C’est la question que l’on peut se poser à la lecture de la lettre de démission adressée hier à par Yannick Vallençant, Président du SIM-CFDT (Syndicat Interprofessionnel de la Montagne), et membre du Conseil d’administration de la FFME, à son président, Alain Carrière. Dans ce courrier, dont Outside a reçu une copie, le guide de haute montagne, également moniteur diplômé d’état escalade et canyon, explique comment il a appris, hier, mardi 19 décembre, que la FFME avait rejoint depuis deux ans l’Alliance des Sports et Loisirs de Nature (ASLN), organisation notoirement liée à la Fédération Nationale des Chasseurs (FNC). « Passer de l’esprit de Walter Bonatti ou Lionel Terray à celui de Willy Schraen, c’est un grand écart qui me ferait risquer le claquage musculaire et intellectuel… Pas raisonnable à mon âge ! », écrit Yannick Vallençant, visiblement très remonté contre une fédération dans laquelle il ne se retrouve plus.
Dans le milieu souvent très politique des fédérations sportives, rares sont ceux qui font entendre haut et fort leur voix. Yannick Vallençant, Président du SIM-CFDT, est d’une autre trempe. Son syndicat, qui compterait aujourd’hui 1400 membres, serait « deux fois plus gros que le SNAPEC (Syndicat National des Professionnels Escalade et Canyon), aussi gros que le SNGM (Syndicat National des Guides de Montagnes) et afficherait un taux de croissance de 20 à 40% selon les années » . Il s’impose aujourd’hui comme l’un des plus actifs dans l’univers des sports outdoor. Pour mémoire : dans l’affaire de la « privatisation de la Chartreuse », alors qu’on attendait une réaction musclée de la Fédération de la randonnée, c’est lui qu’on a vu monter au front dernièrement aux côtés des grimpeurs, skieurs et randonneurs, face au Marquis Bruno de Quinsonas-Oudinot et son terrain de chasse, n’hésitant pas à attaquer en justice la société de chasse exploitant le site.
Cette fois, il s’en prend à la FFME, Fédération Français Montagne et Escalade où depuis deux ans et demi il siégeait au Conseil d’administration. Un premier mandat qu’il a brutalement interrompu hier, un an avant son terme. Ses raisons ? Au cours d’une réunion hier, mardi 19 décembre, avec la Mountain Bikers Foundation, (association nationale, ayant pour but de « promouvoir la pratique d’un VTT durable et responsable ») il la questionne sur ses liens avec l’Alliance des Sports et Loisirs de Nature (ASLN), organisation notoirement inféodée à la Fédération nationale des chasseurs. Contre toute attente, il se voit rétorqué : où est le problème quand on sait que la FFME fait également partie de cette organisation ! « Depuis deux ans » d’ailleurs, confirme dans la foulée le président de la FFME, Alain Carrière, qu’il interroge à ce sujet. L’image de la FFME ne pourrait-elle pas en être ternie, s’inquiète alors Yannick Vallençan ? Apparemment non, selon la FFME qui considère que c’est bien bordé…
Pour le Président du SIM-CFDT, trop c’est trop ! D’autant, explique-t-il dans son courrier, qu’il ressent depuis quelque temps déjà « un décalage abyssal entre ma vision de la montagne, de l’alpinisme et de l’escalade et de l’intérêt général des pratiques et des pratiquants, d’une part, et les stratégies et actions menées par la FFME, d’autre part ».
En cause : le manque de débats au sein de la Fédération et son soutien aux JO « avec ce que cela suppose de compromissions et d’abandon de la culture et de l’essence de l’alpinisme et de l’escalade », qui lui semble « une voie contre nature ». « Pour le dire autrement », poursuit-il, « comme 90% des licenciés, je me fiche éperdument de la quête olympique et préfèrerais que la FFME consacre au moins autant d’efforts à d’autres enjeux ». Dans son viseur, aussi : « la préférence donnée par la direction de la FFME à l’écoute des patrons de salles d’escalade plutôt qu’à celle des représentants des professionnels (et passionnés) de terrain » , écrit-il.
Mais ce qui fera vraiment « déborder le vase », c’est la découverte toute récente de deux éléments qui sont pour moi rédhibitoires », selon lui :
La compromission de la FFME au sein d’une Alliance des Sports et Loisirs de Nature (ASLN) fondée et pilotée par la Fédération nationale des Chasseurs et les pittoresques Willy Schraen et le lobbyiste Thierry Coste – ceci alors même que ladite fédération se réjouit de la récente loi sur la protection de la propriété privée qui prive les grimpeurs et randonneurs de leur terrain de jeu en Chartreuse, par exemple, et pousse les propriétaires à faire de même partout en France pour réserver leurs terrains à la chasse.
Passer de l’esprit de Walter Bonatti ou Lionel Terray à celui de Willy Schraen, c’est un grand écart qui me ferait risquer le claquage musculaire et intellectuel… Pas raisonnable à mon âge!
Je pense que la FFME se grandirait à s’extraire de tout cela sans délai, et son image y gagnerait à court comme à long terme. Mais vous faites comme vous voulez, c’est votre politique et pas la mienne.
Un décalage encore accentué par une deuxième découverte :
La révélation ce jour (hier, 19 décembre, ndlr) par le média Disclose des manœuvres opérées par le groupe Decathlon (dont la marque SIMOND sponsorise la FFME, sponsoring sur laquelle je l’avais déjà alertée) pour continuer de commercer en Russie via des sociétés écrans à Dubaï et Singapour.
(Information que Décathlon n’a pas confirmée, ni commentée, à l’heure où nous bouclons cet article)
M’efforcer d’œuvrer positivement en Ukraine avec Guides Sans Frontières tout en étant administrateur d’une fédération sponsorisée par un groupe qui opère en catimini avec la Russie de Poutine, c’est un « en même temps » dont je ne suis pas capable.
Difficile d’incriminer la FFME quand l’information vient tout juste de tomber, mais, nous expliquait Yannick Vallençant ce matin au cours d’une interview téléphonique, à ce stade, il attendrait une réaction de la FFME. Ou pour le moins, que s’ouvre un débat sur ce point.
Un dialogue auquel, déçu, il ne croit plus au sein de la FFME. À son grand regret semble-t-il, quand on sait que tant reste à faire et combien les vrais usagers de la nature pourraient avoir de poids aujourd’hui si les fédérations sportives ne se laissaient pas noyauter par le lobby des chasseurs et osaient s’unir pour faire poids, explique-t-il. « Potentiellement, c’est sur 25 à 35 millions de personnes qu’on pourrait compter ! », dit-il. « Un projet auquel je participerais volontiers, si d’autres avaient le courage de me rejoindre ».
Son coup d’éclat n’ébranlera sans doute pas la FFME, dont on attend la réaction à ce courrier rendu public, mais on peut espérer qu’il y ouvrira enfin un débat qui semble désormais urgent.
Photo d'en-tête : Capture d'écran du site www.ffme.fr