Finir 7e la course de ski alpinisme la plus difficile au monde, c’est une performance. Enchaîner sans un jour de repos le trail le plus relevé de début de saison, et s’y classer 5e. C’est un exploit. Ludovic Pommeret, un des trailers français les plus prestigieux, un des plus discrets aussi, s’est confié à Outside sur cet extraordinaire enchaînement et sur sa préparation.
Si la Pierra Menta est un mythe, le Trail du Mont Ventoux un monument, alors Ludovic Pommeret est une légende vivante de l’outdoor francais. Cet athlète, âgé de 43 ans, vient en effet de courir la Pierra Menta (10000 m de dénivelé positif) avant d’embrayer sur le Trail du Ventoux (46 km/ 2600 de d+). Soit 5 jours consécutifs de compétition. Sans un jour de repos. Un enchaînement improbable, impossible même pour le commun des mortels.
Evidemment Ludovic n’est pas un novice. Membre de la Trail Team Hoka, c’est un formidable athlète de classe mondiale qui accumule les podiums sur les trails et les ultra trails depuis maintenant 15 ans. Notamment l’UTMB, remporté en 2016.
Réputé pour sa soif de dénivelé, le trailer s’est mis au défi cette année d’enchaîner deux courses dans deux disciplines différentes, le ski alpinisme et le trail. Une façon comme une autre de se préparer pour la sélection des championnats du monde de trail du 8 juin, au Portugal.
« La Pierra Menta était pour moi l’objectif principal, explique-t-il. J’ai mis du temps à me décider pour le Trail du Ventoux. L’enchainement est difficile physiquement mais aussi mentalement. Il faut tout donner sur les 4 étapes de « la Pierre », ne pas décevoir son équipier sur cette course en binôme, la moindre faute se paye cash. Se remobiliser le 5e jour, et enchaîner sur une autre discipline, est extrêmement difficile. » D’autant que Ludovic n’est pas un athlète professionnel, malgré son palmarès impressionnant. Père de famille, cet ingénieur informatique vit à Genève en semaine et rejoint sa famille le week-end en Savoie. C’est là qu’il enchaîne les dénivelés avec une décontraction déroutante.
Flash back sur la Pierra Menta
Le 13 mars, Ludovic a donc attaqué sa semaine par la Pierra Menta. Une course de ski alpinisme sur quatre jours au cœur du massif du Beaufortin. Chacune des étapes comporte entre 2000 et 2800 mètres de dénivelés positifs soit 10000 mètres au total. L’épreuve se déroule par équipe de 2 ; 200 cordées s’y affrontent. Quatre jours à évoluer dans des paysages imposants. Montées sèches, passages de cols, traversées de crêtes à donner le vertige. Les transitions (Dépeautage // Repeautage) doivent être extrêmement rapides et les descentes dans des couloirs étroits et pentus se font à des vitesses effrayantes. Sauvages et engagés, les parcours sont tracés par des organisateurs souvent nés dans la vallée du village d’Arêches Beaufort. Des experts qui connaissent chaque combe, chaque crête, chaque dénivellation des alentours.
La Pierra Menta c’est aussi une ambiance, chaque jour des milliers de spectateurs montent en ski pour acclamer les athlètes. Les cloches retentissent, les cris des spectateurs résonnent jusque dans la vallée. Lors de la dernière étape, près de 4000 personnes se pressent pour encourager les coureurs au bout de leurs limites. « Faire la Pierra est une expérience incroyable que l’on vit rarement dans la vie d’un sportif », explique Alexandre Barberoux (Team La Sportiva, 31èmeen 2019). « Cela exige une implication physique et mentale, mais aussi des heures d’entraînement. Sans parler de l’investissement financier. Chaque équipement est pesé, chaque gramme est superflu. Il faut être le plus efficace et le plus léger possible dans les montées. Finir la Pierra Menta est difficile. Un top 10 sur cette course est un rêve souvent inaccessible, sauf pour une poignée d’athlètes. »
« Au départ de la première étape, à Arêches, le 13 mars dernier, pas question de penser au Ventoux », explique Ludovic. « Je prends les étapes une par une, heure par heure, minute par minute. Il faut être concentré à fond sur son effort pour ne pas commettre d’erreurs. » Cette première journée s’avère difficile, Julien Michelon, son équipier, est fort, il met le trailer est dans le rouge. Ludovic s’accroche dans les montées et « récupère » dans les descentes à plus de 80km/h dans la neige parfois poudreuse, parfois croutée. Le binôme franchit la ligne en 8e position. Un classement qui les obligera à se battre les jours suivants pour garder ce top 10 si convoité.
Le deuxième jour est l’étape la plus longue jamais vue sur une Pierra Menta : plus de 32 km et 2800 m de d+. Les conditions sont difficiles, il neige, il pleut même. Pas de quoi affecter des coureurs de ce niveau. Ils finiront à la 12e place sur cette seconde étape.
La suite est simple. Ludovic fait parler son expérience, l’écart avec son binôme s’efface. L’équipe n°11 enchaîne et monte en puissance avec une 8e place sur la 3e étape pour finir avec une 5e place sur la dernière, à seulement 5 minutes de la victoire.
Ludovic et Julien se classent 7e au classement général final. Magistral. Fin de la course pour tous les coureurs, épuisés, qui n’aspirent qu’à récupérer. Ludovic, lui commence à penser au lendemain…
Direction, le Ventoux
Samedi 16 mars, il est 17h00 quand Ludo quitte Arêches. Quatre heures de route et 335 km plus tard, il rejoint Bédoin au pied du Ventoux.
Dimanche 18 mars, 8h00, départ du Trail du Ventoux. 46 km et 2400 mètres de dénivelé au programme pour finir la semaine. Un parcours simple: montée depuis le village de Bédoin jusqu’au sommet de Provence -1912 mètres d’altitude- puis redescente, sans compter quelques petites relances et autre montées courtes mais épuisantes.
C’est la course de rentrée pour les meilleurs trailers français qui ont tous en ligne de mire la sélection en équipe de France pour les prochains championnats du monde, prévus un mois plus tard, le 14 avril. On vient ici pour se mesurer à un monument, le Ventoux, mais aussi aux autres coureurs. Tous ont préparé cette course pendant l’hiver, le repos a été primordial la semaine précédente. Ludovic, lui, a fait plus de douze heures de ski ces quatre derniers jours, à une intensité proche du maximum.
Le départ est lancé. Les jambes sont lourdes et ne répondent pas. Ludo n’est pas dans son rythme. Mais il sait gérer les moments difficiles. Il se trouve un compagnon de route, pour former un nouveau binôme avec le suisse Diego Pazos. Ensemble ils se motivent et remontent les concurrents. 20e au sommet, ils entament une remontée à deux. Ludovic se classe finalement 5e. Impressionnant.
Une préparation en deux temps
« Je décompose mon année en deux saisons, explique Ludovic Pommeret. L’hiver je me focalise sur le ski. Avant la Pierra Menta, j’ai ainsi réalisé 100000 mètres de dénivelés positifs pendant les week-ends et les vacances. Mais je ne délaisse pas pour autant la course à pied. En semaine, à Genève, je ne fais que de la course à pied. Quatre séances où je travaille ma vitesse. Mais mon esprit est focalisé sur le ski. L’été, en revanche, je me concentre sur le trail. Cet enchaînement me permet de garder de la fraicheur physique mais aussi mentale. Au niveau physique et musculaire je ne suis pas usé, je reste motivé. » Ludovic avoue aussi avoir amélioré ses performances depuis sa sélection en équipe de France de trail pour les Championnats du Monde à Annecy, en 2015. « Jusque-là, poursuit-il, je m’entrainais plus au feeling. Mais depuis ma sélection, je suis devenu vraiment assidu, je réalise des séances précises, sous la direction de mon coach, Philippe Propage (NDLR : également sélectionneur de l’équipe de France de trail). Au final, cela fait peu de temps que je cours sérieusement, c’est peut-être là mon secret. »
Interviewé il y a quelques jours, Ludovic était de nouveau sur les skis. Il descendait la vallée blanche en » récup ». Pour une fois, il avait pris le téléphérique pour monter à l’Aiguille du midi.
Photo d'en-tête : agence Kros Remi Fabregue- Thèmes :
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