprit où il faut savoir déconnecter et déconner, comme on l’a toujours fait. Ça nous a fait du bien à tous les deux d’être ensemble. D’avoir un pote aussi proche, ça m’a boosté. C’était très important pour moi ».
Tu boucles ta dernière saison avec une participation aux premiers Jeux Olympiques, dont on parlait plus avant. Une expérience à part qui, si elle n’a pas été accompagnée de la réussite que tu attendais, t’a ému, notamment au travers de l’engouement que les JO ont suscité…
« Je suis hyper heureux d’avoir vécu les Jeux Olympiques avant de m’arrêter. C’est le plus gros évènement sportif au monde. Ça m’aurait déçu de ne pas y participer après tout ce que j’ai connu. J’ajoute cette expérience à toutes les autres. Et, oui, il y a eu un énorme engouement autour du surf, autour des Français. J’ai reçu des milliers de messages et ce que je retiens ce sont tous les remerciements. Tout au long de ma carrière, les messages étaient : « On compte sur toi, il faut que tu gagnes ! » Aux Jeux Olympiques, on m’a dit et écrit : « Tu as déjà gagné. Merci de nous représenter ». Ça m’a vraiment touché. J’ai tout donné là-bas. Ça n’a pas suffi mais j’en retire une sacrée expérience. Dommage que les vagues n’aient pas été à la hauteur. Les conditions ont pu être contre-productives pour la promotion de notre sport. A tous ceux qui ont fait la moue pour l’entrée du surf aux Jeux, je leur donne rendez-vous en 2024 à Tahiti, pour qu’ils comprennent ce qu’est le surf sur la plus belle vague du monde, dans un décor paradisiaque ».
Cette année 2021 n’est pas encore terminée, puisqu’il reste deux compétitions du CT à ton calendrier au Mexique et à Tahiti, mais elle est, sans doute, et d’ores et déjà, une des plus riches en émotions, non ?
« C’est vrai. Comme je le disais, je n’ai jamais été aussi sûr de mon choix. Il se passe plein de choses cette année. Il y a eu notre victoire aux Mondiaux ISA au Salvador, avec une super ambiance entre potes. Il y a eu les Jeux Olympiques au Japon, une expérience incroyable. Il me reste une compétition au Mexique, avant la toute dernière épreuve de ma carrière. Ce sera à Tahiti et peu importe les conditions, peu importe mon résultat. Pouvoir finir là-bas est tout simplement exceptionnel. Je suis hyper impatient d’arrêter. J’ai juste envie que ça s’arrête. Une fois ma dernière série à Tahiti, je serai libéré de tout ça, de tout ce poids. Cette pression qui est sur moi depuis des années va s’envoler. Et pour conclure l’année, il y aura l’arrivée de mon deuxième enfant ».
Ne crains-tu pas de t’ennuyer à la retraite ?
« J’avais un peu peur ces dernières années. J’avoue. Ma vie a été tellement conditionnée par ce rythme de dingue que je craignais de vivre de mauvais moments, comme certains sportifs ont pu malheureusement en vivre. On a vu chez certains des dépressions, des tentatives de suicide… L’année 2020 où on a tous été contraints de rester chez nous m’a conforté dans mon choix. Je me suis dit : « Je suis prêt à avoir un rythme de vie normal. » Mais attention, je ne vais pas tout arrêter non plus ».
Que vas-tu faire justement ?
« Je vais forcément rester dans le milieu du surf. Je ne vais pas tout plaquer du jour au lendemain. J’ai plein de projets. J’ai parlé avec mes partenaires et avec Quiksilver. Il y a le projet de réaliser un film sur moi, avec une grosse production. Ça va être sympa. Je vais retourner sur les lieux où j’ai grandi. J’ai aussi envie de faire des choses que je n’ai jamais pu faire, où que j’ai trop rarement faites. Au cours des 15 dernières années, j’ai dû aller trois fois en surf trips ! Alors que l’essence même du surf, c’est cette ambiance qu’on recherche de partager des vagues sur un spot avec des potes. Je rêve de partir 10-15 jours sur une destination qui n’a rien à voir avec la compétition, rien à voir avec la WSL. Juste aller surfer, m’amuser avec des amis, prendre du plaisir, essayer des twin fins, des singles, faire du longboard, … J’en ai besoin ».
Te verrais-tu devenir coach ?
« Quiksilver m’a demandé de veiller sur la nouvelle génération. Et je vais adorer faire ça. J’adore transmettre. Je vais aussi avoir un œil sur la relève française, que je suis de près depuis des années. On a des surfeurs tellement talentueux en France, en métropole et dans les îles françaises. Il leur manque le côté guerrier que je pourrais être capable de leur apporter. Je ne sais pas si je le ferai à plein temps, ni tout de suite. Mais certains jeunes le méritent. Et j’ai envie de transmettre le bon esprit, le vrai esprit surf. Avec ce côté à la fois très professionnel mais en y ajoutant un grain de folie que nous, Français, devons avoir pour rivaliser avec les meilleurs. La folie doit être notre ADN. Comme en rugby, il nous faut, dans le surf, ce french flair qui permet de battre les grandes nations ».
Pourrait-on te revoir sur une compétition avec une wildcard ?
« Ah mais carrément ! Je ne vais pas faire le difficile. Si on me dit : « Tu as une wild card pour telle épreuve », je débarque direct (rires) ! Pouvoir faire une compétition à deux dans l’eau, ça reste un luxe que je ne refuserai pas. Mais pas tout de suite. Là, j’ai juste envie que ça s’arrête ».
On sait que tu rêvais des Jeux de Paris-2024 dont l’épreuve de surf se disputera à Tahiti. Ne plus être sur le tour signifie-t-il pour autant que tu as définitivement fait une croix sur les Jeux à Teahupo’o ?
« Non, non. Je ne ferme pas la porte. J’arrête les compétitions mais si je vois qu’il y a une possibilité de participer aux Jeux en 2024, alors je serai là ! On sait que le système de qualification olympique sera bien différent de celui de Tokyo. Si j’ai ne serait-ce que 1% de chance de pouvoir y être, je vais saisir ce 1% ! Car je sais que contrairement à Tokyo, j’aurais une vraie carte jouer à Teahupo’o. Mon point fort est ce genre de vague de reef. Je pense que j’aurais encore les capacités dans trois ans pour être au niveau sur ce spot. En habitant à Tahiti, j’irai à Teahupo’o presque tous les jours. Qu’on ne s’inquiète pas, je saurai toujours comment faire pour prendre des gros tubes sur cette vague (sourire) ».
Pour en savoir plus sur Jérémy Florès, on vous conseille d’écouter un interview qu’il a donné pour le podcast Impact Zone en septembre 2020
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