Une première victoire pour l’environnement : ce mardi 25 octobre, le juge des référés a rendu son ordonnance allant contre le projet de retenue collinaire prévue à La Clusaz, en Haute-Savoie. Projet censé alimenter principalement la production de neige artificielle, auquel s’opposaient France Nature Environnement, Nouvelle Montagne, Mountain Wilderness France et la Ligue de Protection des Oiseaux. Reste à trancher maintenant « sur l’ensemble des points contesté », rappellent les associations.
Le 19 septembre dernier, expliquions-nous dans un article détaillé, la préfecture de Haute Savoie validait un projet de retenue collinaire sur le plateau de Beauregard, destinée à maintenir sous perfusion La Clusaz, station de basse et moyenne altitudes en mal de neige, réchauffement climatique oblige. Un mois plus tard, le 20 octobre, les opposants à ce projet d’un autre siècle – France Nature Environnement, Nouvelle Montagne, Mountain Wilderness France et la Ligue de Protection des Oiseaux –saisissaient le tribunal administratif de Grenoble en référé afin de suspendre l’arrête préfectoral autorisant le début des travaux. Le juge des référés vient de se prononcer aujourd’hui.
« L’intérêt public qui découle de la réalisation d’une retenue collinaire essentiellement destinée à assurer l’enneigement artificiel de la station est insuffisant à remettre en cause l’urgence qui tient à la préservation du milieu naturel et des espèces qu’il abrite », estime-t-il dans son ordonnance publiée sur le site du tribunal. Une conclusion qui n’est qu’une première étape, mais qui reste encourageante d’autant que le juge a par ailleurs condamné l’État à une amende de 1 200 euros, critiquant la « légalité » de l’arrêté préfectoral d’autorisation de défrichement, qui devait se dérouler en octobre et novembre.
« Un soulagement », pour France Nature Environnement Auvergne Rhône-Alpes qui expliquait dans un communiqué que « le signal envoyé aux communes et stations de montagne est sans appel . La production de neige artificielle pour gagner quelques années sur le changement climatique et prolonger le modèle du « tout ski » ne peut pas justifier la destruction d’habitats, d’espaces naturels et d’espèces protégées ».
Un première étape, donc, mais les associations restent mobilisées afin d’obtenir un jugement au fond « sur l’ensemble des points contesté », rappellent-elles. Une victoire aussi pour les Zadistes qui depuis fin septembre occupaient le lien sur le camp basptisé « la Cluzad », toute première zone à défendre (ZAD) jamais créée en altitude dans les Alpes françaises.
7 questions pour mieux comprendre les enjeux en cours
1. De quoi s’agit-il ?
En 2018, La Clusaz, station de ski du massif des Aravis, située entre 1 100 et 2 600 mètres d’altitude, avait été confrontée à une sécheresse menaçant l’enneigement du domaine. Dès 2019 un projet de retenue collinaire de 148 000 m3 sur le plateau de Beauregard ressurgissait et était lancé. L’objectif ? Assurer pour un tiers l’approvisionnement en eau potable, et pour le reste… le développement de l’enneigement artificiel. A noter qu’il s’agirait du cinquième aménagement de ce type pour la commune. La station stockant déjà 270.000 m3 d’eau pour sa neige de culture via ses quatre retenues collinaires interconnectées déjà existantes, et que cette nouvelle retenue ne pourra se remplir par le seul ruissellement. Elle sera donc largement alimentée par la captation d’une source située à 3 kilomètres du futur plan d’eau.
L’objectif serait donc de couvrir 45% du domaine skiable en neige de culture pour le ski de piste, contre 28% actuellement, une stratégie « à rebours des problèmes générés par le changement climatique en montagne, à la lumière des derniers rapports du GIEC », rappelle l’association, La Nouvelle Montagne.
2. Combien coûterait le projet ?
L’ouvrage, d’un volume de 148 000 mètres cube, nécessite un investissement de plus de 7 millions d’euros.
3. Qui s’y oppose ?
La Mission Régionale d’Autorité Environnementale, ainsi que plusieurs associations se sont élevées contre ce projet, sans compter que la concertation publique préalable a suscité près de 90% d’opinions contraires en ligne. Le collectif « Sauvons le plateau de Beauregard de la destruction » suggère donc d’autres solutions moins lourdes de conséquences – certaines des quatre retenues collinaires existantes pouvant être mises aux normes pour l’eau potable, et même agrandies – et surtout une autre approche de la montagne « moins dépendante des aménagements lourds et plus respectueuse des paysages et du monde vivant de nos massifs », comme l’explique un communiqué de presse diffusé le 21 septembre par Mountain Wilderness, France Nature Environnement et La Nouvelle Montagne.
4. Quel impact au niveau environnemental ?
L’association La Nouvelle Montagne, à l’origine d’une pétition adressée au préfet de Haute-Savoie et au maire de La Clusaz, explique dans ce texte que Beauregard est « un espace naturel unique, inscrit au programme européen Natura 2000 depuis 2003. Un espace remarquable au niveau environnemental, patrimonial et paysager. ».
Conséquences ?
« Ce projet gigantesque ravagera le bois de la Colombière situé à l’Est du plateau, dans un site d’une grande richesse environnementale et de biodiversité. », poursuit-elle. « Il mettra en danger l’équilibre hydrologique de toute la zone et condamnera des écosystèmes uniques dont onze habitats naturels à protéger. Il portera atteinte au paysage exceptionnel de Beauregard avec pour toile de fond la chaîne du Mont-Blanc et le massif des Aravis. »
Les points clefs ?
– Installation à 1500 m d’altitude, en décalage total avec la géomorphologie naturelle du territoire
– Stockage d’eau de 148 000 m3
– Captation et acheminement par canalisation d’une source à plus de 3.5 km, vers le col des Aravis
– Retenue grillagée de 3.8 hectares (cinq terrains de foot)
– Destruction directe de 8 hectares d’habitats naturels (onze terrains de foot)
– Impacts secondaires sur une superficie bien plus large et non évalués
– Construction d’une digue de 12 m de hauteur, avec risque faible mais existant de rupture de digue inondant une partie du village de La Clusaz
La destruction de la montagne sera, elle, irréversible, conclut l’association.
5. Comment le projet est-il arrivé sur le bureau du préfet ?
Le 29 avril 2021, le conseil municipal de La Clusaz votait ce projet. Six mois plus tard, une commission d’enquête publique le déclarait «d’intérêt public pour la population de la vallée des Aravis qui vit du tourisme sous la forme actuelle », mais pointait toutefois quelques limites, et non des moindres ! Notamment un rendement énergétique « discutable », la « destruction d’habitats et de spécimens d’espèces protégées » pour le mener à bien et un « impact négatif sur la biodiversité », surtout en phase de travaux. A ce stade, le projet devait donc être validé par la préfecture de Haute-Savoie.
6. Que dit l’arrêté préfectoral publié le lundi 19 septembre ?
Consultable en ligne, et sous peu publié dans les communes concernées, l’arrêté de retenue collinaire de La Colombière explique que « La commune de LA CLUSAZ a connu cette année et risque de connaître à l’avenir des difficultés d’approvisionnement en eau de plus en plus fréquentes pour sa population et l’activité agricole. Dans ce contexte, le projet d’aménagement de la retenue d’altitude de La Colombière permettra de répondre à ces enjeux en assurant l’alimentation en eau de la population de LA CLUSAZ et des activités liées à l’agriculture. Cette retenue, implantée dans le massif de Beauregard à 1500 mètres d’altitude environ, sera alimentée via un prélèvement dans le captage d’eau potable de « Gonière » en ayant pour objet de concilier les usages entre la sécurisation de la production de le la neige de culture et l’alimentation en eau potable (…).
7. Très concrètement qu’implique cet arrêté ?
Ce projet d’aménagement, « déclaré d’utilité publique ». suppose une mise en compatibilité du document d’urbanisme de la commune, et des « modifications d’une orientation d’aménagement et du règlement du PLU ». Aussi est-il précisé qu’ « un arrêté préfectoral portant autorisation environnementale sera pris sur le fondement de la DUP afin d’autoriser :
– l’aménagement de la retenue de la Colombière
– le prélèvement d’eau de La Gonière
– le renforcement du réseau neige sur la commune de La Clusaz, la création de réseaux d’adduction et deux salles des machines. »
Cette autorisation tiendra lieu, précise notamment le document de « dérogation aux interdictions d’atteinte aux espèces protégées ». Une dérogation délivrée par le conseil national de la protection de la nature.
8. Qu’en pensent les scientifiques ?
Le 25 août dernier, au coeur d’un été marqué par une sècheresse alarmante, le média « Bon Pote » donnait carte blanche à Magali Reghezza, géographe et membre du Haut Conseil pour le Climat et à Florence Habets, Directrice de recherche CNRS en hydrométéorologie, professeure à l’École normale supérieure pour donner leur point de vue sur l’utilité des réserves d’eau. Un texte qu’on peut lire ici, dont nous publions un extrait éclairant sur la question.
On « observe aussi un contrat tacite entre les autorités et un petit nombre d’usagers, ces dernières concédant des investissements coûteux, dès que la ressource devient insuffisante, pour maintenir, voire continuer à intensifier, l’usage de la ressource. L’infrastructure nouvellement construite fonctionne ainsi comme une dose de drogue, qui soulage momentanément le système jusqu’au prochain « fix ». Chaque fix retarde la réduction des usages et les transformations systémiques, qui seules peuvent diminuer durablement la vulnérabilité de l’activité ou du territoire. C’est la définition même de la maladaptation : le remède pérennise, voire aggrave, le risque qu’il est supposé résoudre. »
9. Pourquoi y-a-t-il urgence à réagir ?
Interviewé le 21 septembre suite à la publication de l’arrêté préfectoral, Vincent Neirinck, de Mountain Wilderness, nous expliquait qu’un recours allait être déposé dès que possible, c’est chose faite et la conclusion bien de tomber. Les opposants au projet ayant deux mois pour ce faire, or nombreux sont ceux qui craignaitent que les travaux commencent très vite, avant l’hiver.
La pétition est toujours en cours, vous aussi, vous pouvez la signer
Soutenue par un grand nombre d’associations – La Nouvelle Montagne – Association pour une transition DURABLE des territoires montagnards – Annecy – Aravis ; Mountain Wilderness France ; Protégeons la Joyère ; FESM 74 ; Collectif Fier-Aravis ; Collectif pour une Transition Participative à Thônes ; France Nature Environnement Haute-Savoie ; Extinction Rebellion ; Patrimoine-Environnement ; LPO AuRA ; Amis de la Terre 74 ; Groupe Local Greenpeace d’Annecy – la pétition contre le projet de retenue collinaire de La Colombière, a recueilli à ce jour 55 760 signatures.
Pour la signer, c’est ici.
Photo d'en-tête : Wikipedia