En 1982, il suffit d’un documentaire de 24 minutes, empreint de poésie et de philosophie, pour que le grand public découvre l’escalade, incarnée par un jeune homme de 22 ans. Surnommé « Le Blond », il est suspendu dans le vide, une seule main sur le rocher. Sous la caméra de Jean-Paul Janssen, son visage d’ange, sublimé par des boucles blondes rangées sous un bandana, crève l’écran. Retour sur l’histoire d’un film emblématique qui fête ses quarante ans cette année.
« On en a mal aux doigts, mal aux tripes » s’exclame Jacques Lanzmann, journaliste que l’on ne présente plus, venu couvrir le festival de La Plagne, en 1982. « Edlinger qui chante ici son opéra vertical est formidable d’assurance et de modestie. En contrepoint des images superbes que l’on doit à Janssen vient s’inscrire le texte, non moins superbe, d’Edlinger ; sorte de monologue où se mêlent voix intérieure et voix extérieure. La première montant des entrailles en passant par l’âme, la seconde coulant de source et des lèvres pour lâcher des mots aussi précis que le geste du grimpeur ».
Révélé au monde grâce au documentaire « La vie au bout des doigts », Patrick Edlinger est l’un des pionniers de l’escalade sportive. Dès ses 18 ans, il se consacre pleinement à sa passion, grimpant généralement en solo intégral des voies allant jusqu’à 8a, faute de partenaire de cordée.
« Là-haut, tu ne vois plus de pourriture, de merde ni d’injustice »
Venu passer, au début des années 80, des vacances à La Palud-sur-Verdon, Jean-Paul Janssen, réalisateur et cameraman révélé par le magazine télé « Cinq colonnes à la Une », est intrigué par les grimpeurs locaux. Plus tard, accompagné de son assistant, Laurent Chevallier, jeune cameraman amateur d’escalade et d’alpinisme qui vient de tourner quelques images au Nanga Parbat avec Patrick Berhault, il prend contacta avec les têtes d’affiche de la presse spécialisée. S’en suit une trilogie de documentaires, respectivement nommés, « Overdon », « Oversand », « Overice ». « Je me suis demandé pourquoi on nous contactait pour faire ces films, je me demandais si ça allait intéresser, en revanche, on se disait qu’on allait voyager, dormir à l’hôtel et bien bouffer. Pour une fois ! » souligne Patrick Edlinger dans son autobiographie. L’aventure médiatique ne fait que commencer…
En parallèle des films paraît, en avril 1981, un article, intitulé « L’overdose en escalade, ça s’appelle la chute », dans Actuel. Si ce papier fait passer les adeptes de ce sport pour des trompe-la-mort, au grand regret de Patrick, il met déjà en lumière la philosophie du Blond. « Là-haut, tu ne vois plus de pourriture, de merde ni d’injustice » peut-on lire. Ainsi, l’escalade et ses héros rencontrent un public nouveau, plus large. C’est alors que Jean-Paul Janssen contacte Patrick en vue d’un futur projet. « Je n’ai pas hésité une seule seconde. Depuis « Overdon », nous avions noué une véritable amitié. Et puis, le projet me plaisait et, chose pas négligeable, Jean-Paul me proposait un cachet de 10 000 francs. Je n’avais jamais eu l’occasion de gagner une somme pareille » se souvient le grimpeur.
« L’essentiel dans la vie, c’est encore de savoir apprécier les choses simples »
Si le tournage est initialement prévu au toit des rochers de La Piade, avec la mer en toile de fond, un autre lieu vient s’ajouter, de manière totalement improvisée. Caméra au poing, Jean-Paul Janssen découvre Buoux, un lieu paisible où s’est écrite l’histoire de l’escalade. Voir évoluer Patrick en solo sur des voies aujourd’hui mythiques, dont le fameux surplomb de « La Beda », conquit le réalisateur. S’en suivent trois jours intenses de tournage. Une fois de retour sur Paris, stupéfait par les images, le journaliste Jean-Louis Blondin s’exclame : « C’est vraiment la vie au bout des doigts ! » Le titre est né. Il ne reste plus qu’à y ajouter la bande musicale. Janssen opte pour « Pyramid » d’Alan Parson Project. Une série de hasards qui permettront au grimpeur de rentrer dans la légende.
Dès sa diffusion, le film est très bien accueilli par la critique et les spectateurs. « Cheveux longs, blonds, un corps étonnamment sculpté, et puis cette voix à l’accent du sud qui affirmait des valeurs inhabituelles pour l’époque : la beauté de la nature, la joie du risque, l’esprit du vertige. Le mythe s’installe » souligne le réalisateur. « La vie au bout des doigts », ce sont aussi des déclarations qui propulsent Patrick au rang d’idole pour certains. On retient particulièrement celle-ci, qui souligne la philosophie minimaliste du grimpeur : « L’essentiel dans la vie, c’est encore de savoir apprécier les choses simples et se contenter avec délectation d’un verre d’eau et d’un sandwich ».
« Je me suis dit que j’allais y laisser mon âme »
Il y a eu un avant et un après « La vie au bout des doigts ». Suite au film, Patrick Edlinger devient une star, en témoignent les Unes dans France-soir, Paris Match, Télé 7 Jours et Grands Reportages. Ou encore les passages télé chez Michel Drucker (Champs-Elysées), Jacques Chancel (Grand Echiquier) et Michel Polac (Droit de réponse). À savoir que le film est un véritable succès ! S’il a coûté 150 000 francs (environ 20 000 euros) à produire, il en rapporte 200 millions, notamment grâce à la vente par Antenne 2 dans 25 pays et l’obtention de plusieurs récompenses, allant du « 7 d’or » (délivré par le magazine Télé 7 jours) à la nomination au César du meilleur documentaire (1984).
Une gloire difficile à gérer pour la famille. C’est bien simple : le téléphone sonne tout le temps ! Pour supporter la pression, Patrick commence à fumer, accompagné par ses nouveaux amis, Gainsbourg et Coluche. « Je ne connaissais pas ce monde, je ne regardais jamais la télévision, mais j’ai compris que ce média était redoutable puisque du jour au lendemain, des inconnus me saluent, me demandent une signature comme si j’étais une vedette » explique-t-il dans son autobiographie. L’intégralité du quotidien de Patrick est bouleversé, jusqu’à ses relations avec les femmes. « J’avoue que j’en ai bien profité, j’ai eu le sentiment que toutes les plus belles filles passaient dans mon lit ».
Avant de quitter la vie parisienne, Patrick reçoit une énième récompense, en novembre 1984. « Ils m’ont élu sportif préféré des Français. Ca ressemblait à un gag mais pas du tout, c’était sérieux ! ». Peu de temps après, il retourne dans le Verdon : « Les falaises, les copains, le vide me manquaient, je me suis dit que j’allais y laisser mon âme et que j’allais plus me perdre que me trouver ».
Réalisation : Jean-paul Janssen
Durée : 26 mn
Athlète : Patrick Edlinger
Pour en savoir plus sur l’histoire du grimpeur de légende, lire « Patrick Edlinger« , « autobiographie », co-écrite avec Jean-Michel Asselin. Non achevée à la mort d’Edlinger en novembre 2012, elle sortira aux éditions Guérin en février 2013.
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