Il voulait « sortir de sa zone de confort », nous avait-il déclaré à la veille de son départ. Parti des Canaries le 14 février dernier, le Vosgien, qui a longtemps joué les premières places des grands ultras de la planète, a réussi à rejoindre hier la Martinique à l’issue de 71 jours en mer, à la rame et en solitaire. Un exploit. Et ce n’est qu’un avant-goût avant son prochain défi : le Pacifique.
Septième étape d’Etarcos – projet qui doit le conduire à relier le Pérou à la Nouvelle-Calédonie à la rame en 2021 – la traversée de l’Atlantique à la rame s’est achevée hier pour Stéphane Brogniart, avec son arrivée sur l’ilet Cabrit au large des salines, en Martinique.
Le traileur de 43 ans qui affiche un très beau palmarès sur les sentiers (10ème de l’UTMB, 7ème de la TDS, 16e Grand Raid de la Réunion) a tout connu pendant les 71 jours passés sur l’océan, confiné dans son minuscule habitacle : le gros temps, les porte-conteneurs, les déchets flottants, mais le plus surprenant sans doute pour lui aura été d’accoster sur une île totalement confinée, où ses proches n’ont pu l’accueillir pour célébrer son arrivée et son exploit. Il lui faudra attendre son retour en métropole, le 6 mai, ou plus précisément le 11 mai pour qu’il puisse véritablement fêter cela.
A quelques jours de son départ, Stéphane Brogniart nous avait accordé une interview dans laquelle il expliquait la genèse d’Etarcos, le projet ambitieux qui l’anime depuis 2017 et dont la traversée de l’Atlantique n’est que la 7eet avant dernière étape avant d’affronter, dans les mêmes conditions, le Pacifique.
En voici quelques extraits.
En 2014, tu expliquais dans une interview « Pour mes 40 ans j’ai demandé à mes potes de me larguer à 1000 km de la maison à vol d’oiseau (avec juste le minimum de survie), où ils veulent, je me démerderai pour rentrer. » 6 ans plus tard, tu ne l’as pas fait, mais tu t’apprêtes à traverser l’Atlantique à la rame, en guise d’échauffement au Pacifique. Tu as mis la barre beaucoup plus haut, non ?
Je vais sur mes 44 ans cette année. En 2017, après ma dernière Diagonale des fous, j’étais au bout de ma recherche dans le trail, j’avais alors 15 ans de course derrière moi, dont 5 à très haut niveau, Mon seul moteur, c’est d’aller au plus loin, de donner le meilleur de moi-même. J’étais en quête de développement dans un domaine plus personnel, et je suis arrivé par hasard à la rame. Coincé à Roissy à cause d’une valise en retard, je suis tombé sur de l’aviron en me baladant sur internet. C’est là que l’idée a germé. « T’es cinglé ?!? » m’ont dit mes potes. A priori, ça semblait impossible mais dans mes cordes. Du jour au lendemain, je suis parti de zéro. Et maintenant … je vais le faire ! C’est magique. Preuve que tout le monde peut se lancer et se dire : « tu vois, le mec, il a une idée et au final, il l’a, son bateau ! ».
Ma famille s’y attendait, elle ne le vit pas trop mal. J’ai trois enfants, de 16, 18 et 22 ans, ils ne se font pas de mouron. Ils savent que ça, c’est ma vie.
Vosgien, tu serais plutôt terrien. L’eau ça te fait peur ?
Oui, heureusement ! Sinon, je serais inconscient. Je vais devoir être très vigilant, penser à tout, m’assurer que la porte de mon habitacle est bien fermée par exemple, que tout est rapidement accessible. Bien sûr, j’ai peur me retrouver enfermé dans la cabine, que le bateau se retourne. Mais je me suis beaucoup entraîné en aviron classique sur le lac de Gérardmer dans les Vosges. J’ai aussi fait un test du bateau sur le Léman et ramé en mer au large de Brest.
Donc, là, je me sens bien. Je suis bien entouré, je me sens soutenu. Monter un projet prend beaucoup de temps, je suis prêt physiquement sans être pour autant très aiguisé, important pour éviter la blessure. Au niveau sécurité, j’ai les bons réflexes, mais j’ai envie de me laisser surprendre. Je me retrouve, seul, dans un tout petit espace, c’est nouveau pour moi
Comment se traduit dans cette traversée l’approche minimaliste que tu as adoptée en trail ?
Sur le bateau, c’est encore plus facile ! En course, mon objectif, ce sont les 2,5 m devant moi et la ligne d’arrivée au bout. Sur l’eau, c’est l’infini. Le décor est toujours le même. En aviron, tout est dans le geste, sinon tout est nul ! Un geste répété mille fois, pour être toujours plus fluide, comme un archer. Je passe mon temps à avoir la mécanique la plus propre. L’approche est mentale. Je l’ai développée grâce au trail, elle est ici capitale.
(…) Je me suis mis un planning précis : ramer de 3h30 du matin à 11h00 du soir, avec une pause vers 18h30 pour manger et envoyer un petit texte et une photo.
Ma vie sera réduite à cette routine entre la rame, les repas – 5000 calories par jour couverts par des plats lyophilisés, des graines, des sardines et des barres énergétiques et peu de frais les premiers jours – et pour seuls divertissements quelques podcasts de France Culture et France inter, un peu de lecture, un roman et un recueil de poèmes de Baudelaire. Seule exception, le dimanche après-midi, je ne ramerai pas, je m’occuperai du bateau.
Qu’attends-tu de cette traversée ?
Me retrouver, m’assagir. Avoir un temps pour soi, un temps intérieur. En 2009, je me suis enfermé dans ma cabane et me suis concentré sur des études de développement personnel. En 2020, dix ans plus tard, je veux à nouveau me recentrer sur moi-même plutôt que de suivre le mouvement que nous impose la société.
Après l’Atlantique, on verra comment je m’en sors. Mais je reste quelqu’un qui aime les défis, Et le Pacifique, 6 mois de traversée prévue pour 2021, c’est un bel objectif. On verra alors comment sera ma vie, mais je pense déjà à partir pied. Tout seul, dans le désert de Gobi.
Photo d'en-tête : Stéphane Brogniart / Facebook- Thèmes :
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