Cauchemar ou mauvaise blague ? Ni l’un ni l’autre. L’accablante nouvelle tombée cet après-midi laisse sans voix : les 47 épreuves – dont 28 sur neige et 19 sur glace – de la 9 édition des « Jeux Asiatiques d’Hiver » vont bien se dérouler en Arabie Saoudite, en plein désert, dans sept ans. Le temps pour Mohammed Ben Salman de construire sa cité futuriste, Neom. De quoi lui donner quelques arguments pour postuler aux prochains Jeux Olympiques, il ne s’en cache pas. D’hiver ou d’été ? Qu’importe désormais, le maître absolu du royaume islamique, n’est plus dans la même dimension que le commun des mortels : à grands coups de dollars et de mépris pour l’humanité, il entend faire la pluie, le beau temps, et même la neige s’il le faut. Athlètes et marques vont-ils s’engouffrer en 2029 dans ce scénario de science-fiction et en devenir les tristes acteurs ? A moins que les affaires entachant le Président du Comité Olympique d’Asie ne leur donnent plus de raisons encore d’y réfléchir à deux fois.
Après Marseille, Bordeaux, Nancy, Reims, Strasbourg, Brest, Rodez ou Lille, c’est Paris ce matin qui annonçait boycotter le Mondial de football au Qatar, organisé du 20 novembre au 18 décembre. Pas question de promouvoir l’événement en installant fan zones ou écrans géants, et ce, pour des raisons humanitaires et environnementales. Louable décision qui vient de prendre de plein fouet l’annonce ce mardi 4 octobre, de l’attribution par le Conseil olympique d’Asie (OCA) de l’organisation des Jeux asiatiques d’hiver 2029 au royaume désertique d’Arabie saoudite. Un gigantesque pied de nez à tous ceux, qui du nord au sud de la planète, essayent d’endiguer le réchauffement climatique et les extinctions de masse générées par l’homme. Car, ces Jeux, dont l’idée revient au Comité national olympique japonais qui, en 1982, suggéra la création d’une version hivernale des Jeux asiatiques, n’ont connu à ce jour que neuf éditions, dont la première organisée à Sapporo en 1986. Ils comprennent des compétitions de ski, de snowboard, de hockey sur glace et de patinage artistique. Soit 47 épreuves au total, dont 28 sur neige et 19 sur glace, selon l’OCA.
Un projet pharaonique de 500 milliards de dollars
Pas de neige en Arabie Saoudite ? Pas de problème pour Mohamed ben Salmane. Depuis 2017, le puissant prince héritier fantasme sur un rêve pharaonique, le projet Neom, une mégalopole futuriste d’un montant de plusieurs centaines de milliards de dollars, comprenant des pistes de ski ouvertes toute l’année, un lac artificiel d’eau douce, des chalets, des manoirs et des hôtels de luxe. Le tout 100% durable bien sûr. Mohammed Ben Salman, qui occupe le poste de président du conseil d’administration de Neom, entendant « redéfinir le tourisme de montagne dans le monde », tout en respectant les principes de l’écotourisme. Et le directeur du projet de préciser qu’il offrira « des infrastructures adéquates pour créer une atmosphère hivernale au coeur du désert, et de faire de ces Jeux d’hiver un événement mondial sans précédent ».
Sans précédent, nul n’en doute, quand on sait que le site se trouve sur les bords de la mer Rouge, à Trojena, secteur montagneux de Neom « où les températures descendent en dessous de zéro degré en hiver et où les températures tout au long de l’année sont généralement inférieures de 10 degrés », affirment les promoteurs sur leur site internet, sans faire mention de la question des précipitations. Un détail apparemment pour les Saoudiens et les 400 membres de l’OCA réunis aujourd’hui qui, dans un communiqué, s’enthousiasment à l’idée que « Les déserts et les montagnes d’Arabie saoudite seront bientôt un terrain de jeu pour les sports d’hiver ». Une décision prise à l’unanimité par les 45 pays membres, précisons-le, et que, sur le site officiel de l’organisation, le président par intérim de l’OCA, l’Indien Raja Randhir Singh, qualifiait de « bonne surprise ».
Avec la bénédiction du CIO ?
« Surprise », pas vraiment. Car en août dernier, l’Arabie déposait officiellement sa candidature à l’accueil des Jeux asiatiques d’hiver en 2029 explique le média Francs Jeux. « La demande a été soumise par le Comité olympique et paralympique saoudien à l’Association des comités olympiques d’Asie (OCA). A en croire le prince Abdulaziz bin Turki Al-Faisal, président du comité olympique saoudien, le projet d’organiser l’événement continental “confirme la diversité géographique et environnementale, et la richesse naturelle” de l’Arabie saoudite(…). Le projet pourrait être concrétisé dès le début de l’année 2026.(…) En cas de victoire, l’Arabie saoudite deviendrait le premier pays d’Asie occidentale à accueillir l’événement depuis sa création en 1986. » Voilà qui est fait !
Dans la foulée aujourd’hui, le président par intérim du Conseil olympique d’Asie, Raja Randhir Singh, ajoutait : « Nous formons tous une famille. Nous sommes un groupe de 45 Comités Nationaux Olympiques, et nous avons été rejoints par les Comités Nationaux Olympiques d’Océanie, le CIO, l’Association des Comités Nationaux Olympiques et d’autres acteurs très importants du mouvement olympique asiatique », a-t-il déclaré.
A ce stade, et compte tenu de l’impact environnemental de cette attribution, on est donc curieux de connaître la position sur le sujet des instances internationales citées ci-dessus. Et surtout de voir comment d’ici peu sans doute elles examineront les futures projets de Mohammed Ben Salman. Car le royaume, qui peut déjà s’enorgueillir d’avoir attiré le Dakar, la Formule 1, de la boxe, de la Formule E, et du golf avec le circuit LIV qu’il finance, semble vouloir poursuivre sa diversification vers le sport et sortir du « tout pétrole », quoi qu’il en coûte ( à la planète !). Après les Jeux asiatiques d’hiver, l’Arabie Saoudite ne compte pas s’arrêter là en effet, comme le confiait à l’AFP le ministre des Sports, Abdulaziz ben Turki Al-Faisal, en août dernier : « Sans aucun doute, les Jeux olympiques seraient un objectif ultime pour nous ». Le pays s’est par ailleurs porté candidat à l’organisation de la Coupe d’Asie de football en 2027 et à celle de la version féminine en 2026.
Un directeur du Comité olympique d’Asie dans une situation très délicate
Des dossiers que suit sans doute de très près le cheikh koweitien Ahmed al-Fahd Al-Sabah. Enfin, d’un œil seulement. Car l’actuel président du Conseil olympique d’Asie, dont le siège est au Koweit depuis 1981 et où il entend bien le rester, a dû se mettre « en retrait volontaire » de sa prestigieuse fonction, et laisser les rênes à l’Indien Raja Randhir Singh. En septembre dernier le tribunal de Genève condamnait cet ex-ministre de l’Économie et de l’Énergie, ex-membre du Comité international olympique (CIO), à 30 mois de prison, dont la moitié avec sursis. Lui et ses avocats étant reconnus coupables dans une affaire de faux arbitrage visant à discréditer des adversaires politiques, selon Le Matin.
Le Koweïtien, qui présidait alors le Conseil olympique d’Asie et la Fédération asiatique de handball, « a nié tout acte répréhensible », explique le quotidien suisse. Il a donc fait appel. Verdict d’ici quelques semaines, en novembre prochain. S’il est innocenté, ce dont il ne doute pas, il pourrait reprendre ses fonctions au sein du COA et superviser la mise en œuvre des Jeux Asiatiques d’hiver 2029. Peu rassurant quand on sait que, outre l’affaire en cours en Suisse, le cheikh Ahmed al-Fahd Al-Sabah a déjà quelques dossiers plombant son CV, détaille Le Matin : « Considéré comme un proche du patron du CIO, Thomas Bach, il avait dû se retirer de l’instance sportive à la suite de sa mise en examen, fin 2018, à Genève. Également ancien membre du Conseil de la Fédération internationale de football, le Koweïtien en avait démissionné en avril 2017, à la suite d’accusations dans une affaire de corruption. » Ces jeux s’annoncent sales. Très sales.