Faut pas se fier aux apparences. A 29 ans Federica Mingolla , aka« Ming », joue dans le 8c en falaise – ce qu’on appelle du haut niveau – et en laisse plus d’un derrière en montagne dès la première neige tombée. Ajoutez que non contente de faire partie des rares femmes guides de haute montagne en Italie, elle est athlète pro du team Salewa et vient de commencer une formation en ostéopathie… cinq ans d’études en perspective, de quoi consolider un profil presque parfait si derrière l’image de la belle Italienne ne se dissimulaient des fissures qui, maintes fois auraient pu la plonger très bas, notamment après son terrible accident survenu il y a moins de deux ans. Ce qui l’a sauvée, chaque fois ? Son amour viscéral pour la montagne et sa communauté qui lui ont permis de rester solidement ancrée. « Pas si simple, pourtant », nous raconte-t-elle avec pudeur.
Elle n’est pas vraiment du genre à se la raconter, mais dans le milieu de la grimpe son palmarès parle tout seul. Federica Mingolla est l’une des meilleures alpinistes italiennes. Qu’on en juge : première Italienne à gravir des voies techniques telles que Tom et Je Ris (Verdon), Digital Crack sur le massif du Mont-Blanc et, en journée, la voie Attraverso il Pesce à la Marmolada. On l’a aussi vu escalader à vue la Cruna dell’ago (8a) dans le silencieux Vallone di Forzo, au cœur du Parc national Gran Paradiso ; en France, elle s’est attaquée au calcaire des Tours d’Areu avec la voie Golden Tower (8a), au granite du Mont-Blanc avec le fameux toit de Ma Dalton (7b/c), et à la voie Bellavista sur la face nord de la Cima Ovest de Lavaredo, ouverte en solitaire par Alexander Huber en 1999 et dont le niveau de difficulté est estimé aux alentours de 8b+/c. Du sérieux donc, auquel aucun athlète ne peut prétendre sans une maîtrise de l’équilibre, physique bien sûr, mais aussi et surtout mental, ce qui semble être le plus difficile, comprend-on en écoutant Federica Mingolla, grimpeuse passée de la compétition sportive à l’escalade en trad jusqu’au diplôme de guide. Un parcours qui est loin d’avoir été un long fleuve tranquille
« Depuis l’enfance, j’ai toujours aimé les vallées de Lanzo », raconte-t-elle dans « Fragile come la roccia » (fragile comme la roche, ndlr), biographie sortie cette année dans laquelle elle se livre avec une franchise rare (encore non traduite en français, ndlr). « Je suis née et j’ai grandi à Turin et ces montagnes, c’était là où je passais les week-ends en famille. » Là où elle découvre « ce vague sentiment de liberté que me procurait le fait d’être en altitude, baignée dans l’odeur du sapin, aveuglée par le blanc de la neige. » Un ravissement qui ne la quittera jamais. Il lui faudra pourtant passer par quelques détours pour s’y plonger vraiment. « J’ai toujours été en contact avec les montagnes grâce à mon père, qui m’y a emmenée avec lui dès mes premières années. Mais je n’avais jamais approfondi la notion de verticalité : je faisais du ski de randonnée et des via ferrata, et surtout, je pratiquais alors la natation, en compétition. J’ai commencé l’escalade plutôt tard, vers 15 ans, grâce à une salle de sport indoor de Turin ». Aux bassins succèdent donc les murs et, là aussi, les compétitions.
Avec la compétition, le piège de l’anorexie
« Dès que je posais les mains sur les prises en résine colorée, c’était comme… reconnaître quelque chose. Je me sentais parfaitement à l’aise accrochée à ce mur équipé, je sentais que je pouvais me déplacer avec fluidité, sans effort, comme cela ne m’était jamais arrivé, même sur un sentier de montagne facile. Je me sentais bien là-bas, même si je n’étais pas à l’extérieur. (…) Il n’a pas fallu longtemps pour que les entraîneurs remarquent mon potentiel et je me suis donc retrouvée en très peu de temps à m’entraîner avec le groupe sportif des jeunes. Ce qui signifiait : courses, compétitions, classements.
Un tourbillon commence (…). Mes journées d’alors peuvent se résumer ainsi : école – formation – études – sommeil. Tous les jours, sept jours sur sept. Les résultats ont commencé à arriver, mes performances se sont améliorées et avec elles ma position dans le classement. Mais ma santé s’est dégradée. La pression résultant des exigences – que bien entendu, je me suis mises tout seule – est devenue de plus en plus forte. J’étais obsédée par le résultat, j’ai commencé à manger moins, d’abord à cause du stress et ensuite, par conséquence naturelle, parce que j’ai réalisé qu’en pesant moins… j’étais plus performante. J’avais enfin l’impression d’être bonne dans quelque chose. » (…) « En peu de temps, je suis passée de maigre à très maigre, puis à… malade. Mais le drame, c’est que les résultats ont commencé à arriver.(…) Anorexie ? J’ai touché le fond. », raconte-t-elle. Elle trouvera toutefois les ressources pour quitter la salle et les podiums mais pas l’escalade, déjà vitale à ses yeux.
Grimper en extérieur : la rédemption !
« Lorsque j’ai laissé le monde des compétitions en salle derrière moi, j’ai senti de l’air frais entrer à nouveau dans mes poumons, littéralement. Parce qu’à partir de ce moment-là, son contraire s’est en quelque sorte ouvert devant moi, le monde libre de l’alpinisme : le plein air ». Un univers, fait de blocs, puis de falaises que lui fera découvrir un jeune guide, Adriano, qui va lui redonner confiance et lui révéler son potentiel. Car là, comme en salle, Federica Mingolla performe : le 2 octobre 2014, elle réussit l’ascension libre « Tom et Je Ris ». C’est son premier 8b+, son premier grand projet extérieur. Après les entraîneurs, au tour des sponsors de repérer la perle rare car à l’époque le 8b était encore considéré comme une note limite dans le monde de l’escalade sportive, sans compter qu’elle était une femme, jolie de surcroit. L’Italienne est talentueuse et photogénique, tout ce qu’aiment les réseaux sociaux. « Les propositions les plus absurdes ont commencé à arriver et moi, naïve et enivrée par toute cette attention, j’ai dit oui à tout ».
Federica avait mis la main dans un engrenage. « Il y avait des types de contenus et des délais à respecter : tant de posts par semaine, tant de photos avec le produit (…) ». Et des recommandations à n’en plus finir, écrit-elle. « ‘attention : ne laisse pas le nombre de tes abonnés diminuer. Attention, ne cadre pas comme ça. Attention, choisis toujours des endroits beaux et différents’. Bref… c’était un travail. (…) J’ai réalisé que je regardais mon téléphone portable d’une manière malsaine et compulsive. (…) Il ne suffisait pas de dire : ‘Oui, j’ai fait cette ascension, c’était sympa, j’aimerais bien faire cette autre maintenant… » Non ! Il fallait dire : ‘J’ai fait cette ascension et wow !!! (visage excité) C’était la chose la plus étonnante que j’ai jamais faite (visage fou), le meilleur endroit au monde (visage avec des étoiles en guise d’yeux), la chose la plus difficile sur terre (visage en sueur, visage avec la langue sortie, bras musclé )’ ».
Sortir plus forte de l’accident
Une pression que connaissent encore trop d’athlètes aujourd’hui, et dont Federica a su sortir en limitant ses collaborations, quitte à y perdre des budgets, et en choisissant soigneusement ses partenaires. « Avec Salewa, j’ai rencontré le directeur marketing de la marque, bien sûr, mais on est aussi allé grimper ensemble, on parle le même langage, ça fait la différence d’être avec quelqu’un qui est aussi un athlète, qui n’est pas un simple amateur, et qui comprend ce que ça veut dire que la vie d’un athlète ». Un soutien qui s’est révélé décisif, car lorsque la grimpeuse rencontre la marque, elle vient de sortir d’une rude épreuve. En septembre 2021, alors qu’elle est engagée dans Così parlò Zarathustra au Trono di Osiride, grande voie en trad’ de 300 m, comptant des difficultés flirtant avec le 7c, elle fait une chute de 20 m sur coinceurs. Bilan : fracture des deux talons. L’hyperactive Federica est à l’arrêt pendant deux mois, dont un mois et demi en fauteuil roulant. C’est l’entraînement qui lui évitera de tomber dans la dépression.
« Je ne pouvais pas travailler le bas du corps ? J’ai travaillé inlassablement le haut, à grands coups de tractions via un dispositif que j’avais mis au point. (…) « Je grimpais avec mille précautions sur un tabouret que je positionnais sous la poutre (opération digne d’un 7c) et, m’agenouillant dessus, je m’étirais jusqu’à ce que mes doigts atteignent la première encoche de la poutre, la plus petite. Avec une traction, je me relevais et commençais les exercices. Et si j’étais tombée ? Simple, j’avais inventé un stratagème : je m’attachais avec un bout de corde à la poutre elle-même, pour éviter de finir sur le sol en cas de perte d’équilibre. (…) Rien ne pouvait m’arrêter, il ne se passait pas un jour sans que je m’entraîne, c’était ma raison de vivre. (…) Après chaque séance, j’avais l’impression de gravir une vraie montagne, comme si j’avais couru un marathon. Mes bras étaient fatigués, mon corps satisfait. Mes pieds étaient certes dans le plâtre, mais tout le reste était plus vivant que jamais. »
Réapprendre à voler
Avec l’entraînement, son humeur s’améliore et l’expérience de l’accident lui permet également de réévaluer nombre d’aspects de sa vie. « Je ne crois pas être devenue plus forte qu’avant », explique-t-elle, mais quelque chose s’est débloqué au niveau mental. J’ai recommencé l’escalade seulement trois mois après ma chute, au lieu des quatre ou cinq prédits par le médecin, et j’ai réussi à gravir un 8c+ (Oliana, les fameux Fish eye et Mind control, ndlr) . « C’est l’une des rares fois de ma vie où j’ai hurlé de joie ». Un cri de résilience, certainement, dit-elle. Pendant sa convalescence Federica était en effet terrifiée par l’idée qu’à la reprise de l’escalade, elle aurait peur de voler, vu qu’elle s’était fait mal en tombant avec la corde. Alors, se souvient-elle, « je suis allée exprès en Espagne pendant un mois pour faire de l’escalade et de petits vols pour me réhabituer à la sensation de me laisser tomber dans le vide, et au final, j’ai réussi à retrouver une situation dans laquelle je pouvais gérer ces sensations horribles et les flashbacks de l’accident ».
Avec cette épreuve, Federica réalise aussi que l’escalade, le ski de rando, la montagne, ce n’est pas tout dans la vie, et qu’apprendre le renoncement est aussi un signe de maturité, d’autant qu’autour d’elles les accidents fatals se sont multipliés au fil des années, notamment celui de son ami et mentor, Adriano, disparu dans une avalanche en 2017. Ce qui la conduit à renforcer plus encore sa sécurité, à tous les niveaux. Devenue guide de haute montagne, elle sait qu’elle doit pouvoir compter à 100 % sur son équipement au cours de ses sorties. « Mon matériel est soumis à de fortes contraintes, il est donc important qu’il soit conçu pour pouvoir y faire face. Le moindre détail compte, la résistance à l’usure, mais aussi la respirabilité d’une veste 3 couche Sella Powertex par exemple, comme celle que je teste actuellement pour la collection Sella de Salewa ».
« M’être rapprochée de l’éventualité la plus dramatique, la mort, puis me retrouver plongée dans une inaction forcée pendant un long moment, a eu un effet que je n’aurais jamais imaginé », écrit-elle dans sa biographie. « C’est comme si, de ce point de vue, j’étais capable de trouver un nouvel équilibre (…). Une fois sortie de convalescence, j’ai approché à nouveau la montagne avec une nouvelle légèreté, avec un enthousiasme et une vitalité renouvelés. J’ai recommencé à aborder des projets avec une détermination et un dynamisme qui me manquaient depuis un certain temps avant l’accident. D’une manière ou d’une autre, j’ai recommencé à vivre plus pleinement, en contact avec mes limites, plus prudent et en même temps plus déterminé. En un mot, peut-être, plus adulte », conclut-elle.
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Photo d'en-tête : Matteo Pavana / Salewa