La mesure du mont Blanc, enregistrée par les géomètres-experts de la Chambre Départementale de la Haute- Savoie en 2021 était 1,80 mètre au-dessus de celle de 2019, exceptionnellement basse. La mesure de 2023 révélée ce matin, allait-elle signer une altitude plus classique comme celle de 2021 (4807,81) ou conforter une tendance à la baisse ? Hélas oui, l’altitude relevée mi-septembre étant désormais de 4805,59 mètres. « Charge maintenant aux climatologues, glaciologues et autres scientifiques d’exploiter toutes les données recueillies et d’avancer toutes les hypothèses pour expliquer ce phénomène », concluent les experts…
Certes l’altitude du mont Blanc varie sensiblement à la hausse ou à la baisse, en fonction des vents et de l’enneigement depuis que les experts la mesure avec la plus grande précision, soit plus de vingt ans maintenant, mais la tendance générale à la baisse observée depuis 2009 se confirme, vient d’annoncer ce matin la commission chargée de cette opération. Réalisée tous les deux ans, elle offre aujourd’hui une précision de 2 à 5 centimètres. Une performance que l’on doit à l’amérioration du dispositif. C’est la première fois en effet qu’a pu être mesurée la calotte sommitale par photogrammétrie aérienne via un drone. En seulement une heure au sommet (les conditions météo menaçaient de se dégrader), les experts ont pu effectuer le relevé globale en totalité (au-dessus de 4800 m). Cela leur a permis de tester un vol de mesure aéroporté grâce à l’autorisation exceptionnelle donnée par la préfecture après avis du conseil scientifique et des maires de Chamonix et Saint-Gervais… Une véritable première en relevé terrestre sur le toit de l’europe, comme nous l’expliquait hier le responsable de cette mission qui ne cachait pas son inquiétude sur l’avenir de ce sommet hautement symbolique.
Comment ont procédé les experts?
Huit cordées de géomètres experts soutenus par des guides et accompagnés par Martin Fourcade se sont lancés à l’assaut du mont Blanc mi-septembre. A leur programme : 3 jours de montée, 10 heures d’ascension finale, 2500 mètres de dénivelé, 10 kilos de matériel et, pour la première fois, un drone. Un dispositif technologique de haute précision car l’enjeu est de taille. Pas seulement pour l’ego des Français, qui peuvent s’enorgueillir d’avoir sur leur territoire le plus haut sommet d’Europe, mais pour l’avenir de la planète, la santé du mont Blanc – un sommet bien plus surveillé que l’Everest – étant un indicateur important pour les climatologues. C’est dire si l’annonce officielle des résultats de la mesure était attendue jeudi, nous expliquait hier Denis Borrel, responsable de cette mission, et Liv Sansoz qui avec 7 autres guides a eu la lourde tâche de former ces experts pour la plupart novices en alpinisme.
Tous les deux ans depuis 2001, les géomètres-experts de Haute-Savoie chaussent leurs crampons pour s’atteler à l’une de leurs missions préférées : mesurer l’altitude du mont Blanc. Dans cette entreprise, plus de vingt-sept personnes sont mobilisées. Mais seules une vingtaine réparties en huit cordées cette année feront l’ascension, car grimper à 4.807,81 mètres, « à l’ancienne », en portant le matériel à dos d’homme, et non à coups d’hélicoptère, reste une expédition qui n’a rien d’évident, explique l’alpiniste Liv Sansoz qui avec sept autres guides a pu encadrer des experts qui, pour la plupart, ne connaissaient pas la montagne, et encore moins la haute altitude, nous explique-t-elle, à la veille de son départ pour le Népal.
La mission des guides : faire en sorte que les experts arrivent lucides au sommet
« En 2021, lors de la dernière mission de mesure, l’un des participants a été sérieusement malade, on a dû l’évacuer en hélicoptère, aussi les organisateurs sont-ils plus vigilants de jamais. La mission des guides est donc de faire en sorte que les experts arrivent au sommet, via la voie normale, et donc de les y former sur le plan technique, mais aussi qu’ils ne soient pas trop fatigués à l’arrivée et en état de procéder aux mesures pendant deux heures et demi environ. Pour qui n’est pas vraiment acclimaté, rester aussi longtemps à cette altitude n’est pas évident, garder l’esprit clair encore moins. Nous avons eu une semaine pour les y préparer. Notamment une journée sur la Mer de Glace, pour travailler le cramponnage, c’était indispensable et vraiment, ça a été très profitable, et deux jours dans le massif du Mont Rose, suivis d’un autre sur un 4000 un peu plus technique, pour tester l’agilité de chacun. Au cours de cette semaine, les participants, qui découvraient pour la plupart la montagne, ont pu aussi montrer comment ils géraient le problème de la déshydratation ou les maux de tête. Tous ont révélé un bon mental et un bon pied, à l’exception d’une personne, malade, qui s’est arrêtée au refuge Vallot et qui a dû redescendre. Le reste de l’équipe a pu assurer à plus de 4800 mètres où la forme peut se dégrader très vite. Heureusement, les mesures se déroulent relativement vite, avec un matériel très épuré – des tablettes, des capteurs – bien adapté à la haute montagne. Pour un guide, c’est une expérience enrichissante car elle ne se limite pas à faire monter un client au sommet. Outre la participation à un projet collectif, cela permet de travailler avec les autres guides. Et ça c’est toujours hyper riche, on voit comment chacun aborde la montagne, on discute encordement, météo et planning de la journée. Echanger avec ses pairs est toujours bien. »
Le mont Blanc, sentinelle du climat, plus surveillé encore que l’Everest
Un esprit de cordée auquel adhère un vieux routier de la mission, le géomètre expert Denis Borrel, président de la commission pour la mesure du mont Blanc. Cette montagne, le Chamoniard l’a déjà gravie une dizaine de fois. Lors de la première, il avait 20 ans, depuis, il a réussi à conjuguer sa passion pour un sommet qui le fascine depuis l’enfance, avec son métier. Mieux encore, cette année, ce fan d’aéromodélisme a pu introduire un drône dans la mission. De quoi compléter les dispositifs GPS et les outils de positionnement en temps réel, apporter une modélisation plus précise du mont Blanc (1 milliards de points contre 90 000 en 2021 !), et gagner un temps précieux sur un site où chaque minute compte.
A la veille de voir dévoilés le résultats de ces travaux, attendus pour le 5 octobre, il nous expliquait pourquoi les données scientifiques recueillies ainsi étaient capitales pour comprendre l’impact des évolutions climatiques sur nos montagnes alpines. « Le mont Blanc, c’est un rêve d’enfant pur moi, mais combien de temps encore le restera-t-il pour nos enfants ? Certes nous avons ici trente mètres de glace, mais quid du futur ? Certains disent que dans une centaine d’années, nous n’aurons plus là qu’une calotte de glace. Aussi est-il essentiel de mesurer son évolution. On sait que son altitude varie considérablement d’une année sur l’autre, en fonction des vents et de l’enneigement. Nous faisons des mesures depuis 2001 – depuis que nous disposons des moyens technologiques qui s’imposent ; autrefois c’était impossible, il fallait rester bien trop longtemps au sommet – mais aujourd’hui des experts tels que Ludovic Ravanel craignent que la hausse des températures puisse, à long terme, avoir un impact sur la fonte de la neige sommitale durant l’été, période où le sommet est pourtant au plus haut, le massif étant un « complexe dunaire » où le vent, plus violent en hiver, rabote davantage la neige qu’en été. Normalement, il faut une base d’études de 50 ans pour voir un fléchissement significatif, mais aujourd’hui c’est différent, la hausse des températures, et ses conséquences, étant exponentielles. La question désormais est donc de savoir combien de temps ces trente mètres de glace, ce « frigo », va perdurer ? Et à quel moment le point va fléchir. C’est pourquoi on attend beaucoup des conclusions que doivent rendre les experts jeudi.
En 2019, où l’altitude mesurée était exceptionnellement basse, les résultats avaient été tenus « secrets ». La commission avait en effet décidé «d’attendre la mesure de 2021 pour davantage d’explications pédagogiques et scientifiques». Mais cette année on va annoncer les choses telles qu’elles sont. Cela aura peut-être une incidence dans la tête des gens. En tous cas on peut l’espérer », concluait-il.
Article publié le 4 octobre, mis à jour le 5 octobre
Photo d'en-tête : Depositphotos- Thèmes :
- Altitude
- Mont-Blanc
- Sciences