Des canettes de Coca, des bouteilles de gaz, des tentes en lambeaux : c’est une scène affligeante qu’a capturée en quelques minutes l’alpiniste professionnelle Flower Wayta au camp de base du 2e sommet le plus haut du monde lors de l’ascension qu’elle a réalisée sans oxygène le 28 juillet dernier. Une vidéo qui a beaucoup fait réagir sur les réseaux et qui n’est pas sans rappeler les images tournées récemment sur l’Everest par Elia Saikaly, alpiniste lui aussi et cinéaste multiprimé.
K2, Everest… la liste des sommets souillés par tant de prétendus alpinistes ne cesse de s’allonger. Jusqu’où faudra-t-il tomber pour qu’une vraie réglementation sur les déchets et des sanctions dignes de ce nom voient le jour ?
Face à la montagne de déchets de toutes sortes que 250 alpinistes ont laissée derrière eux au Pakistan au camp de base du K2 (8611 m ) cet été, la Péruvienne Flower Wayta ne peut réfréner sa colère. Elle capture la scène et poste la vidéo assortie d’un texte qui va très vite trouver un écho sur internet.
« A chaque fois que nous revenons de la montagne et surtout après en avoir atteint le sommet, nous affichons nos photos très fièrement. Oui, sommet réussi 100%. Mais je vous le demande : sommes aussi fiers de tous les déchets que nous laissons derrière nous. ????? Nous sommes censés être des alpinistes, pourquoi faisons-nous cela à la montagne ??? N’allons-nous pas à la montagne pour profiter de la pureté de la nature ? De sa magie ? De la solitude ? De quelle nature pure pouvons-nous parler, quand année après année nous y laissons nos déchets et qu’ils s’y s’accumulent ? Croyons-nous vraiment que tous ces déchets vont disparaître comme par magie ou que les extraterrestres vont se charger de les nettoyer ???? (…) »
Car Flower Wayta n’est pas n’importe qui. C’est une pure et dure, une « hirkawarmi » ou « femme des montagnes » en quechua, une alpiniste née dans une famille modeste de 13 enfants installée dans les Andes, à 3 500 mètres d’altitude, dont la voix porte aujourd’hui. L’alpinisme, elle en a eu un avant-goût en traversant à 13 ans la Cordillère Blanche, mais c’est vers 19 ans qu’elle gravit le Pastoruri (5 240m). Depuis, elle enchaine les 8000 m, toujours sans oxygène. Dernier en date, le 2e sommet le plus haut du monde, sur le point de devenir une autoroute et de se banaliser, comme s’en inquiétait récemment Alan Arnette, expert de la zone et collaborateur d’Outside.
Pourquoi tant d’engouement pour cette montagne pourtant réputée pour sa difficulté, mais aussi sa dangerosité ? S’interrogeait alors l’expert, alpiniste lui aussi. « Le Pakistan a pris exemple sur le Népal en matière de tourisme et a délivré des permis (pour plusieurs sommets, ndlr) à tout le monde cette saison », explique-t-il . « Certains parlent de 1400, d’autres disent qu’on est plus près de 1000, mais, ce qui est sûr, c’est que cette année, il y a au moins deux fois plus de candidats aux sommets que d’habitude ». Des alpinistes qui n’ont pas pu assouvir leur passion au cours des deux année précédentes, suite au Covid, mais aussi des amateurs d’aventure séduits par le marketing agressif de cinq opérateurs népalais : 8K Expeditions, Elite Expeditions, Imaging Nepal, Pioneer Adventures et Seven Summits Treks. A eux cinq, ce sont pas moins de 253 personnes en route vers les cimes (entre les clients et leur équipe, essentiellement des Sherpas venus du Népal). Cependant, les opérateurs occidentaux ne sont pas en reste, notamment Maddison Mountaineering et Furtenbach Adventures, qui, ensemble, pèsent à hauteur de 54 personnes. »
Les résultats ne se sont pas faits attendre. Le 22 juillet dernier, Alan Arnette comptabilisait 145 ascensions du K2. Douze jours plus tard, le total culminait à 200 ! Le précédent record remontait à 2018 et il n’était « que » de 62. Record de sommets, record d’affluence, record aussi d’ordures abandonnées par des alpinistes plus prompts à financer le transport de lourds équipements censés améliorer leur confort – tente, bouteilles d’oxygène et nourriture – qu’à les redescendre pour laisser place nette, comme s’en indigne à juste titre l’alpiniste péruvienne.
On croyait l’Everest seule victime de ce saccage massif, comme en témoignent les images d’Elia Saikaly, ci-dessous. On espérait que le K2 serait protégé par sa dangerosité. Las, la « montagne sans pitié », surnom gagné au fil du temps et des accidents, est désormais entrée dans la liste des loisirs XXL pour pseudo alpinistes fortunés en mal de sensations fortes.
A ce stade, n’espérons pas une prise de conscience de ces consommateurs de 8000. Seule une réglementation stricte peut encore sauver ce sommet et tous les autres. Mais pas plus le gros des clients que la plupart des agences ni bien sûr les autorités népalaises ou pakistanaises ne semblent en prendre le chemin. Business is business !
Photo d'en-tête : @florcuenca_mountainclimber- Thèmes :
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