La nouvelle avait fait grand bruit en 2014 : Selon un rapport de l’OMS portant sur l’année 2011, Annecy devenait la deuxième ville la plus polluée de France. Impensable pour une capitale de l’outdoor ! 5 ans plus tard, où en est-on ? S’il y a quelques raisons d’espérer, de nombreuses inquiétudes demeurent, et les pouvoirs publics ne semblent pas avoir pris la pleine mesure de la situation. La communauté outdoor, elle, se mobilise. Elle se réunit aujourd’hui à Chamonix pour une course caritative avant de se donner rendez-vous à Annecy à la fin du mois.
Ludo a glissé l’info tout en haut de sa mini-bio. Elle prend la forme d’une URL assortie d’une légende laconique : qualité de l’air : www.air-rhonealpes.fr. Drôle de manière d’amorcer son portrait numérique sur Movescount, réseau social sportif bien connu. Contacté, cet amateur de sports de plein-air explique : « Avant d’aller m’adonner à mon sport favori, je veux être sûr que ma pratique ne nuit pas à ma santé. » Sur le groupe public Facebook Annecy Mobilité, au milieu des témoignages visant à améliorer le quotidien des cyclistes de l’agglomération annécienne, on note des questions portant sur le bien-fondé des masques anti-pollution. Il n’est d’ailleurs par rare de voir quelques cyclistes en porter dans la cité lacustre, même si leur efficacité et leur confort d’usage ont été remis en cause.
L’oxygène ne semble plus couler de source à Annecy, contrairement à ce que proclamait un célèbre autocollant promotionnel des années 90. Paradoxal pour une ville qui fait rêver de nombreux sportifs et qui est le siège d’enseignes prestigieuses de l’outdoor. Mais c’est loin d’être son seul paradoxe.
Une amélioration, vraiment?
Le rapport 2018 de Atmo Auvergne-Rhône-Alpes -l’observatoire agréé par le Ministère de la Transition écologique et solidaire, « pour la surveillance et l’information sur la qualité de l’air en Auvergne-Rhône-Alpes »- donne pourtant des raisons d’espérer. Celui-ci montre que « la tendance à l’amélioration générale de la qualité de l’air (qui s’est accentuée en 2017, ndlr) dans la région se vérifie. » Le rapport se base sur les normes européennes -moins contraignantes que celles de l’OMS- dont les valeurs réglementaires sont respectées, en particulier pour les particules fines PM 2,5 qui avaient valu à Annecy ce si mauvais classement en 2014. Alors, faut-il se réjouir pour autant ?
Anne Lassman-Trappier, présidente de l’association Inspire 74, qui « œuvre pour une meilleure qualité de l’air au pays du Mont-Blanc » corrobore ces bons résultats. Avec quelques réserves : « On peut expliquer cette baisse par les améliorations apportées au secteur résidentiel (le chauffage est la première source d’émission de particules fines en Haute-Savoie, devant le transport, ndlr), et la généralisation des filtres à particules. Toutefois, il ne faut pas négliger le fait que les valeurs des dioxydes d’azote sont encore hautes et que les taux d’ozone prennent l’ascenseur. Enfin, de nouveau polluants sont désormais à prendre en considération. »
Ce dernier point est entériné par le même rapport, dans sa conclusion, en forme de défi : poursuivre l’amélioration «des connaissances et de surveillance de nouveaux polluants (émergents ou non réglementés) pour disposer de données en vue d’évaluer l’exposition des populations. » Anne Lassman-Trappier traduit : « on parle ici surtout des particules ultra-fines (PUF). Produites justement par les filtres à particules des véhicules, elles pénètrent beaucoup plus profondément dans l’organisme. or, à ce jour, elles ne sont pas mesurées en France. » Au final, 56,7 % de la population haut-savoyarde reste exposée à des normes dépassant celles de l’OMS pour les PM 2,5 (contre 42 % dans la Région Auvergne-Rhône-Alpes).
Sur son site, le Grenelle des transports et de la qualité de l’air annécien -un collectif de 14 associations- enfonce le clou : « Annecy est la ville la plus polluée en Auvergne-Rhône-Alpes en ce qui concerne les particules fines PM 2,5 (les plus dangereuses car elles pénètrent les alvéoles pulmonaires) sur la moyenne 2009-2017. » Pour Annecy, « soixante-dix décès par an sont attribués à cette pollution de fond ». La municipalité a-t-elle pris la mesure de ce problème ?
LOLA et la politique du tout-voiture
Liaison Ouest du Lac d’Annecy ou LOLA. Derrière ce chantant acronyme, un débat d’une ferveur inégalée qui a ébranlé la Venise des Alpes et qui a donné lieu à une consultation publique de grande ampleur pilotée par la Commission nationale du débat public (CNDP). De quoi s’agit-il ? Entre autres, de la construction d’un tunnel routier traversant la montagne du Semnoz pour fluidifier une partie des rives du lac et le centre-ville. Un projet vieux de 20 ans au moins et qui sent la naphtaline selon ses opposants.
François Astorg, élu municipal et communautaire, ancien Vert désormais sans étiquette, explique les méfaits de « cette politique du tout-voiture » : « Il faut mettre en place de réelles alternatives qui permettent aux habitants d’avoir le choix, celui de délaisser leurs véhicules et d’avoir ainsi un impact direct sur la qualité de l’air. Pour une agglomération dépendante à la voiture, c’est une évidence. »
Dans ce cadre-là, un projet routier comme celui du tunnel sous le Semnoz ne ferait que renforcer cette dépendance par un phénomène de trafic induit, occulté par les porteurs de projet, et par l’absence d’une alternative vraiment attractive à la voiture.
Bruno d’Halluin, le référent transport et qualité de l’air des Amis de la Terre 74 fait cette analyse : «Le département et l’agglomération d’Annecy ont signé une convention de financement de près d’un demi-milliard d’euros pour neuf projets routiers programmés dans l’agglomération annécienne. 80% vont au développement d’infrastructures routières, favorisant ainsi l’usage accru de l’automobile alors qu’il faudrait réorienter massivement les budgets de mobilité vers les modes de transports décarbonés. »
Un plan d’action à minima
La ville d’Annecy a-t-elle saisi la pleine mesure de la situation ? Détaillons le « plan d’action » annoncé face à l’urgence.
Des dispositifs d’information sur la qualité de l’air ont été diffusés sur le site et dans le magazine de la ville en 2017. Ils invitent la population à se déplacer, à se chauffer ou encore à consommer autrement. Pour le chauffage, un Fonds air bois prévoyant une prime de 1000 euros pour moderniser son installation a été créé. Enfin, Annecy fait partie des 19 lauréats retenus pour la mise en œuvre de « Zones à faible émissions. » Piloté par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), ce projet consiste à mettre en place« une interdiction d’accès à un périmètre urbain (à définir) pour des véhicules ne respectant pas certaines normes d’émissions (Crit’Air) ou d’équipement (normes Euro), dans le but de réduire l’exposition de la population à la pollution. »
Les engagements de la Ville d’Annecy, qui ambitionne de devenir capitale verte européenne à l’horizon 2022, sont nombreux : « réalisation de bus à haut niveau de service (dont la première partie a été mise en place le 29 avril dernier), mise en œuvre du schéma cyclable, développement de l’offre Vélonécy, de l’autopartage et du covoiturage, renforcement des parkings relais, accompagnement des plans de déplacements en entreprises, élaboration d’un nouveau Plan de déplacements urbains. » Comme le souligne Thierry Billet, Vice-président « Climat, Air, Énergie » du Grand Annecy, ces engagements s’inscrivent nécessairement dans le temps « : il faut du temps pour améliorer la qualité de l’air comme il a fallu du temps pour assainir le lac. Nous ne voulons pas limiter notre action à des réactions à chaud lors des pics de pollution, mais induire et accompagner un mouvement général pour diminuer la pollution de fond, celle qui est la plus dangereuse en matière de santé publique. On ne gagnera pas un air plus pur en quelques mois : cela nécessite de changer nos comportements, d’offrir des alternatives moins polluantes et des moyens supplémentaires pour accompagner les mutations indispensables. »
1 vélo pour 333 habitants
Reste à savoir si ces engagements, louables sur le papier, seront suivis d’effet. On peut s’en inquiéter, au vu de la gestion unilatérale de la « concertation » sur le projet de tunnel sous le Semnoz, pointée du doigt par la garante de la CNDP, et l’inertie ou la lenteur des pouvoirs publics face aux projets alternatifs. Notamment celui de tramway, plébiscité par les riverains, et dont l’étude a finalement été entamée sur le tard et sur la défensive.
Quant à Vélonécy, la structure dispose d’une flotte de « 600 vélos environs » situés en un seul site aux horaires d’ouverture restreints, soit 1 pour 333 habitants à l’échelle du Grand Annecy. La mise en œuvre du réseau cyclable (dont le schéma du même nom reste très flou à ce jour) connaît de fréquents rétropédalages, témoin l’abandon du site propre pour les bus et les cycles sur l’Avenue de Genève.
Par ailleurs, « Annecy dispose de 7 « parcs de proximité » (« des zones de stationnement gratuites, situées près d’un arrêt de bus bénéficiant d’une forte fréquence » comme les définit la ville d’Annecy.) Problème : la « forte fréquence » se révèle être à trois reprises de 45 minutes et la capacité de ces parkings gratuits varie de 10 à 130 places… Quant aux trois parkings relais, ils sont désormais « réservés aux abonnés Sibra détenteurs d’un abonnement Liberté annuel. » « La ville d’Annecy n’a pas communiqué sur ces changements et les P + R ne sont pas signalés de façon adéquat » relève Marion Lafarie, membre du collectif citoyen Les Habitants et animatrice du groupe Facebook Annecyclo, qui se penche sur les questions de mobilité douce. Sans compter sur la fermeture proche ou la saturation de plusieurs parcs relais situés aux abords des entrées d’autoroute. » conclut-elle.
Le secteur de l’Outdoor se mobilise
Sans même évoquer l’impact de l’industrie sur la qualité de l’air en Haute-Savoie ou encore les conséquences de flux touristiques massifs, dont les effets sont amplifiés par la topographie typique et les caractéristiques climatiques des vallées alpines, il est indéniable que la pollution doit rester une préoccupation majeure des autorités locales et des citoyens.
Sans attendre, les acteurs de l’outdoor se sont emparés du problème et mènent d’ores et déjà des actions de sensibilisation. Patagonia, qui avait contribué financièrement à la création du très pédagogique Web-documentaire sur la pollution de l’air de Inspire 74 aux côtés d’autres marques emblématiques comme Salomon ou Black Crows, organise ce samedi la première « course à l’air pur » à Chamonix. Intitulée Running Up for Air (RUFA), ses coûts d’inscription (20€) ainsi que tous ses bénéfices seront reversés à l’association Inspire. Quelques semaines plus tard, le 25 mai, à Annecy, associations et marques outdoor « s’encorderont » pour le climat. Voici le texte de l’événement Facebook : « Cette mobilisation encordée se fait en solidarité avec la Marche pour le climat : nous pensons que la convergence des luttes sera l’unique voie pour imaginer une société durable et respectueuse des humains et de la Terre. Nous déambulerons encordé·es avant de rejoindre la Marche pour le climat et la Vélorution sur le Pâquier à 14h15. De là, nous repartirons pour un tour avec l’ensemble des personnes mobilisées pour le climat. »
Photo d'en-tête : Marion Lafarie- Thèmes :
- Alpes
- Annecy
- Environnement
- Pollution