Le dossard 11 825 aurait pu rester dans l’ombre. Nous avons choisi de mettre en lumière son histoire, celle de Junior Jouy, 36 ans, éducateur spécialisé dans un IME, également bénévole sur l’UTMB depuis 2021. Dernier finisher de la TDS (145 km ; 9100 D+), la course la plus exigeante de l’UTMB, il est arrivé à 21h39 sous les ovations du public. « On traverse les rues de Chamonix comme si on avait fait quelque chose d’incroyable. Les ambiances comme ça, c’est grisant. Vivre ça en tant qu’anonyme, c’est incroyable » nous a-t-il raconté dans une longue interview.
Le trail, c’est un peu une histoire de famille pour Junior Jouy. Sa compagne a fait son assistance sur la TDS cette année, ses filles sont ses plus ferventes supportrices, son oncle n’a pas dormi pendant les deux nuits de l’épreuve, suivant les exploits de son neveu via le Whats App familial dédié à cet événement… Et son père va s’élancer sur la CCC (101 km ; 6100 D+) vendredi. « Je me suis mis à la course à pied parce que j’étais en surpoids » raconte le coureur basé à Reims, quelques minutes après son arrivée. « Il fallait que je fasse du sport pour être bien dans ma peau. J’y ai pris goût. Ce que j’aime, c’est me fixer des défis qui semblent dans un premier temps irréalistes. Puis mettre en place un processus d’entraînement pour y parvenir ».
Et cette année, le moins que l’on puisse dire, c’est que les conditions n’ont pas été de son côté, entre vent glacial, trombes d’eau et neige. « Avoir couru la Sainté Lyon (78 km ; 2050 D+) l’hiver dernier m’a bien aidé » détaille-t-il. « Sur la TDS, c’était la même ambiance, il y avait de la neige, de la pluie, de la boue ». Pour un premier ultra, il a été servi ! C’est d’ailleurs ce qu’il explique dans un long entretien. L’occasion de discuter de sa préparation, ses stratégies mentales et sa gestion du sommeil sur ses 44 heures de course.
Pourquoi as-tu choisi de t’aligner sur la TDS, la course la plus exigeante de la semaine UTMB ?
Quand on est bénévole à l’UTMB, on a la possibilité de participer à la MCC (40 km ; 2300 D+), une course qui a été créée pour les partenaires et les locaux. Ce que j’ai fait l’an dernier avec mon père et mon frère. Ca a été un peu une révélation. Je me suis rendu compte que j’étais vachement bien, pas du tout dans le dur. Alors quinze jours après, je me suis inscrit à un trail un peu plus long, l’Infernal Trail des Vosges (70 km ; 3274 D+) que j’ai fini en étant vraiment dans le mal. Mais j’ai adoré ce côté dépassement de soi.
Pour pouvoir participer aux courses de l’UTMB, il faut accumuler les running stones. Et comme je n’en avais pas, mais que j’avais tout de même envie de tester quelque chose qui me paraissait inaccessible, je me suis inscrit sur la TDS [une course hors-circuit UTMB World Series, ndlr]. J’habite à Reims, un coin où il n’y a pas du tout de montagnes, un défi supplémentaire pour moi. Je voulais me challenger, voir si en me préparant, en faisant bien les choses, j’étais en capacité de terminer cette course.
Comment se prépare-t-on à une course aussi technique, avec autant de dénivelé quand on habite loin des montagnes ?
Comme je ne pouvais pas faire de dénivelé, j’ai augmenté le volume dans mes séances d’entraînement. Au lieu de faire par exemple une sortie de 20 kilomètres, j’en faisais 25 ou 30. Et puis, j’ai eu la chance de finaliser ma préparation en montagne. Avec mon père, participant cette année à la CCC (101 km ; 6100 D+), on est partis courir 100 kilomètres sur les sentiers de sa course en trois jours. Ca a été un gros bloc de préparation pour moi, un gros test aussi.
Ton principal ennemi sur cette TDS fut la barrière horaire. C’est le scénario que tu avais envisagé ?
Oui. Je n’ai jamais eu la prétention de dire que j’étais en capacité physique de pouvoir faire un chrono. Ce que je voulais avant tout, c’était finir. Être finisher, c’était déjà quelque chose d’immense pour moi. Pour cela, il fallait que je sois capable d’atteindre les barrières horaires. À tout prix. Pendant la course, il y a eu des moments où ça allait très bien, où je me disais que c’était du gâteau finalement. Et d’autres où je me suis énormément remis en question. Au début, à la sortie de Courmayeur, en voyant tous les autres coureurs qui semblaient beaucoup plus préparés que moi, j’ai eu la sensation d’être un peu un imposteur. Je me suis dit que je n’étais pas à ma place. J’ai ressenti un peu de pression à ce moment-là. Il y en avait qui avaient déjà fini plusieurs ultras, plusieurs courses de l’UTMB. Moi, finalement, je n’avais rien fait. Je me suis également rappelé que c’était la course de l’UTMB où il y a le plus d’abandons. […] Clairement, rien ne s’est déroulé comme prévu. Et je pense que c’est aussi l’intérêt de ce genre de course.
Comment ça s’est passé sur les sentiers ?
Ce qui m’a marqué, c’est la descente du col Chavanne. Le jour commençait à se lever. Avec la neige qui tombait. Là, je me suis dit que c’était quand-même magique. Courir au mois d’août avec la neige, dans un environnement unique… Ce genre de courses, c’est aussi un moment où l’on fait des rencontres. Sur le sentier, j’ai croisé une personne qui commençait à vomir, qui n’était vraiment pas bien. À partir de là, on a fait près de 70 kilomètres ensemble. Ce sont des choses qui n’arrivent pas en temps normal. Même chose avec Cyril, avec qui j’ai fini la course aujourd’hui. Voyant que la barrière commençait vraiment à se rapprocher, et je lui ai dit « Vas-y, dépêche-toi sinon tu ne vas jamais l’avoir ». Ca crée un lien. Tu discutes, tu échanges, tu partages.
As-tu pensé à abandonner par moments ?
Abandonner n’était pas envisageable. Je n’ai pas demandé autant de sacrifices à ma famille pour finir par un abandon. Mon épouse a fait toute mon assistance sur la course. Elle a aussi vécu la course, mais d’une façon totalement différente. Elle accepte aussi que je puisse m’entraîner. C’est un accord entre nous. Et puis, nos filles, Juno et Lexy, sont grandes [11 et 12 ans, ndlr]. On ne vient pas à Chamonix pour se balader, on vient à Chamonix pour vivre l’UTMB. Donc forcément, ça oblige, d’une certaine manière à ce que la famille soit focus. Alors, je me dis qu’il faut au moins que je donne le maximum. Et donner le maximum, c’est aller au bout.
Tu avais une stratégie mentale particulière ?
Oui, à mon niveau. Déjà, sur une course comme ça, tu ne te dis pas que tu vas faire 150 kilomètres. Tu la découpe dans ton esprit. Mon but, c’était de pouvoir aller au prochain ravitaillement, à la zone d’assistance suivante. Et puis au fur et à mesure de la course, j’ai envisagé l’idée de la finir. Mais, j’ai failli ne pas pouvoir y arriver. Ca s’est joué à quelques secondes. Alors j’ai sprinté. Il fallait que je rejoigne Les Houches, dernière barrière horaire. Je n’avais jamais fait ça, je ne l’aurais pas fait pour une autre course que la TDS. Et quand j’y pense, c’était n’importe quoi. J’ai fait un fractionné sur 20 minutes. Je me suis dit que c’était mort, que je ne pourrais pas finir.
Et côté nutrition ?
Globalement, je n’ai pas eu de coup de mou, pas de fringale ou autre. Tout était nickel. J’ai essentiellement alterné avec des compotes et des barres d’effort. Et ça a très bien fonctionné. Ce sont des choses que j’avais testées avant. Après, j’avais prévu quelques récompenses, des noix de cajou salées. Mais j’étais tellement concentré dans la course que je ne me les suis pas octroyées. Les barrières étaient relativement serrées, le temps était mauvais, on ne pouvait pas se permettre de traîner.
Tu as dormi pendant la course ?
Sur un ravitaillement, disons que j’ai fermé les yeux pendant vingt minutes. Je ne sais pas si on peut vraiment appeler cela dormir. Par contre, je me suis réveillé avec beaucoup de douleurs. Et par la suite, j’ai découvert des hallucinations auditives et visuelles, notamment lors de ma deuxième nuit. C’est quand-même très particulier. Tu crois voir des trucs dans les arbres, tu as l’impression d’entendre des choses, des personnes qui te parlent. Mais en fait, il n’y a rien. […] Le problème, c’est qu’à un moment, j’ai failli m’endormir en marchant. Sur la 2e nuit, j’étais avec un coureur. Et le fait d’avoir été deux, ça m’a vraiment aidé. Sans cela, ma course ne se serait pas aussi bien passée. On s’encourageait l’un l’autre. Et c’était une vigilance supplémentaire.
Tu as déjà pensé à la suite, au prochain défi ?
Là, je vais savourer, me reposer un petit peu, ne pas courir pendant quelques jours. Je n’ai pas encore réfléchi à mon prochain objectif. Mais je ne suis pas une coureur rapide. Ce qui me fait envie, ce sont des courses longues. Evidemment, un jour je ferai l’UTMB, c’est certain. L’ambiance que l’on vit ici, on ne peut pas la vivre ailleurs. Sinon, demain après-midi [jeudi 31 août, ndlr], je serai bénévole sur l’OCC [une autre course de l’UTMB, ndlr].
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