Quand Vincent Munier, photographe que l’on ne présente plus – l’homme qui sans lever un sourcil se fait chahuter sous l’œil de sa propre caméra par neuf loups blancs, seul, au fin fond de l’Arctique – vous invite au voyage, préparez-vous à aller loin, et à vous émerveiller. C’est l’expérience qu’a vécue l’écrivain Sylvain Tesson parti à ses côtés à la recherche d’un des félins les plus fascinants qui soit, la panthère des neiges, cachée sur les plateaux du Tibet. Et c’est aussi celle que l’on peut partager dès aujourd’hui sur grand écran via le documentaire qu’il en a tiré avec la réalisatrice Marie Amiguet.
« Il y a une bête au Tibet que je poursuis depuis six ans, dit Munier.
Elle vit sur les plateaux. Il faut de longues approches pour l’apercevoir.
J’y retourne cet hiver, viens avec moi.
-Qui est-ce ?
-La panthère des neiges, dit-il.
-Je pensais qu’elle avait disparu, dis-je.
-C’est ce qu’elle fait croire. »
Il n’en fallait pas plus pour intriguer Sylvain Tesson et le conduire à se couler dans les pas, rapides, de l’infatigable Vincent Munier, photographe initié à la photographie animalière par son père, dans les Vosges, qui depuis quelques décennies parcourt la planète à la rencontre du vivant, de l’animal. Multiprimé, objet lui-même d’un documentaire « L’éternel émerveillé », ce taiseux au regard d’enfant va initier Tesson, l’homme du verbe, l’homme pressé, à l’art délicat de l’affût, et à la lecture des traces. Mais aussi à la patience nécessaire pour entrevoir les bêtes, ce qui n’est pas le moindre des talents du photographe quand on connait la fébrilité de son compagnon de route.
Cette expédition : « Pour moi un rêve, pour lui un rdv » résume l’écrivain qui en acceptant l’invitation du photographe ne savait sans doute pas quelle porte il ouvrait et combien il en reviendrait transformé. Au fil des kilomètres de marche sur les plateaux tibétains, images grandioses, l’écrivain a tout le loisir de découvrir et d’éprouver les trois principes du chasseur d’image : ignorer ses douleurs, ignorer le temps et ne jamais douter d’obtenir ce qu’on désire. Et ce malgré le froid, la fatigue et la faim. Mais jamais l’ennui.
Car avec les yeux de Vincent Munier, et le regard de la coréalisatrice, Marie Amiguet, on découvre que sur ces hauts plateaux chaque espace est insondable, chaque instant infini, et le vivant partout. A l’affut lui aussi, l’animal est là, nous observant en silence. Qui au sommet d’une tour, fondu dans la pierre, qui coulé dans la terre, invisible, mais tellement présents. « We are not alone” ( nous ne sommes pas seuls” ) balancent Nick Cave et Warren Ellis dans l’impeccable bande son rythmant le film.
De l’aube, surgissent des yaks sauvages. Imposants, préhistoriques. Sur une crête, des antilopes tibétaines s’étirent, délicates ombres chinoises. Et avec Vincent Munier et Sylvain Tesson on se surprend à scruter les collines, à sonder les ravins, et à baisser la voix. Pour mieux voir peut-être, à l’instar du photographe qui toujours semble chuchoter, par peur de déranger ou tout simplement dans l’espoir de se faire oublier et pourquoi pas, on peut rêver, adopter.
L’attente est longue, mais « si rien ne venait, c’est que nous n’avions pas assez regardé », commente Sylvain Tesson, qui à l’affut pendant des heures sous la neige, reconnait qu’ « il faut avoir une bonne vie intérieure quand même ! ». Mais la patience paiera. La panthère des neiges sera au rendez-vous. « C’est un cadeau, une chance », dit le photographe, bouleversé. « C’est un saisissement du cœur, tout ce quoi on a renoncé : la liberté, l’autonomie, la connaissance parfaite de l’environnement », pour l’écrivain.
Comment sortir indemne de tels moments s’interroge-t-on. « Les retours sont un peu compliqués », confie effectivement Vincent Munier à son compagnon. « Autour de ma maison, tout s’est détérioré. Quand tu vois que ce monde-là part en décrépitude, ça te fait super mal. Alors j’ai besoin de ces moments-là. Ca fait du bien à tout le monde ce type de paysage, tu ne crois pas ? Mais parfois on me reproche de ne montrer que ce qui est beau », raconte le photographe. Dilemme du témoin d’un monde au bord du chaos que résume ainsi Tesson « provoquer le désespoir ou célébrer la beauté ». Vincent Munier a choisi son camp. Et on ne peut que lui en être reconnaissant.
Photo d'en-tête : Vincent Munier