Son nom, Adam Bielecki, vous est sans doute inconnu, et pourtant vous le connaissez. Ce Polonais de 36 ans et son groupe d’alpinistes ont sauvé la vie d’Élisabeth Revol en janvier 2018, sur les pentes glacées du Nanga Parbat. Nous avons lu son premier livre, ‘Le gel ne me fermera pas les yeux’, publié aux Éditions Guérin-Paulsen. S’il livre un témoignage exclusif sur les circonstances de cette mission de la dernière chance, cet ouvrage passionnant offre surtout une autre vision de l’alpinisme, méconnue en France.
Sauver une vie au dépend de la sienne. Celle d’une femme, d’une âme errante sur les glaces mortelles du Nanga Parbat au Pakistan. Tel a été le destin d’Adam Bielecki, au sein de sa bande des quatre cavaliers de l’apocalypse (Denis Urubko, Jaroslaw Botor et Piotr Tomala), dépêchée en dernière minute depuis sa propre expédition sur le K2 en plein hiver pour tenter l’impossible sauvetage. Alors que les deux autres préparaient un bivouac pour accueillir Élisabeth Revol en cas de réussite, Adam Bielecki et Denis Urubko avalaient plus de 1000 mètres de dénivelé au petit déjeuner par -35°C degrés pour essayer d’atteindre le refuge de fortune dans lequel la Française s’est réfugiée, à plus de 6 000 mètres.
Si le livre s’achève sur le récit glacé et haletant de cette héroïque course contre la montre, le reste de l’ouvrage retrace l’itinéraire de l’alpiniste de 36 ans, offrant une immersion dans l’univers brutal des ascensions hivernales qui nous a laissés frissonnants.
« Mission impossible »
Résumer la vie d’Adam Bielecki à cet épisode de « Mission impossible » serait réducteur, tant le Polonais a accumulé les premières et les exploits. Tout débute à 17 ans, quand il atteint seul le Khan Tengri (7 010 m) en style alpin, soit sans oxygène et sans cordes fixes. Viennent ensuite une passion et une addiction pour les ascensions hivernales, véritable sport national dans son pays. Les récits des « hivernales » de ses illustres prédécesseurs ont marqué l’enfant qu’il était. « Les Conquérants de l’inutile », de Lionel Terray, termine de le convaincre définitivement : « je décide de devenir himalayiste », écrit-il.
Adam Bielecki conte avec douceur et justesse son enfance, qui s’oriente très vite vers les hautes cimes. Tantôt on le voit escalader, équipé de chaussures de foot auxquelles il a pris le soin d’enlever les crampons, tantôt il narre les exploits d’Andrzej Zawada, véritable premier de cordée des ascensions hivernales, que Sir Edmund Hillary qualifie d’impossibles à l’époque. « Aucun humain ne peut survivre en hiver au-dessus de 8000 mètres d’altitude », estime le Néo-Zélandais, premier homme a avoir atteint le sommet de l’Everest, le 29 mai 1953.
Mais les Polonais, cloitrés dans un pays communiste alors que la course aux 8000 bat son plein, s’entraînent à domicile dans les Tatras et en Europe. Leur enthousiasme et leur détermination n’en sont que décuplés quand, dans les années 1970, les voyages à l’étranger s’ouvrent enfin à eux. Ayant loupé la folle conquête des premiers 8000 mètres, les Polonais vont se démarquer en les réalisant tour à tour en hiver. Sur les quatorze 8000 mètres à gravir, neuf ont été domptés par des Polonais. À ce jour, seul le K2 résiste encore aux alpinistes, mais Adam Bielecki entend bien tenter une nouvelle ascension dès cet hiver.
« Et qui a fait l’hivernale ? »
Dans le milieu des grimpeurs polonais, l’expression « et qui a fait l’hivernale ? » est devenue commune, comme pour souligner l’engouement que suscite ces exploits surhumains. Enfant, Adam est une encyclopédie, connaissant à l’histoire de l’alpinisme, venant même à souffler la date d’une ascension à un conférencier tête en l’air. Le récit de sa première ascension marquante en solo, sur le Khan Tengri, à la frontière entre le Kazakhstan et le Kirghizistan, est digne d’un récit de Jack Kerouac : « On dit qu’au Kazakhstan, pour un citoyen, il y a trois policiers – dont deux voleurs ». Son récit de voyage est jubilatoire et truffé de rebondissements : arrestation, prison, intimidation, rencontres du troisième type, tout y passe et nous laisse sous le charme.
« Rentrer vivant »
L’ouvrage ne manque pas souligner le degré extrême d’implication nécessaire aux hivernales, combiné à une grain de folie nécessaire pour se lancer dans ce genre d’expéditions. Plusieurs fois, l’auteur admet avoir trop joué avec ses limites et celles de la montagne. « Être rentré vivant de l’expédition au pic Pobeda (7 439 m) est l’une des plus belles réussites de ma carrière d’alpiniste », affirme-t-il, illustrant le propos d’une image le montrant posé dans une cavité de glace, le regard hagard.
On ne sort pas indemne de cet ouvrage. Tous les marqueurs habituels des expéditions – esprit de cordée, extrême difficulté, épuisement, maladies, gelures et accidents – sont là, avec une note particulière sur l’expérience du froid, plus intense que jamais et omniprésent. Adam Bielecki, malgré son jeune âge, offre ici une autre vision de l’alpinisme, méconnue en France. Ses premières hivernales au Gasherbrum I (mars 2012) et au Broad Peak (mars 2013) lui garantissent déjà une place dans les livres d’histoire, qu’il espère continuer à noircir avec la prochaine conquête du K2. L’alpiniste polonais de 36 ans clôt son fascinant ouvrage en affirmant que son vœu le plus cher, en dépit des dangers inhérents à sa discipline, n’est pas d’être un bon himalayiste mais un vieil hymalayiste. Une jolie preuve de maturité.
- Thèmes :
- Alpinisme
- Livre
- Nanga Parbat
- Sauvetage