Avant de surfer aux côtés des dauphins, Jérôme Junqua a recensé leurs cadavres échoués sur les plages de l’océan Atlantique, victimes des filets de pêche des chalutiers. Un activisme qu’il débute d’abord seul, puis en rejoignant l’association Itsas Arima. Jérôme est un de ceux qui font bouger les lignes, qui n’accepte pas le fatalisme. Il nous livre, dans ce court métrage réalisé par Lucie Francini, son histoire, son engagement pour la protection de l’océan et nous questionne aussi sur notre mode de consommation. À voir en exclusivité sur Outside à partir de ce vendredi 22 avril, pour 72 heures seulement. Inspirant !
« Tout le monde peut s’engager à sa façon » nous explique Jérôme Junqua, passionné de surf, activiste et fermement engagé à défendre son terrain de jeu. Sa prise de conscience débute en 2017 sur les plages de Gironde. Alors qu’il s’entraîne pour un sommet pyrénéen, il découvre au fil des sorties running des dauphins échoués par dizaines. Son objectif devient double : courir et recenser les dauphins échoués. Il contribue dès lors à l’étude sur la mortalité des cétacés de la côte Atlantique. Aujourd’hui engagé dans l’association Itsas Arima qui « étudie les mammifères marins et participe à la sensibilisation des populations », il nous raconte son parcours, son engagement pour l’environnement et ses réflexions sur nos modes de consommation.
Tu te définis comme « jardinier, surfeur et amoureux des montagnes », peux-tu nous en dire plus sur toi ?
C’est la description qui me représente le plus – c’est que tout ce qui me passionne, ce qui m’anime, ce qui me donne du courage et un équilibre dans la vie. Mon métier, c’est jardinier. J’adore aussi passer beaucoup de temps dans l’océan, que ce soit pour le surf ou même pour l’apnée. Et les montagnes ont toujours été un lieu de grande liberté pour moi. Je me rappelle, quand je faisais beaucoup de trail, je trouvais toute cette découverte vraiment magique – partager les randonnées et les bivouacs, c’est quelque chose d’absolument génial. J’encourage tout le monde à faire ça.
D’où t’es venue l’idée de ce court-métrage ?
J’ai avant tout été attiré par l’océan – c’est un peu ce qui m’a poussé aujourd’hui à parler de cette problématique concernant les dauphins et à mettre en place ce court-métrage. Arrivé à la fin de mon parcours d’engagé, je me suis dit « L’important c’est de partager les informations que tu as recueillies, que les gens comprennent bien ce qu’il se passe sur place. Et peut-être que ça pourrait leur donner des idées ». Ce court-métrage s’est présenté comme une évidence guidée par une volonté de transmission et de partage car ce que j’aime avant tout, c’est d’organiser des projections-débats avec des petits groupes de manière à ce que l’on puisse parler, échanger, qu’il y ait vraiment une rencontre.
Dans le film, tu dis que tu as eu énormément besoin de la nature durant ton enfance. Pourrais-tu nous en dire plus ?
C’est une question délicate pour moi… J’ai vécu des traumatismes étant enfant. À l’époque, je m’en rappelle très bien encore, je me suis essentiellement tourné vers la nature parce que quand on est enfant, du moins comme moi je l’étais, on a tendance à être un peu replié sur soi, à avoir un peu peur du monde extérieur. J’avais énormément d’échanges avec ma nature environnante – pour tout dire, j’avais même tendance à lui parler. Cette nature, je l’ai complètement perçue comme une personne qui m’a tendu la main. Pour moi, ce que je fais aujourd’hui, je le vois comme un retour envers ce qu’elle m’a donné, m’a transmis – ma quête elle est là, c’est la quête de l’échange. La nature m’a rendu un service il y a très longtemps, il y a 40 ans de ça, et aujourd’hui, je fais comme je peux pour l’aider.
Te souviens-tu de la première fois où tu as vu un dauphin échoué sur une plage ?
Je m’en rappelle très bien – un sacré souvenir ça aussi ! Au début, je n’en croyais pas mes yeux, je me disais que ce n’était pas possible. […] J’ai été très bouleversé. Quand on prend cette réalité en pleine face, c’est dur de se dire que, malheureusement, le problème vient de nous. Ca a été un choc pour moi.
Comment s’est passé le recensement des dauphins ?
Des fois, sur une vingtaine de kilomètres, il n’était pas rare que j’en trouve 6/7 (dauphins, ndlr). Parfois, sur certaines sorties, je pouvais en trouver côte à côte, à vingt mètres d’intervalle. À ce moment-là, on prend vraiment conscience de l’hécatombe en mer. Le recensement des dauphins, c’est une initiative personnelle. D’ailleurs, c’est ce que je souhaite montrer à travers le documentaire « Engagé » : on peut réaliser des projets avec une simple idée, même si l’on n’y connaît rien. J’ai commencé (à recenser les dauphins, ndlr) durant l’hiver 2017/2018. À la base j’étais parti m’entraîner sur les plages de la côte Nord-Gironde en vue de faire un haut sommet des Pyrénées. J’avais besoin de faire un peu de cardio. Mais je me suis dit : « Je ne vais pas courir pour rien ». Je connaissais cette problématique autour des dauphins (échoués sur les plages, ndlr) et je me suis donné cette petite mission. Je faisais cela tout seul : je partais en général pendant ou juste après les tempêtes, c’est le meilleur moment pour trouver des dauphins au bord des plages. […] Quand je me retrouvais devant un dauphin, je prenais des photos, je notais l’heure, l’endroit, le lieu et j’envoyais tout cela à l’observatoire scientifique Pelagis à La Rochelle. J’ai continué de faire ça l’année d’après, au moment où Sea Shepherd est arrivé dans le golfe de Gascogne. Par le biais d’une communauté de l’ONG, Run for Sea Shepherd, j’ai organisé une collecte de fonds au profit de Sea Shepherd France pour aider à maintenir leur flotte dans le golfe de Gascogne.
Quelques mois plus tard, tu surfes aux côtés d’un banc de dauphins. Tu ressens quoi à ce moment-là ?
Je ne peux avoir que le sourire. Je suis complètement bloqué dans mon émotion joviale et j’ai une très belle énergie. Je l’ai vécu comme un remerciement de la part de la communauté des dauphins par rapport à tout ce que j’ai pu faire lors des années précédentes. Il y a eu une petite part de magie. Comme je dis dans le documentaire, des dauphins j’en ai vu énormément mais je les ai tous vu morts. Et ce jour où je les ai vus vivants, tout a pris du sens pour moi. À cet instant, je me suis dit « Tu ne peux pas t’arrêter là, il faut que tu continues à en parler – il y a encore des problèmes, des choses à faire. Continue dans cette direction, peu importe où ça te mène, fonce ».
Tu décides alors de rejoindre l’association Itsas Arima. Pourquoi ce choix ?
Je savais qu’Itsas Arima faisait des relevés d’échouages sur place. Du coup, j’ai voulu me rapprocher un peu plus de cette association, composée de scientifiques et de bénévoles, tous intéressés, comme moi, par ce qu’il se passe dans l’océan. C’était l’occasion pour moi de rencontrer des gens, d’apprendre des choses et de me diversifier. Ca s’est fait un peu naturellement.
Comment est-il possible de rejoindre cette association ?
En s’en rapprochant. Itsas Arima donne à chaque bénévole un rôle plus ou moins précis en fonction de ses compétences, que ce soit dans la communication ou autre. L’association organise des petits événements, participe à des ramassages de déchets sur les plages et fait aussi un peu de pédagogie sur les festivals. Si les gens veulent s’investir dans l’association ou faire un don, c’est avec grand plaisir mais à mon avis, la plus belle chose que les gens puissent faire, en tant que personnes engagées, serait de regarder ce qu’ils mettent dans leurs assiettes, d’être conscients de ce qu’ils font, de leurs choix. C’est ce que je dis lorsque je fais des petites projections-débats : « Maintenant que vous savez, ça va être à vous, avec votre conscience, de continuer à faire ce que vous faisiez auparavant ou non ».
Tu conclues le film en disant, « Tout le monde peut s’engager à sa façon ». Aurais-tu des conseils pour celles et ceux qui souhaitent le faire ?
Je garde toujours une petite logique simple : pour attraper des bancs de petits poissons, un chalutier qui utilise un filet pélagique (un grand filet pour attraper les petits poissons), une technique qui n’est malheureusement pas sélective. C’est-à-dire que quand vous partez en mer pour chercher du petit poisson, vous revenez aussi avec du gros poisson parce que dans la chaîne alimentaire, vous trouvez aussi bien des petits poissons que des plus gros… jusqu’au dauphin. Le problème, c’est que lorsque l’on relève le filet, tout monte avec et bien souvent, les dauphins sont déjà morts ou doivent être mutilés pour être sortis du filet. En partant de là, si les gens veulent continuer à manger du poisson, il vaudrait mieux aller le pêcher soi-même ou alors prendre du poisson entier, pêché à la ligne – c’est une pêche plus sélective. […] C’est un vaste sujet. Et après avoir mis le nez dans ce grand océan, je me rends compte que c’est un peu le Far West – on ne sait pas vraiment ce qu’il se passe au large, comme on ne le voit pas. Mais une fois que l’on est au courant, c’est à nous d’agir avec conscience, peut-être que ça pourrait amener un changement positif sur les techniques de pêche employées. Et puis, peut-être qu’on n’est pas obligé de manger du poisson tout le temps – il y a d’autres alternatives qui existent.
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Article initialement publié le 20 avril 2022, mis à jour le 22 avril 2022 à 8h15
Photo d'en-tête : Jérôme Junqua