Depuis l’annonce de la mort de l’écrivain et philosophe Pierre Rabhi, pionnier de l’agroécologie en France et cofondateur du mouvement Colibris, décédé samedi 4 décembre à l’âge de 83 ans, les hommages pleuvent. Et les critiques aussi, rappelant que l’auteur de « Vers la sobriété heureuse, plaidoyer sur la joie de vivre dans la simplicité » (460.000 exemplaires vendus) étaient loin de faire l’unanimité, notamment ses propos sur les droits des femmes ou encore l’homosexualité. Pour décrypter le parcours étonnant – et comprendre peut-être – les contradictions de l’orphelin algérien devenu une sorte de paysan prophète, on écoutera l’excellent podcast de France culture, « Pierre Rabhi, l’homme colibri », diffusé en mars 2020. Cinq épisodes de 28 minutes, produits par Pauline Chanu et réalisés par Christine Robert.
Episode 1 : Naître dans une oasis
Orphelin de mère à l’âge de 4 ans, Pierre Rabhi a grandi dans l’oasis de Kenadsa en Algérie, un village soufi aux portes du Sahara algérien. Dans cet épisode, il revient sur son enfance marquée par l’ambivalence d’une double culture, à la fois chrétienne et musulmane. Un an après la mort de sa mère, son père, forgeron et musicien, le confie en effet à un couple de Français chrétiens sans enfants, un ingénieur et une institutrice, qui prennent en charge son éducation et l’emmènent à Oran. Dès lors, la semaine, il vit dans sa famille d’adoption : catholique, bourgeoise, occidentale, avec laquelle il parle la langue française. Lorsqu’il rentre le week-end à Kenadsa, il renoue avec une culture musulmane, traditionnelle, et parle arabe. Il vit cette dualité, cette double culture comme une douleur, une scission.
Episode 2 : Les Cévennes, un retour à la terre
Pierre Rabhi revient dans ce deuxième épisode sur les raisons qui ont motivé son départ d’Oran pour la France. A l’âge de quinze ans, il obtient un certificat d’études et quitte l’école. Il troque alors son prénom de naissance Rabha pour Pierre, et se convertit au catholicisme. C’est aussi le moment où il rompt avec sa famille biologique, et notamment avec son père qu’il ne reverra plus jamais. A 18 ans, nouvel abandon cette fois-ci par sa famille adoptive. En pleine guerre d’Algérie, l’enfant de Kenadsa et le couple de français ne parviennent plus à se comprendre. Son père le met à la porte. On est en pleine guerre d’Algérie, il a 22 ans et ne se voit plus d’avenir dans son pays. Il gagne d’abord Paris où travaille chez un constructeur de machines agricoles à Puteaux en tant que magasinier. C’est là qu’il rencontre sa femme Michèle. Ensemble, ils décident de quitter Paris, la violence de la vie urbaine et de la condition ouvrière, pour opèrer un “retour à la terre” dans les Cévennes ardéchoises. Il découvre que l’agriculture était fondée sur les pesticides de synthèse, les engrais chimiques. « Ça m’a désespéré », dit-il. « Je ne voulais pas empoisonner la terre qui nous nourrit. » Après trois ans de formation comme ouvrier agricole, Pierre et Michèle Rabhi achètent la ferme de Montchamp dans le dans le Parc National des Cévennes et se lancent dans l’élevage de chèvre. Pour survivre avec cinq enfants à nourrir, sans eau, sans électricité, ils multiplient les emplois complémentaires. Il leur faudra plus de dix ans pour transformer cette terre de garrigue aride, obtenir l’eau et l’électricité, constituer un troupeau de chèvres et commencer à vendre leurs fromages.
Volet 3 : Semer l’agro-écologie
Début des années 60, Pierre Rabhi a fondé une ferme en agriculture biologique dans les Cévennes ardéchoises. Dans ce troisième épisode, il raconte la manière dont elle est devenue un modèle d’agriculture biologique d’abord en France, puis un peu partout dans le monde. Selon lui, ce modèle agricole est le seul capable de réduire les inégalités entre pays du Nord et pays du Sud, un modèle qui pourrait assurer la sécurité alimentaire et réduire notre empreinte environnementale. Formé aux techniques agricoles auprès d’agriculteurs conventionnels, il s’inspire aussi des travaux de de Rudolf Steiner, fondateur du courant anthroposophique, prônant notamment la biodynamie. Il met ainsi en place à Montchamp les principes de l’agriculture biologique (le compostage, le paillage, la fermentation) qui deviendra un laboratoire dédié à l’expérimentation de l’agroécologie en France puis forme des agriculteurs un peu partout dans le monde, en Roumanie, au Maroc, en Tunisie….
Au début des années 80, c’est la rencontre avec Maurice Freund, pionnier du tourisme durable avec lequel il créée la structure d’accueil et centre de formation en agroécologie de Gorom-Gorom avec pour objectif de : “réhabiliter la connaissance des paysans, assurer la sécurité alimentaire, transmettre et répandre l’agriculture biologique, enseigner la méthode du compost, lutter contre les engrais chimiques et contre l’endettement des agriculteurs”…
Le président du Burkina Faso et leader révolutionnaire Thomas Sankara remarque son travail et lui confie un plan national de formation en agroécologie. Son assassinat le 15 octobre 1987, mettra un terme à ce projet.
Volet 4 : L’insurrection des consciences
Pendant soixante ans Pierre Rabhi aura mené des combats écologiques sans avoir emprunté ni le chemin du militantisme ni celui de la politique traditionnelle et partisane. Il définit ce qu’il appelle l’insurrection des consciences et pose la question de l’engagement et de la responsabilité de chacun. Depuis des dizaines d’années, il rappelle combien il est important que chacun fasse sa part. A l’image du colibri, chaque individu doit apporter sa goutte d’eau pour calmer l’incendie… Mais il fait le choix de ne pas se politiser. Selon lui, l’écologie ne doit pas emprunter le chemin de la politique : la transformation de notre système doit d’abord passer par une transformation de soi, une insurrection des consciences. Ni partisan, ni militant, il refuse de participer à des manifestations, d’occuper des lieux et reste en retrait des mouvements désobéissance civile. Pourtant en 2002, il se présente aux élections présidentielles avec le parti “Terre & Humanisme, Mouvement pour l’Insurrection des Consciences « .
Volet 5 : Le paysan-prophète
Longtemps resté à la marge et en retrait du monde moderne, Pierre Rabhi a progressivement changé de statut, passant de celui de paysan à celui d’homme public. Une communauté d’adeptes voit même en lui un prophète. Que répond-il à ceux qui l’appellent prophète ? “Il faut sortir de la caricature du prophète avec la barbe, qui va à travers les places publiques, avec le doigt levé… C’est simplement que je suis persuadé par mon intuition que notre modèle de société est destructeur, que les humains sont de moins en moins heureux… Mais ses prises de position font également débat, considérées comme proches de l’écologie intégrale, mouvement vert d’extrême droite. Pierre Rabhi a un champ lexical propre : il parle “de retour à la terre”, de “terre nourricière”, il exclue toute intervention humaine dans la manipulation du vivant. Dans le livre « Semeur d’espoirs » paru chez Actes Sud en 2013, Rabhi écrit qu’il « considère comme dangereuse pour l’avenir de l’humanité la validation de la famille “homosexuelle”, alors que par définition cette relation est inféconde « . Comment parvient-il à vivre avec ses contradictions et comment se pose aujourd’hui la question de la cohérence de son mode de vie ? Peut-il continuer de prôner la sobriété heureuse ?
Photo d'en-tête : Pierre Rabhi- Thèmes :
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