Peut-on encore pratiquer un sport extrême quand on a des enfants ? Cette question, toutes les athlètes féminines pratiquant l’alpinisme, l’apnée ou la course en solitaire se l’ont vu posée à un moment où un autre de leur carrière. Alors pour une fois qu’y répond l’un des surfeurs les plus engagés au monde dont la vague favorite est Jaws, on se penche sur ce doc de 17 minutes qui a le mérite, entre autres, de poser la question de la responsabilité de ces athlètes hors normes qui sont aussi des pères.
Le 5 janvier dernier, la communauté de surfeurs pleurait la mort de Marcio Freire. Il surfait sur le spot de Praia do Norte dans le centre du Portugal. Nazaré venait de faire sa première victime parmi les surfeurs de gros qui depuis une dizaine d’années viennent affronter l’une des vagues les plus impressionnantes au monde. A 47 ans, on ne lui connaissait pas d’enfants. Mais sur les réseaux, dans la foulée de l’annonce de sa mort, c’est l’une des questions que se posaient ses fans.
Comment en effet ne pas s’interroger sur les motivations et les états d’âmes de ces surfeurs de gros, spécialisés dans les « big waves », le plus souvent en surf tracté, qui n’hésitent pas à affronter des vagues de 25 mètres au risque de leur vie. Jusqu’où sont-ils prêts à aller ? Et surtout quelles limites se donnent-ils, si tant est qu’ils s’en donnent – dès lors que leur famille s’agrandit et qu’un enfant entre dans leur vie ? Si une Hilaree Nelson – skieuse, capitaine des athlètes de The North Face et mère de deux garçons, disparue sur le Manuslu septembre 2022 – s’est vue mille fois posée la question, la voir adressée à des athlètes masculins est plus rare. Et c’est dommage. On n’apprécie d’autant plus que Redbull, qui s’y connait en têtes brûlées, ait eu la bonne idée d’interroger l’un de ses athlètes, et non des moindres : Kai Lenny, 31 ans – l’un des plus grands watermen de notre temps, un mythe dans l’histoire du surf – dans le cadre de la 3e saison de la série qui lui est consacrée, ‘Life of Kai‘ , dont le premier épisode a été diffusé il y a quelques jours.
Kai ne savait pas bien sûr lors du tournage réalisé en 2022 que Marcio Freire allait trouver la mort à Nazaré. Mais nul doute que l’apprenant en janvier dernier il a été plus que touché. Comme le Brésilien, Kai a une passion pour la vague qui est « au bout de son jardin « , Jaws. Un monstre pouvant atteindre 24 mètres qui en novembre 2019 l’a conduit aux urgences et qui a failli lui arracher la main. Et comme lui aussi, il sait que Nazaré peut être traitre. En décembre 2021, avec son partenaire de surf tracté Lucas Chianca, n’avaient-il par frôlé la mort au Portugal ?
Aussi lorsqu’en 2022 Kai Lenny et sa femme Molly Payne ont eu deux filles, des jumelles, la question s’est posée : pouvait-il continuer à toujours repousser les limites ? Pour Molly, surfeuse elle aussi, interviewée dans le film, la question ne se posait pas jusqu’à l’arrivée de leurs enfants. Or l’Hawaïenne est la sœur de Dusty Payne, l’un des surfeurs le plus prometteurs de sa génération, victime d’un tragique accident. En 2018, alors qu’il surfait Pipeline, une vague qu’il connaissait bien, une chute sur la tête lui causera des troubles neurologiques importants. Il mit des années à se remettre. Kai le sait également. Aussi son inspiration, il la trouve désormais dans Shane Dorian et Brett Lickle, deux pointures qui continuent le surf de grosses vagues, notamment sur Jaws, mais pas à n’importe quel prix, y regardant à deux fois avant de décider si, vraiment, il est raisonnable d’y aller. Pas facile sur le spot, on s’en doute, mais on comprend que ces athlètes, tous pères, reconsidèrent sérieusement les risques, sans pour autant renoncer à cette passion qui a façonné leur identité et… qu’à terme ils n’ont qu’un rêve, la partager avec leurs enfants. Hilaree Nelson ne disait pas autre chose.
Photo d'en-tête : Erik Aeder