Tesson l’a-t-il croisée lors de son séjour dans sa cabane au bord du Baïkal, qu’il n’en a pas parlé. Secret bien gardé jusqu’à présent que l’existence de cette incroyable Russe de 80 ans, vivant seule avec ses bêtes, coupée du monde pendant les longs hivers sibériens, dans l’une des régions les plus froides de la planète, -37°C… Pas de quoi décourager la vaillante babouchka qui, chaque matin, va casser la glace pour tirer de l’eau, et ne manque pas une occasion de chausser ses antiques patins pour aller faire ses courses au village voisin ou tout simplement jouir du plaisir de la glisse dans ce lieu unique « le plus bel endroit du monde », raconte-t-elle dans ce formidable documentaire de 44 minutes.
« Lubov « , signifie amour en russe », raconte Vivien Pieper, documentariste et journaliste allemande, réalisatrice de ce documentaire disponible sur ARTE jusqu’au 24 décembre. « Ses parents savaient ce qu’ils faisaient lorsqu’ils lui ont donné ce nom il y a 80 ans », poursuit-elle. « Aujourd’hui, cette grand-mère au visage étonnament jeune, vit seule, et raconte son amour aussi vaste et profond que l’objet de son amour lui-même : le lac Baïkal en Sibérie. « Ici, mon âme peut s’envoler », dit-elle. Elle accepte de marcher le dos courbé par les années, que ses mains soient gelées et qu’elle soit obligée de faire un trou dans la glace par moins 37 degrés pour tirer de l’eau pour elle et ses vaches. « Le Baïkal est tout pour moi » », raconte la vieille dame encore dotée d’une énergie sidérante.
La neige en revanche, elle l’aime moins. Car en hiver, elle l’empêche de filer sur ses patins vers le village le plus proche pour y faire ses courses. Il lui faut donc attendre que le vent la chasse, pour qu’elle puisse chausser des lames très rustiques, fixées à ses bottes par des ficelles, et file sur la glace pour retrouver un contact avec le monde extérieur. Seule survivante aujourd’hui d’une famille de neuf enfants élevés dans de rudes conditions, Lubov chasse les lourds souvenirs de ses proches disparus – notamment son frère chéri, noyé dans le lac – et d’un mariage malheureux, préférant tisser jour après jour son bonheur elle-même grâce aux immensités glacées qui l’entoure, à ses vaches et… à une simple paire de patins. « Alors Babouchka Lubov plane presque en apesanteur sur la glace. Et ne fait qu’un avec son amour », explique la réalisatrice qui, on le sent, a pris, le temps d’apprivoiser Lubov, Robinson du BaÏkal en phase totale avec son environnement.
Un regard tendre sur un personnage hors normes qui n’est pas sans rappeler celui qu’en 2021 Vivien Pieper portait dans « Le roi des vagabonds » sur d’autres « ermites » cachés pour leur plus grand bonheur dans des cabanes. Cette année-là, c’est dans les Carpates qu’elle se rendait pour rencontrer Juliusz, 91 ans, vivant au rythme de la nature au bord du lac de Solina. Comme son voisin Krzysztof, un « jeunot » de 77 ans, il vit en autosuffisance, avec ses chevaux. De belles leçons de vie, là-aussi.
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