Fort, courageux, fier mais pas arrogant, Shukhert, cavalier mongol, est le personnage rêvé de tout documentariste. Surtout quand il s’appelle Hamid Sardar, auquel on doit déjà l’inoubliable « Taïga », FIPA d’or 2015. Cette fois, le réalisateur iranien va plus loin encore et parvient à tenir en haleine le spectateur pendant 53 minutes de course poursuite au travers de la steppe mongole. Un documentaire passionnant à nouveau en accès libre pour quelques semaines. A ne pas manquer.
Primé en 2021 au Chamonix Film Festival, « Le cavalier mongol », également distingué deux ans plus tôt au Festival du film d’aventure de La Rochelle (FIFAV), repose sur une méthode pour le moins risquée : repérer un personnage charismatique mais pour le moins imprévisible : un dresseur de chevaux doublé d’un lutteur mongol, justicier à ses heures perdues. L’apprivoiser. Tout miser sur lui pendant de longues semaines de tournage. Et le « laisser vivre » – pour reprendre l’expression du réalisateur – au risque de le voir filer un beau matin sur son cheval pour une durée indéterminée ou d’apprendre qu’il est malheureusement emprisonné pour deux mois suite à un règlement de comptes un peu expéditif. Bref, « Le cavalier mongol » réunissait toutes les conditions pour finir en désastre. Un cauchemar en puissance pour son producteur « Les gens bien productions ». Il fallait donc tout le talent d’Hamid Sardar pour boucler son histoire et, au passage, renouveler le genre du documentaire. Rencontré à l’occasion de sa présentation au FIFAV, en 2019, il s’en explique.
Film disponible sur ARTE jusqu’au 5 avril 2023
« Le cavalier mongol » se situe à la croisée du reportage, du documentaire et de la fiction … quel parti pris avez-vous adopté pour filmer cet homme libre en pleine steppe mongole ?
A la base, j’ai fait les Langues Orientales aux Etats-Unis et j’ai appris le film anthropologique. J’ai longtemps vécu en Mongolie, où je travaillais comme directeur de recherches dans un institut ethnographique américain. Puis j’ai commencé à faire des films et à communiquer autrement. Installé aujourd’hui en France, j’y retourne fréquemment pour y faire des films racontés de manière « cinématique ». Je n’aime pas trop le reportage. J’essaie toujours d’imaginer, de travailler la fantaisie. Je pense que le cinéma est plus adapté à mon approche. Si je devais définir ce style, je dirais qu’il s’agit de cinéma du réel. Quand on suit quelqu’un comme Shukhert, le film se fait naturellement. Je laisse la liberté aux gens avec lesquels je travaille de réaliser eux-mêmes leur film.
Il fallait donc travailler en équipe très réduite, sans ingénieur son ni chef opérateur. J’étais accompagné d’un assistant, à cheval comme moi, et d’un cavalier pour le matériel, Mais Shukhert était toujours, physiquement, « un pas devant nous ». Aussi avons-nous dû revenir avec lui sur des scènes qu’il venait juste de vivre. Comme la séquence où il retrouve son cheval mort. Un épisode capital. Pour les Mongols, le cheval joue le rôle de passeur de l’âme. C’est un animal qui lie la lumière, le soleil et l’âme. Il fallait donc absolument refaire cette scène. Avec le chien, inséparable compagnon du cavalier, toujours là malgré les coups de sabots, on a cette icône de cheval blanc, cavalier et chien noir, c’est très symbolique dans la légende, dans l’imaginaire des nomades. Le chien et le cheval sont leurs deux animaux domestiques considérés comme des totems. Ils n’ont jamais perdu leur instinct sauvage. Contrairement aux yaks ou aux moutons qui n’arrivent pas à survivre tout seuls.
Au cœur du film, la scène du shamanisme est saisissante, comment êtes-vous parvenu à la saisir ?
Je connais ce shaman depuis des années. Dans les récits de voleurs de chevaux, il y a toujours un chaman présent. D’ailleurs, dans cette région, l’un des plus grands voleurs de chevaux est un chaman qui utilisait ses pouvoirs magiques pour s’évader et lancer des tempêtes. Shukhert m’avait raconté que l’un d’entre eux lui avait volé des chevaux il y a quelques années. Je voulais absolument avoir une scène de shamanisme dans le film et rester fidèle à ses récits.
Dans la taïga, j’ai donc demandé au shaman d’intervenir. Mais ce qui est inattendu, c’est que ce rituel-là m’était totalement inconnu. Grâce au film, nous avons donc fini par documenter un rituel jamais montré auparavant. En créant ainsi de la tempête, le shaman avait très peur, il craignait que les autres nomades ne l’apprennent et en viennent à le frapper. Ce rite est en effet un peu mal vu, beaucoup d’animaux peuvent y trouver la mort.
Il a donc lancé la tempête dans une direction, et il s’est produit quelque chose d’incroyable. La tempête s’est levée là où il avait dit, et à l’heure indiquée. Partout ailleurs, il y avait du soleil, sauf là. Il a neigé pendant trois heures à cet endroit précis. Je ne sais pas quoi dire, et je ne veux pas dire plus. J’avais enlevé cette scène du montage, de peur que les gens ne la comprennent pas, mais le producteur a insisté pour qu’on la réintègre.
En filmant le quotidien de Shukhert, n’avais-vous pas eu l’impression de modifier le cours de l’histoire à certains moments ?
Je pense que si. Mais chaque fois qu’on fait un film, on est en train de réécrire l’histoire. Dès qu’on se focalise sur une idée ou quelqu’un, le rêve, le récit, le narratif commence. On l’a observé aussi dans la science quantique, dès qu’on commence à regarder quelque chose, cela change sa nature. Mais quand on fait un film, il faut l’assumer, il faut être conscient que notre présence est une complicité entre un regard extérieur et intérieur. On est en train de réécrire l’histoire de ces peuples. Lorsque Shukhert a rossé les soit-disant voleurs de chevaux et a fini en prison, je pense qu’il en a trop fait devant la caméra. On était partis depuis trois semaines, il était toujours à la recherche de ses chevaux et rien n’avançait. Il s’est un peu emballé et a cassé une dent à l’un des cavaliers. Selon la loi, si on casse quelque chose, c’est deux mois de prison obligatoires.
Comment voyez-vous évoluer cette communauté de nomades mongols dans les années à venir ?
On ne peut pas arrêter la marche de ce qu’on appelle le progrès, du développement. La construction d’une autoroute ou route pavée changera beaucoup de choses. Et aujourd’hui, Shukhert est tous les jours sur Facebook. Je ne l’ai pas montré dans le film car la 3G vient tout juste d’arriver dans le village.
De même le changement climatique y est déjà sensible : les lacs commencent à sécher, les nomades doivent partir plus longtemps et plus loin pour leurs troupeaux. Sans parler du surpâturage, dont sont responsables les nomades eux-mêmes : les chèvres de cachemire broutent tout. Il y a dix ans : les taches blanches (les moutons ndlr) ont été remplacées par les taches noires (les chèvres, ndlr). Ils sont conscients de l’impact, mais tous veulent vendre du Cachemire à Éric Bompard. Enfin beaucoup de jeunes partent aujourd’hui vers les villes pour y trouver le rêve urbain : un appartement chaud avec une baignoire, une voiture, un supermarché au lieu d’aller courir après les chevaux volés et les loups. C’est inévitable et on peut le comprendre.
Pour moi, l’idée n’est pas de les empêcher d’évoluer vers cela. Mais mon intérêt se porte sur ce qu’on peut apprendre de ces peuples. Ils nous rappellent ce que nous avons oublié, cette connexion avec la nature que nous avons perdue. J’essaie de rétablir ce contact. On ne va pas redevenir des bergers et des nomades, mais à travers cette sensibilité avec la nature avec les animaux, ne pourrions-nous pas faire entrer, de manière soft, la nature dans nos villes par exemple ? Faire des jardins potagers dans chaque école ou lycée ? Mettre des ruches sur les toits. Repeupler nos jardins publics avec des renards ? Je ne sais pas. C’est dans ce sens qu’on peut s’inspirer de ces peuples au quotidien.
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Article initialement publié le 5 décembre 2019, mis à jour le 9 mars 2023.
Photo d'en-tête : Hamid Sardar- Thèmes :
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