Avec « Je vous écris de là-haut » les Editions Guérin – Paulsen ont réalisé un touchant album de souvenirs posthumes des quinze dernières années de la vie de Jean-Christophe Lafaille, un des plus grands himalayistes français, tragiquement disparu sur les pentes du Makalu en 2006. Rédigé à partir des carnets de notes de l’alpiniste et des photos de ses expéditions, on ne peut y rester insensible.
« Les grandes montagnes ont la valeur de celui qui se mesure à elles, autrement elles ne restent que de stériles tas de pierres ». En hommage à la carrière et à la vie de Jean-Christophe Lafaille, l’éditeur a choisi cette phrase de l’alpiniste italien Walter Bonatti dans « Montagne d’une vie » en guise d’introduction à ce bel album posthume. Car oui, on a davantage l’impression de feuilleter un album de famille que de lire une biographie. Les photos d’un Jean-Christophe Lafaille jeune, puis adolescent, nous attendrissent, jusqu’à nous émouvoir au fur et à mesure que le récit avance, au gré des pages tournées. Le chapitre « d’entre les morts », évoquant la brutale chute de son compagnon de cordée et ami Pierre Béghin sur la face sud de l’Annapurna en 1992, donne peut-être l’éclairage le plus terrifiant. « Je me mets à hurler de tout mon être, Pierre ! Pierre ! Je ne sais pas combien de temps je suis resté rivé à mes piolets à hurler sous les coups de boutoir de la tempête », écrit l’alpiniste sur l’un des ses carnets, quelques jours plus tard, en guise de catharsis.
L’Annapurna était son graal mais l’Himalaya tout entier était son sanctuaire. De l’escalade de compétition au sein du GMHM (Groupe militaire de haute montagne) de Chamonix aux expéditions népalaises, l’album retrace quinze années de pure dépendance à la verticalité. Depuis 1991, via une lettre écrite dans un refuge alpin, à 2006, année où on retrouva son carnet Moleskine noir à 7600 mètres d’altitude, au camp de base 4 du Makalu.
Le dernier coup de fil qu’il passa à son épouse, Katia, avant de tenter le sommet en solitaire, sans oxygène et en plein hiver, y est retranscrit avec précision. « Il était en colère : il s’était trompé de cartouche de gaz, avait avoir monté du propane qui avait gelé, au lieu du multifuel. Il avait mis deux heures à faire de l’eau, puis dans un faux mouvement avait renversé le contenu de sa gamelle. Il s’inquiétait de ne pas pouvoir s’hydrater suffisamment », apprend-on alors que deux journalistes de télévision se trouvaient au côté de Katia, à Vallorcine, en Haute-Savoie à ce moment précis.
Cette addiction dont souffrent et jouissent les himalayistes
Réunir ses précieux carnets d’altitude qu’il avait archivés un peu partout au fil des soubresauts de sa vie personnelle (il a eu deux femmes, Véronique et Katia et un enfant avec chacune d’entres elle, Marie l’ainée et Tom le cadet) donne à ce livre – album une résonance authentique et sincère. L’alternance d’images et de textes retraçant ce dernier morceau de vie rythme la lecture d’un récit qui jamais ne tombe pas dans le morbide. Il donne au contraire des clés pour comprendre cette addiction à l’altitude dont souffrent et jouissent les himalayistes.
Au-delà des mots, émouvants, les photos nous ébranlent. Notamment celle où l’on voit Jean-Christophe, assis à l’aéroport, le bras en écharpe suite à l’accident survenu sur l’Annapurna où il perdit son compère Pierre Béghin. Les yeux rivés sur un journal local déplié à même le sol, il y apprend que ses cinq jours d’errance sans matériel et avec le bras cassé ont été très médiatisés, lui qui s’apprêtait à trouver les bons mots pour « minimiser » ce qu’il venait de vivre auprès de sa famille. Solitaire dans ses agissements et ses accomplissements, on cerne au fil des pages la personnalité de ce géant des cimes qui s’exprimait avec beaucoup de pudeur. « Je vous écris de là-haut » est une beau carnet d’altitude où la quête de la vérité d’un homme est menée jusqu’à sa perte…
« Je vous écris de là-haut », Jean-Christophe Lafaille. Editions Guérin, Paulsen 384 pages. 56€.
Photo d'en-tête : Jean-Christophe Lafaille