Aniol Serrasolses et Mikel Sarasola : on devait déjà à ces kayakistes espagnols de très belles images de sauts sur les sites les plus improbables de la planète. Pas étonnant que l’été dernier ils aient été tentés de filer en Islande pour explorer des chutes perdues au fin fond de l’Islande. A leurs risques et périls. Accompagnés des photographes Aleix Salvat et David Nogales, qui eux non plus n’ont vraiment pas froid aux yeux, ils en sont revenus avec 23 minutes d’images saisissantes. Un périple dont Mikel lui-même nous livre tous les détails. De quoi comprendre comment se déroulent, sur le terrain, des exploits aussi spectaculaires que dangereux.
Se frotter à l’Islande et à ses chutes les plus monstrueuses n’est pas à la portée de n’importe qui. On se souvient du périple de Nouria Newman, monté en octobre 2020 avec peu de moyens mais une audace incroyable. Dans « Jötunn », nouvel opus made in Redbull, on découvre maintenant un duo de chocs, les Catalans Aniol Serrasolses et son compère Mikel Sarasola auxquels on doit déjà d’autres moments mémorables : notamment la première descente de Keyhole Falls, au Canada, en 2014 pour Aniol. Ou la descente en kayak, à 70 km/heure, sur les versants enneigés des Pyrénées pour Mikel. C’est dire.
A leurs côtés, il fallait des photographes exceptionnels. En l’occcurence Aleix Salvat – accessoirement arrivé dans le top 10 des championnats du monde de freestyle en 2012. Et David Nogales dont certaines images ont fait date.
En pleine pandémie, après quelques jours de quarantaine, l’équipe est partie à la découverte de spots jamais explorés. Pas toujours une partie de plaisir, si l’on en juge par les dizaines de kilomètres parcourus à pied, kayak sur le dos, dans les coins les plus désolés d’Islande, mais très gratifiant au final, raconte Mikel Sarasola dont publions ici le récit intégral.
Un kayakiste n’est quasiment jamais à la recherche de l’image la plus spectaculaire. La plupart du temps, les moments clés se passent quand les caméras sont éteintes. Le plus important pour nous est de se trouver dehors, dans la nature
« Jötunn raconte l’aventure d’une expédition vue de l’intérieur. Les kayakistes de l’extrême ne sont pas des fous qui sautent des chutes n’importe comment. Ils préparent chaque descente dans les moindre détails et passent leur vie à peaufiner leur technique pour réaliser des figures considérées comme incroyablement dangereuses par la plupart des gens. Ils ont une connexion particulière avec l’eau et les rivières. Un kayakiste n’est quasiment jamais à la recherche de l’image la plus spectaculaire. La plupart du temps, les moments clés se passent quand les caméras sont éteintes. Le plus important pour nous est de se trouver dehors, dans la nature, et de profiter de notre passion. C’est ce que nous avons voulu montrer dans ce documentaire.
L’Islande, le pays des cascades
Une cascade, c’est le phénomène naturel le plus esthétique et hypnotique qu’on puisse trouver le long d’une rivière. Et s’il y a bien un pays qui se distingue par ses chutes d’eau, c’est l’Islande. La terre de glace connaît une explosion touristique, principalement grâce à son environnement exceptionnel : ses volcans, ses geysers et bien sûr ses cascades. Skogafoss, Godafoss, Dettifoss et Svartifoss font partie de ces bijoux qui s’affichent sur les couvertures des magazines et les réseaux sociaux. Au début de l’année, nous avons donc discuté avec Aniol Serrasolses, considéré comme l’un des kayakistes les plus respectés au monde, de l’idée de venir explorer cette île magnifique. Aniol s’était alors déjà rendu en Islande et m’a confirmé que de nombreuses zones y étaient encore à découvrir en kayak.
Un projet DIY
Dans la plupart des projets de kayak, les athlètes sont aussi ceux qui filment. Et sur ce projet, nous avons également réalisé nous-même le montage du documentaire. Il était donc important d’être accompagné d’un cameraman qui soit également un kayakiste de haut niveau. C’est pourquoi Aleix Salvat a rejoint notre équipe. Progressivement, le projet a pris de l’ampleur. En dernière minute, David Nogales s’est intégré à notre bande. C’est un photographe spécialisé d’habitude dans le mountain bike, dont la mission est de nous assister pour la partie logistique. Son objectif est également, bien sûr, de capturer de superbes shots.
De terribles préliminaires
Mi-juin constitue normalement la période de grand dégel en Islande. Selon les locaux, l’été est décalé cette année, et il reste encore beaucoup de neige dans les montagnes. Nous quittons Reykjavik direction le Sud pour explorer les premières vallées. Situé au sud-est, Vatnajökull est la plus grande calotte glaciaire du pays. Dans sa partie sud-ouest, on trouve une zone dans laquelle les glaciers se trouvent relativement loin de la mer et où de longues rivières se concentrent dans un tout petit périmètre. Sur la route, nous visitons plusieurs vallées, mais partout, le niveau d‘eau reste bas. La température des rivières ne dépasse pas 5°C. La fonte des glaces, très attendue, n’est pas pour tout de suite. Nous sommes frustrés et déçus. Avec des rivières aussi sèches, il est inutile de continuer.
La découverte
Nous décidons alors de nous diriger vers le Nord. Nous savons que là-bas, quelques cascades très célèbres comme Godafoss, Aldeyjarfoss et Ullerfoss, sont susceptibles d’offrir du débit. Notre route ressemble alors plus à une balade touristique qu’à une exploration en kayak. Nous nous arrêtons sur différents spots remarquables, comme le canyon Studlagil, qui possède de gigantesques murs de basalte. Comme de vrais touristes, nous envisageons alors de ramer un peu dans le coin et de réaliser quelques images. Mais en approchant, juste avant le canyon, on découvre un affluent composé d’impressionnantes séquences de rapides et des cascades accessibles en kayak dans sa dernière partie. Nous prenons illico les drones et suivons la rivière sur plusieurs kilomètres. Il y a du potentiel, voilà enfin une mission pour nous !
C’est parti !
On embarque les kayaks le lendemain matin. Une cascade de 30 mètres de haut marque le début de la section la plus intéressante. La rivière est étroite et entourée d’immenses murs volcaniques. On se retrouve dans 3km de classe 4 avec quelques rapides très engagés de niveau 5 et un environnement spectaculaire. Une sorte d’oasis de bonheur dans un trip qui, jusqu’à présent était terriblement sec.
Piqûre de rappel
Un ami népalais nous rejoint pour descendre avec nous Godafoss, une cascade de 12 mètres de haut. Mais dès sa 2e tentative, il atterrit trop à plat et se casse le dos. Notre partenaire a besoin de soin à l’hôpital. Après plusieurs mois de repos, il devrait être rétabli, mais cette alerte nous rappelle à quel point descendre une cascade peut vous exposer. La moindre erreur peut coûter cher. Il faut toujours garder la concentration sans pour autant se freiner.
Un leader unique
Arrivés au Nord de l’île, nous nous rendons sur Ullerfoss et Aldeyrjarfoss. Étrangement, dans cette zone, les rivières sont plus hautes que d’habitude. Je n’ai jamais vu d’images d’Aldeyrjafoss de cette taille. Le débit de la cascade vous engloutit. Le bassin situé juste en dessous ressemble à une énorme machine à laver. Ajoutez à cela un vent fort et vous avez tous les ingrédients pour une descente qui s’annonce compliquée.
Mais Aniol Serrasolses n’est pas un kayakiste comme les autres. Il détecte immédiatement la bonne ligne. Je me rends dans la « piscine » pour lui porter secours si quelque chose tourne mal. Il lève la main et se lance dans la cascade. Perdu dans l’énorme flux, il manque la position et se fait engloutir par la cascade. Aniol disparaît durant quelques secondes et émerge finalement plus bas au milieu des rapides. Après plusieurs échecs, il est obligé d’abandonner son kayak. Par chance, le courant le renvoie dans une zone sécurisée. Ouf !
Cap à l’Est
Les prévisions météos deviennent favorables, alors direction l’Est à la recherche de nouvelles rivières. Nous campons près de Kelduà, une rivière découverte en 2015 avec une section de 10 km qui enchaîne les cascades. On se réveille sous le soleil. Finalement, l’été est arrivé en Islande. Les bateaux sur le dos, nous partons pour une randonnée de 8 km. Descendre toute la section nous prend la journée. Nous enchaînons 15 cascades et de multiples rapides. A elle seule, cette journée vaut tous les efforts fournis depuis le début de l’expédition. Un des plus grands moments de kayak de ma vie.
Gilsà, pour ceux qui le peuvent
Profitant du grand nombre de rivières situées à l’Est et des forts débits, nous partons explorer plus loin la zone d’Egillstadir. Fagradalsà et Kaldaviskl sont les deux rivières que j’ai le plus appréciées dans ce coin. Elles sont composées de sections courtes et d’étroits corridors, mais aussi de cascades spectaculaires.
L’ultime rivière du trip se nomme Gilsà, près du lac Logurinn. Il s’agit probablement de la partie la plus technique rencontrée en Islande. Et pourtant, elle est surement également la moins visuelle. Gilsà est composée d’une section classe 5 avec un enchaînement incessant de rapides. Aucun moyen de se reposer sur 3 kms. Cette partie est réservée aux meilleurs d’entre nous. Ramer ici exige une concentration constante et ne permet aucune erreur.
Fin de nos 3 semaines passées à explorer les rivières islandaises. Ce trip a débuté avec d’immenses frustrations dans le sud et est ensuite devenu un véritable paradis à l’Est. Des mois de préparation, des hauts et des bas, c’est cela l’aventure. Dans la nature et les rivières, nous devenons nous-mêmes, nous nous épanouissons. Je ne peux pas penser à un endroit plus magique que l’Islande pour m’exprimer.
Photo d'en-tête : David Nogales- Thèmes :
- Canoë Kayak
- Islande