Le double champion du monde de ski freeride Aurélien Ducroz et le marin Louis Duc seront au départ de la Transat Jacques Vabre, le 27 octobre, à bord de Crosscall Chamonix-Mont-Blanc, un nom qui sent plus la poudreuse que l’écume. Une histoire d’amitié, de course aux sponsors et d’amour partagé du gros temps que nous raconte avec humour ce duo inédit.
Comment un freerider et un marin se retrouvent-ils embarqués ensemble sur une course de ce type ?
Louis Duc : C’est parti d’une période un peu compliquée. Fin 2018, mon partenaire de plusieurs années a décidé de ne pas reconduire son sponsoring. Donc en décembre, je me suis retrouvé avec un bateau dont j’étais propriétaire avec deux associés, mais surtout avec un emprunt bancaire sur plusieurs années et des traites à payer… On l’a mis très vite en location et en vente, tout en essayant de trouver des partenaires pour pouvoir tenter de le garder. Et c’est là qu’Aurélien entre dans l’histoire (rire).
Aurélien Ducroz : En fait, j’avais rencontré Louis en 2012 et je l’avais beaucoup aimé. Depuis, j’ai toujours gardé un œil sur ses projets. En janvier dernier, je découvre par hasard que son bateau, qu’il a construit et qui est exceptionnel, est à vendre ! Je l’ai appelé direct pour comprendre. Il m’a alors expliqué qu’il avait perdu ses sponsors et qu’il n’avait pas d’autre choix. C’était tellement dommage… On s’est mis à imaginer des solutions, à se dire qu’on avait six mois pour trouver des partenaires et qu’on pouvait se lancer sur la Jacques Vabre.
LD : Quand Aurélien a suggéré que ça lui disait bien de faire la Jacques Vabre et a proposé qu’on se batte ensemble pour trouver des financements, c’était génial. On a établi un budget minimum, en ne faisant que la transat et pas toute la saison, pour aller à l’économie. Via la location, des financements et quelques partenaires, on a pu remettre le bateau en état. On a vraiment lutté ensemble pour monter ce projet et trouver les fonds.
Ça s’est passé comment cette recherche effrénée de partenaires ?
AD : La recherche des sponsors a été une occasion supplémentaire de marier ces deux mondes que j’adore, je trouve qu’ils fonctionnent tellement bien ensemble. Je travaille avec Crosscall depuis 5 ans déjà, quant à Chamonix, bah…depuis toujours, j’y suis né ! Sur cette transat, on avait l’opportunité d’évoluer dans des budgets assez réduits, parce qu’on partait tard, parce qu’on faisait une seule course et non une saison complète : je me suis permis de leur proposer et ils ont osé franchir le pas ! De les avoir avec nous, c’est extraordinaire. C’est un peu une année-test, on verra jusqu’où ça va, même si mon idée est de continuer jusqu’à la Route du Rhum (rire). Dans tous les cas, je suis hyper fier que ce soit des partenaires de la montagne qui nous suivent dans cette aventure.
Il paraît que votre bateau est un petit bijou ?
LD : J’ai essayé de construire un bateau révolutionnaire sur les formes de coque, sur le gréement. Je ne suis pas ingénieur, mais depuis mes 17 ans j’évolue dans la réparation et la construction de bateaux, mon métier ça n’est pas que coureur. J’ai voulu être impliqué à 100% dans la construction de ce nouveau bateau, ça me passionne.
AD : Louis sait s’entourer et a plein d’idée. Ce qu’il a fait pendant cette année et demie de construction a changé la donne dans le milieu, c’était révolutionnaire dans la Class40 ! Deux ont été construits en même temps, et le second a gagné la route du Rhum ! Que ce soit les formes de carène et même du gréement et du mât, on a super bateau. Bien sûr, il y en a d’autres qui ont été construits depuis, mais il reste exceptionnel.
Aurélien, on te connaît plus comme skieur que comme vieux loup de mer, que se passe-t-il depuis quelques années ?
AD : En 2008, on m’a proposé de parrainer un jeune skipper, Adrien Hardy, qui partait faire sa première transat en solitaire. Quand j’ai compris que le mec allait traverser l’Atlantique sur un tout petit bateau de 6,50m, je me suis qu’il était complètement cintré. Sans communication, sans ordinateur, avec des cartes en papier, rien quoi ! Je l’ai suivi pendant ses deux ans de préparation et ça m’a finalement passionné. J’ai fini par me dire : “Pourquoi ne pas le tenter aussi ? S’ils le font, il doit bien y avoir une raison !”. En 2009 – l’année où je gagne le Freeride World Tour – je suis en train de boire un verre avec Adrien et il me dit : ‘Si tu veux t’y mettre, ça coûte pas très cher un bateau, je t’en ai trouvé un, je suis prêt à t’aider”. Et j’ai acheté le bateau (rire). Le plus beau dans tout ça c’est que les calendriers fonctionnent… Freeride l’hiver et voile ensuite ! Pour l’anecdote, Adrien et moi seront concurrents sur cette Jacques Vabre…
Quelle complémentarité peut-on trouver dans ce mariage mer et montagne ?
LD : Le très haut niveau a donné à Aurélien un cerveau bien ficelé (rire). Il comprend les choses très vite. Si à un moment il fait une bêtise, tu peux être sûr qu’il ne la refera jamais. Pire, si tu lui montres un réglage, non seulement il intègre immédiatement, mais surtout il le refait mieux que toi, c’est presque énervant ! En pleine montagne, il sait prendre des risques, gérer la météo, la neige, les horaires. C’est le même boulot qu’en mer : météo, analyse de plan d’eau – le schéma est comparable. C’est aussi un état d’esprit, un goût du risque et un amour de la nature. Avant sa descente, Aurélien doit monter à pied et en baver, un peu comme nous quand on doit naviguer contre les dépressions avant d’attaquer la descente dans les alizés !
AD : Louis, c’est vraiment le guide de haute montagne (rire). Je suis sérieux en plus. J’ai l’impression de partir avec mon guide sur l’eau, et c’est sûrement aussi pour ça qu’on s’est extrêmement bien entendu et que ça se passe super bien en mer. C’est hallucinant de le voir au large sur son bateau. C’est le vrai capitaine quoi ! Il est fort, d’une sérénité incroyable peu importent les conditions – je dirais même que plus elles sont compliquées, plus il est serein – et il aime ça ! Depuis ma première transat, je suis fasciné par les similitudes entre freeride et océan : un point de départ, un point d’arrivée et, au milieu, on est libre de choisir son chemin en fonction des éléments. Sans cette expérience de la montagne, je n’aurais jamais pu appréhender la mer de la même manière, l’apprivoiser, la comprendre même.
Côté voile, comment fonctionne votre synergie ?
LD : Aurélien a une expérience impressionnante sur différents types de bateau pour quelqu’un qui n’est dans le milieu que depuis une dizaine d’années. Il a acquis énormément d’expérience, fait des Tour de France à la voile avec des mecs de très haut vol, qui ont un niveau de régate largement au-dessus du mien. Il amène cette expertise que j’ai moins. Mon truc c’est vraiment la course au large, les longs bords, tirer sur le bateau à fond, les dépressions et la grosse brise. Il me manque un peu de finesse sur certains points qu’Aurélien apporte dans ses bagages (rire).
AD : Je compare souvent le large au freeride en ski, et la régate, comme le tour de France à la voile, au ski alpin. J’ai commencé au large par goût, mais j’ai eu besoin de passer par la régate pendant trois ans pour apprendre et progresser. Je me suis régalé, mais aujourd’hui je suis super heureux de repartir à l’aventure. J’espère apporter mon profil différent et cette expérience à Louis, qui n’a pas fait ce cursus-là. Sur la régate, au contact, je peux aider. Ce duo fonctionne bien : on a fait une course d’environ 6 jours en mer au printemps dernier et ça a été la révélation. On vit la mer de la même manière, et plus le vent monte, plus on a la banane. Moi je manque encore d’expérience dans le gros temps mais c’est quelque chose qui me plaît, donc on espère qu’il y aura du vent sur la transat (rire).
Il paraît que vous êtes motivés pour partager le plus possible votre aventure ?
AD : Ça vient peut-être plus de la montagne que du côté de Louis (rire), donc on est aussi complémentaires là-dessus ! Mais oui, cette histoire elle me passionne et j’ai envie de la partager un maximum. En dépit du timing extrêmement serré, on a envie de la faire résonner et d’illustrer ce lien si fort entre mer et montagne. Et Louis, qui me disait qu’on n’avait pas vraiment le temps et avait raison, s’est éclaté quand on a fait la vidéo. De toute façon, les choses se sont bizarrement organisées, un peu last minute, et c’est ça qui est génial. On a la chance de vivre des aventures de dingue, partageons-les !
LD : On va essayer de faire des petites vidéos, ça va être sympa. L’avantage, c’est que l’on pourra tourner avec le téléphone Crosscall sans que je le casse (rire). J’ai les poches humides en permanence, je le fais tomber 10 fois par jour. Là au moins je suis sûr de ne pas péter le matériel.
AD : C’est un vrai challenge de tourner pendant une course au large, surtout qu’on est quand même trempés en permanence sur ce bateau, parce que Louis a pensé à la performance mais a un tout petit peu oublié le confort ! (rire). Donc c’est un énorme atout d’avoir des outils vraiment étanches, qui fonctionnent et qui ne soient pas des gadgets. On va tourner avec le téléphone Crosscall, qui est vachement simple à stabiliser. Ce qui est pratique, c’est qu’il nous sert aussi d’écran déporté de la centrale de navigation qui est elle à l’intérieur du bateau, et où on a tous nos instruments, toutes nos infos… Donc maintenant qu’on est équipés, il va y avoir des rendez-vous vidéo sympa pendant cette transat !