Depuis Katmandu, c’est un témoignage émouvant que nous livre aujourd’hui Marek Holecek. Piolet d’or 2020, l’un des meilleurs alpinistes de sa génération était parvenu le 25 mai dernier avec son camarade Radoslav Groh à réaliser en pur style alpin l’ouverture d’une nouvelle voie sur la face nord-ouest du Baruntse, un sommet népalais de 7 129 m. Un exploit qui faillit tourner au drame, les deux Tchèques se retrouvant prisonniers plusieurs jours d’une tempête de neige, à près de 7000 m d’altitude. Une expédition » à la limite de la survie », dit-il , sur laquelle il revient ici, jour par jour, dans un long message qu’il vient de nous adresser.
« Voici, les premières informations détaillées concernant notre expédition de ce printemps dans l’Himalaya. Notre objectif, à « Radar » (Radoslav Groh) et à moi était la voie ouest du Baruntse (7129 m), qui s’élève dans la vallée de Hunku, dans la région du Khumbu. Cela faisait plusieurs années déjà que j’avais en tête de faire une nouvelle ligne sur cette belle face, pour laquelle j’avais le plus grand respect. Ce projet s’est imposé 2019, quand j’ai revu le Baruntse dans toute sa beauté. Mais, à cette époque, j’avais un autre sommet en tête de ma liste, un peu plus loin dans la même vallée : une nouvelle voie sur la face NW du Chamlang, que nous avons faite, mon camarade Zdenda « Háček » et moi. Mais cette seule vision du Baruntse a suffi pour que je me dise que, décidément, je devais y retourner. Et c’est ce qui s’est passé cette année. Nous sommes arrivés au camp de base du Baruntse le 13 mai. Bien acclimatés par notre trek précédent, nous n’avons attendu que quatre jours consécutifs de beau temps pour entreprendre l’ascension de la face ouest.
21 mai
Nous préparons le matériel d’escalade et des vivres pour six jours et nous nous dirigeons vers le glacier. Nous bivouaquons juste en dessous du début de la paroi.
22 mai
Nous commençons à grimper, mais, dès les premiers mètres, nous rencontrons des problèmes d’escalade. Nous trouvons de la glace dure dans les parties basses, qui se transforment par endroits en sections mixtes. Cela s’explique par le fait que le mur ouest a subi un changement majeur au cours des dernières années, particulièrement sèches. Beaucoup de neige et de glace ont disparu des pentes. Par exemple, en 1997, l’ascension de l’expédition de Sergey Efimov passait par un pilier de la paroi ouest. Considérablement à gauche de notre chemin. Dans les conditions actuelles, je ne vois vraiment pas comment qui que ce soit pourrait passer par là. Compte tenu de la complexité du terrain, nous n’avons pas pu progresser plus vite. Pire, nous avons rencontré encore d’autres sections, de plus en plus difficiles. Avec la montée du soleil et de la température, nous nous sommes retrouvés exposés à de dangereuses chutes de pierres qui auraient pu nous faire dévisser. Après dix heures d’ascension, nous n’avons eu d’autre choix que de creuser une plate-forme de glace et d’installer un bivouac en mode survie : assis et sécurisé par une corde. Un sale spot, de surcroit une centaine de mètres plus bas que ce que nous avions initialement prévu.
23 mai
Le temps est au beau. Nous grimpons jusqu’à la plaque de glace, qui nous conduit en diagonale vers la gauche, jusqu’aux sections rocheuses. Toute la journée, nous avançons à coup de piolet dans la glace dure et grimpons, sous la menace de masses neigeuses instables. Le processus est lent et nous coûte beaucoup d’énergie. Avant le coucher du soleil, nous trouvons enfin un trou pour notre tente sur une pente enneigée Nous y installons notre bivouac.
24 mai
Au matin, nous sommes confrontés au passage le plus difficile de l’ascension. Au-dessus de notre tête se dresse une barrière de 250 mètres de rochers brisés. Il nous faut un certain temps pour décider du chemin à prendre. L’ascension se fait plus lente alors que le temps commence à se dégrader. Finalement, mobilisant toute notre énergie, en pleine tempête de neige, nous parvenons à grimper soixante-dix mètres et nous positionner juste en dessous de la crête. Nous n’avons d’autre choix que nous poser là. Heureusement, nous trouvons un affleurement rocheux exactement de la taille de notre tente.. Nous y installons notre bivouac. Toute la nuit, des torrents de neige dévaleront sur nous
25 mai
Le temps est carrément mauvais, mais il n’y a pas d’autre solution que d’accéder à l’arête, de monter au sommet et de redescendre par la voie classique. Facile à dire, mais avec la neige qui ne cesse de tomber, les rafales de vent et les dernières sections mixtes auxquelles nous sommes confrontés, ça nous prend encore toute la journée. Nous arrivons au sommet vers 16 h, complètement gelés. On n’y voit rien, c’est complètement bouché à cause du brouillard. Nous posons notre tente. Mais dans la nuit, surgit une tempête et notre tente est entièrement recouverte de neige fraîche. Le vent violent ne s’arrête pas, apportant constamment de nouveaux torrents de neige. Nous essayons de descendre quelques dizaines de mètres plus bas, avant de devoir remonter la tente pour nous y abriter. Descendre est alors totalement impossible.
27-28 mai
Le temps est terrible, c’est un enfer. Même les tâches de base, comme faire bouillir de l’eau ou aller uriner, sont à la limite de la survie. A plusieurs reprises, nous sommes contraints de dégager notre tente de la masse de neige qui l’écrase. Nous ne pouvons qu’attendre et prier. Nous sommes entièrement mouillés et gelés et nous avons froid.
29 mai
Le temps s’est un peu amélioré, le vent s’est calmé et nous avons au moins un peu de visibilité. Nous descendons plus de 1000 mètres le long d’une crête abrupte menant à la vallée. Mais notre progression reste lente, au vue de la masse de fraîche et du risque d’avalanche. Dans l’après-midi, il devient clair que nous n’atteindrons pas le glacier aujourd’hui et qu’un nouveau bivouac à la dure nous attend.
30 mai
C’est une belle matinée, la promesse d’une belle journée. Nous profitons immédiatement de l’occasion et appelons un hélicoptère par téléphone satellite. Personne ne nous attend plus au camp de base. Trop de neige fraîche sur les pentes et dans la vallée, et il continue de neiger sans discontinuer. Après ces derniers jours, pas plus Radar que moi n’avons envie de nous exposer à une avalanche. Par chance, notre appel est entendu, et à 7 heures du matin nous sommes libérés de cet enfer de glace par un hélicoptère qui nous a fait traverser l’Himalaya et nous dépose en 30 minutes à Lukla (aéroport à 45 minutes de vol de Katmandou, ndlr) The end.
Avec mon camarade Radoslav Groh nous avons décidé d’appeler « Heavenly Trap » (que l’on peut traduire par « piège céleste », ndlr) cette nouvelle voie sur la face ouest du Baruntse (7129 m) et de la dédier à nos deux amis « Petr Machold et Kuba Vanek ». Disparus sur ce mur il y a huit ans, personne ne les a revus depuis.
Réalisée du 21.5 au 30.5. 2021, cette ascension comporte les difficultés suivantes ABO + (M6 + / VI + / 80 °), 1800 mètres d’ascension (1300m de dénivelé). En ce qui me concerne, je peux dire, que jamais je n’ai fait d’ascension aussi difficile… Je tiens à remercier mon partenaire Radárek et le Tout-Puissant pour leur patience. C’est grâce à eux deux que ce joyau de l’alpinisme a pu voir le jour. Greetings from kathmandu. Maara. »
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