En avril dernier, nous avions interviewé la grimpeuse pro du team La Sportiva, 24 ans, alors en pleine préparation des Jeux Olympiques. Son dernier objectif après une saison 2020 éblouissante, clôturée par un exploit : le novembre dernier, elle devenait la première française et la troisième femme au monde à escalader une voie cotée 9b (5.15b), Eagle 4, à Saint-Léger-du-Ventoux, dans le Vaucluse. De quoi soudain attirer tous les regards sur cette solide jeune femme qui pourtant, garde la tête froide et, toujours, doute, tout en continuant d’avancer à son rythme. « Sans jamais brûler les étapes », nous confiait-elle. Une maîtrise qui va lui être précieuse dès demain, mardi, lors des épreuves d’escalade organisées du 3 au 6 août.
Dans la famille Chanourdie, on grimpe comme on marche. Naturellement. Une évidence quand ses parents tiennent une salle d’escalade à Annecy. A quatre ans, ce sera son premier terrain de jeu. Et d’entraînement aussi. A huit, c’est la première compétition. A douze, elle intègre l’Équipe de France. S’enchaînent ensuite les victoires jusqu’aux premiers podiums internationaux seniors en 2017. D’abord aux World Games de Wroclaw en Pologne ou elle prend la troisième place, puis en coupe du monde à Wujiang en Chine ou elle termine également troisième. A 24 ans, Julia compte déjà des moments marquants en tant que grimpeuse : son premier 8C, à 16 ans, et quelques belles croix. Notamment en mars 2020, à Saint-Léger-du-Ventoux (déjà !), où elle entre dans le cercle très restreint des grimpeuses qui ont gravi un 9a+. Seules quatre femmes dans le monde ont réussi ou dépassé ce niveau-là, Julia Chanourdie devient alors la première française. Dans la foulée, soutenue par La Sportiva, elle s’entraîne pour les Jeux Olympiques de Tokyo. Plus sérieusement que jamais, ce n’est pas une compétition de plus : « Les J.O marquent encore un autre tournant dans ma vie », dit-elle. « Pour un sportif, c’est tout ce dont on peut rêver ! C’est aussi une autre approche au niveau de l’entraînement, plus intense, car Il faut gérer trois disciplines – vitesse, lead et bloc, un format très complet. » Arrive la pandémie, et en avril dernier, le report des Jeux à… 2021. Beaucoup ce seraient effondrés. Pas facile, en effet de mettre en suspens deux ans de préparation, surtout sur une discipline inscrite pour la première fois à l’un des événements les plus marquants dans la vie d’un athlète. Mais Julia encaisse le choc. Le digère et passe à autre chose. Et vite. Six mois plus tard, elle est à Saint-Léger-du-Ventoux, dans le Vaucluse, au pied d’ Eagle 4. Une voie cotée 9b, réalisée pour la première fois par Adam Ondra en 2018 et répétée seulement une fois depuis, par Hugo Parmentier. On connait la suite : l’ascension magistrale que personne n’attendait. Une séquence magique, l’un des plus beaux moments d’une année 2020 au demeurant dramatique pour la plupart des athlètes.
2020 aura donc été une année positive pour toi ?
Oui une belle année sportive. Au final, j’ai bien accepté la situation. J’ai eu la chance de pouvoir en profiter pour m’amuser en falaises, comme jamais auparavant, sans échéances et sans la pression de la compétition. Eagle 4, j’y suis allée par hasard, je n’avais pas prévu de faire cette voie. J’avais le souvenir de Hugo (Parmentier, ndlr), la travaillant à côté lorsque moi j’étais sur Super Crackinette. J’ai été surprise d’aller aussi vite. Et plus surprise encore des retombées médiatiques. C’est à ce moment-là que j’ai réalisé que c’était un truc de fou ce que je venais de faire. Il faut dire que sur place, j’étais dans une petite bulle, menant une vie simple, en mode vanlife avec mon copain.
Ce qui m’a aidé à y arriver, je crois, c’est que je n’avais pas de date butoir. J’avais tout mon temps, donc pas de pression. Alors que d’habitude j’ai des échéances. Quand je découvre une voie, je suis toujours très impressionnée, peu importe son niveau. Je dois prendre confiance avant de me sentir bien dedans. Je ne sais pas comment ça se passe pour les autres, mais avant, je vais avoir un petit peu peur. Sur cette voie, le style est très physique, et ça, j’aime bien. On a souvent tendance à croire que les filles aiment les efforts longs, plutôt endurants, mais pour ma part, j’aime assez tout ce qui est tenue de prises, biceps, gainage. Je suis contente aussi de le montrer, de le mettre en avant dans une voie aussi dure. J’ai adoré cet effort hyper dur, direct ! L’idée de cette voie, c’est être déterminée dès le départ, être prête à forcer physiquement et dans la tête. Sur Eagle 4, dès la 1er montée, j’ai fait tous les mouv. Tout s’est fait assez naturellement. J’ai eu quelques prises un peu péteuses, mais j’ai vu que mes mouvements s’enchainaient très facilement et puis ça s’est fait assez vite, à ma façon. Pour approcher une voie, je me fixe des objectifs, j’y vais par étapes, à mon rythme. Comme pour les Jeux maintenant.
Justement, te voici maintenant dans une situation totalement opposée, face à un énorme objectif, une pression importante et une date butoir. Comment gères-tu ça ?
Toutes ces réalisations en falaises m’aident à rester constamment positive et motivée. C’est sûr que ça se répercute sur tout ce que je vais entreprendre maintenant, mais le retour en salle s’est fait très naturellement. Après les falaises, j’ai fait une pause de deux semaines à Noël, comme d’habitude. Puis en janvier, j’ai repris l’entraînement pour les trois disciplines des JO. La falaise commence un peu à me manquer, mais je n’ai plus de gros objectifs sur ce plan pour l’instant. Dans la perspective des Jeux, je m’organise entre Lyon, où j’habite, Annecy où je m’entraîne aussi, et le mur de Rumilly, la salle de mes parents. J’essaie aussi d’accéder à la Suisse qui a de belles salles, et je m’entraîne également au Pôle de Voiron et à Climb up. En fait, je tourne, j’essaie de varier les supports d’entraînement. Pas toujours facile de trouver une salle. Pour y accéder, en cette période de confinement, il faut demander en amont, prendre rendez-vous. Et, dans les salles privées (fermées au public, pour cause de confinement, ndlr ), les blocs n’ont pas changé depuis l’année dernière. C’est un peu compliqué, mais on s’en sort.
Comment s’organise une semaine type pour toi ?
Des trois épreuves des JO, mon point fort, c’est la « difficulté ». En revanche il me fallait attaquer la vitesse, ce que j’ai commencé en 2019. J’en fait donc un peu plus maintenant. C’est une discipline qu’il faut bien bosser. J’ai des qualités explosives, et si je peux gratter quelques secondes et quelques points, ça me permettra d’avoir un peu d’avance sur le bloc, plus aléatoire. Concrètement, par semaine, j’ai donc deux séances de vitesse, une séance de prépa physique, je travaille particulièrement l’explosivité au niveau des jambes, mais aussi la résistance et le bloc. Je fais du cardio bien sûr et des étirements. Au final, je grimpe cinq jours par semaine, et les jours où je ne suis pas sur le mur, je fais du cardio, des étirements ou du repos. L’occasion de marcher, de courir dans les montagnes, du côté d’Annecy ou de Lyon. De cuisiner aussi et puis de lire, de regarder un peu la télé, la vie normale, quoi.
Qu’est-ce qui a changé dans ta préparation par rapport à 2020 ?
Il n’y pas de changement majeur dans ma prépa, mais l’année 2020 m’a permis d’y voir plus clair. En 2020, j’étais débordée j’avais beaucoup de sollicitations des médias, des marques. Depuis, j’ai appris à dire non et à me focaliser sur mon objectif principal : m’entrainer, récupérer et trouver du temps pour souffler.
Y a-t-il un(e) athlète olympique que tu rêves de rencontrer à Tokyo ?
Oui, j’ai longtemps fait de l’athlétisme, et j’adorerais rencontrer Allyson Felix (sextuple médaillée d’or olympique, treize fois championne du monde sur les trois distances du sprint, ndlr). C’est un peu loin de l’escalade ! Mais j’ai toujours aimé son attitude au départ de la course. Elle est très calme, ne bouge pas trop. Je m’identifie pas mal à elle. Ça serait cool de la rencontrer !
A 24 ans, tu as déjà un parcours impressionnant. Derrière cette évolution fulgurante, y a-t-il un élément déclencheur, une rencontre décisive ?
C’est dur à dire, car j’ai toujours fonctionné par étape dans mon sport, à mon rythme. Je n’ai jamais brulé les étapes. C’est comme si j’avais besoin d’accepter l’idée que je peux y arriver, pour imaginer aller au stade supérieur. Dans le passé, j’ai traversé une période compliquée, j’étais mal entourée, ça m’a fait beaucoup de mal, mon niveau sportif en a pâti. Cette étape avait brisé ma confiance en moi. Depuis c’est réglé, et mes résultats en falaises m’ont aidée sur ce plan. Si bien qu’aujourd’hui, oui, je sais que j’ai le niveau pour les JO. Mais je dois me faire violence, ce n’est pas toujours une évidence. Reste que je suis bien entourée aujourd’hui. Mon copain actuel, Augustin, est une personne importante dans ma vie. Mes parents et ma soeur aussi, ils sont très présents depuis toujours. Sans compter que je suis aussi aidée par des préparateurs mentaux, des psys, que je choisis seule, en fonction de mes besoins, de mes rencontres et de mon feeling.
Si tu n’étais pas devenue la championne que tu es aujourd’hui, qu’imagines-tu ?
Je ne sais pas, j’ai toujours été dans le haut niveau, j’ai toujours connu ça. Mais je sais que ce ne sera pas éternel, et qu’il faudra que je repense à mes études (elle a commencé des études STAPS, ndlr)
Beaucoup de jeunes, et notamment des filles, sont intimidé(e)s par ce sport. Que dirais-tu pour les inciter à passer le pas ?
Que c’est un sport qui touche toutes les catégories sociales, car c’est un sport de nature. Qu’il véhicule des valeurs de nature et de simplicité. Un sport hyper complet, qui se fait à plusieurs. Il y a un côté jeu. Comme au foot, on peut y rigoler avec ses copains.
Il faut y aller à plusieurs pour tester, parce que c’est un peu impressionnant au début. Je dirais aux filles, allez-y entre copines, juste pour voir, c’est convivial ! Je leur dirais aussi : c’est un sport qui est cool, où on ne se prend pas la tête, on peut se détendre. Dans les salles, l’accueil est chaleureux, on peut toujours y boire un coup ou manger sur place. Alors allez y faire un tour, testez, et si ça ne vous plait pas, allez boire un coup !
Avec le recul, quel le conseil donnerais-tu à une jeune grimpeuse ? Celui que, peut-être, tu aurais aimé recevoir à tes débuts dans la compétition ?
Toujours se rappeler que c’est un jeu ! Se souvenir pourquoi on est là, pourquoi on grimpe. A la base, c’est pour le plaisir. C’est ce que j’essaie toujours de dire aux jeunes. Il faut arrêter de se prendre la tête, rester humble. En escalade, tu es toujours confronté à l’inconnu, tu ne sais jamais ce qui t’attend. C’est pour ça que l’humilité est importante. Et plus encore maintenant avec la médiatisation de ce sport et son entrée aux Jeux Olympiques. Il y a le risque que certains parents poussent trop les enfants. J’ai envie que ce sport reste ce qu’il est, avec un côté assez cool et accessible. Il faut surtout garder la notion de plaisir et y aller en se disant : trop cool, on va grimper !
Article publié le 16 avril 2021, mis à jour le 2 août 2021
Photo d'en-tête : La Sportiva / Guillaume Broust- Thèmes :
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