C’est l’une des vagues les plus dangereuses de la planète, l’imprévisible et gigantesque Nazaré, au Portugal, que le DJ français Molécule a choisie pour son dernier défi artistique : capturer le son du surf. De ce projet extrêmement engagé réunissant l’élite des big waves riders est né un album, «Sounds of Surfing» et un documentaire remarquable réalisé par Julie et Vincent Kardasik. A découvrir dès aujourd’hui en ligne.
En 2015, le Parisien Romain Delahaye, alias Molécule, sortait l’album « 60°43′ Nord », enregistré sur un chalutier pendant un mois sans escale entre l’Islande et l’Ecosse. Deux ans plus tard, aux antipodes des bruits de la tempête, il mettait le cap pour un mois et demi au Groenland pour y capter le silence. Ce sera l’album «-22.7°C ». En février 2018, c’est au cœur de Nazaré, vague géante et désormais mythique rugissant au large du Portugal, que le musicien s’est littéralement, physiquement, introduit au risque de sa vie, lui qui n’avait jamais approché une planche de surf jusque-là. Il en a tiré un nouveau disque de cinq titres complètement saisissants mêlant bruits de l’océan, cris des surfeurs et émotions fortes ressenties face à des murs d’eau pouvant atteindre quinze mètres que n’affrontent que les plus aguerris. Un projet extrêmement risqué que personne n’attendait, mais que la communauté du surf de Guéthary a soutenu avec générosité et enthousiasme. De cette expérience est né un documentaire de 47 minutes retraçant le making of de cette oeuvre hors norme.
Le son de la vague de Nazaré capté par un maître de la musique électro
Lors de l’avant-première mondiale du film au Grand Rex à Paris en janvier 2020, Outside rencontrait le musicien Molécule, le coréalisateur du documentaire Vincent Kardasik et le jeune prodige marocain Othmane Choufani, l’un des trois surfeurs impliqués dans « Sounds of Surfing » avec le champion portugais Alex Botelho et le Français Benjamin Sanchis, alias Sancho, détenteur du record du monde de la plus grosse vague surfée (33 mètres). Des entretiens à lire ou à relire, à l’occasion de la mise en ligne du documentaire en libre accès aujourd’hui.
MOLECULE, alias Romain Delahaye: « J’étais tétanisé par la peur »
« La première fois que j’ai parlé du projet à mon manager, il m’a dit: ‘ Enregistrer une vague, qu’est-ce que tu vas en faire ?’. Mais quand on a eu les retours des surfeurs, immédiatement partants, ça a pris sens, car on a des images du surf mais pas le son du surf. L’idée était donc de mettre en avant le son de cette discipline et de la nature. En découvrant les images de Nazaré, je me suis dit : c’est là! C’est Nazaré ou rien. Et fin septembre 2018, on s’est mis en alerte. On a eu une fenêtre de très forte houle de deux jours en février 2019, tout s’est alors déclenché très vite. Je suis arrivé pas du tout préparé physiquement, la veille je sortais d’un anniversaire bien arrosé. Je n’avais jamais vu Nazaré, en vrai. Comme à chaque fois, je ne veux pas trop savoir où je vais, je ne me documente pas trop sur un lieu. Je veux me prendre en pleine figure la découverte de l’inconnu. C’est cet impact qui est très inspirant.
Cette 3e expérience (après le bateau de pêche et le Groenland, ndlr) n’est pas la plus engagée, mais c’est celle qui m’a mis le plus proche de mes limites. J’ai vu une ligne que je ne veux pas traverser. Je ne suis pas fait pour ça, j’ai d’autres occupations. J’ai eu des frayeurs à chaque fois au Groenland, par exemple, où la banquise n’était pas stable, le traineau s’y enfonçait parfois alors que nous étions à des kilomètres de tout. C’était une situation périlleuse, mais là, à Nazaré, sur le jet ski, j’étais tétanisé par une peur qui se répétait. Je pensais arriver à la dépasser, mais je n’y arrivais pas. Même les moments les moins gros, étaient encore trop gros pour moi. Mais j’aime ça, j’aime me sentir petit face à la nature. Parfois les gens me voient comme un aventurier courageux, mais je suis comme le commun des mortels, j’ai juste la volonté de vivre ma vie à 100% et de rechercher une connexion à la nature. Je suis Parisien, j’ai deux enfants, je ne pars pas pour fuir, mais pour me reconnecter à la nature et me sentir petit face à ces éléments.
Nazaré est le début d’un projet plus vaste que j’aimerais étendre à d’autres vagues mythiques, telles que Teahupoo, Jaws, Mawericks, et d’autres en Afrique ou en Australie.
C’est donc la première étape, Teahupoo (à Tahiti), qui devrait être la prochaine, cet été. On retrouverait alors sensiblement la même équipe qu’au Portugal. On a vécu des choses très fortes sur ce tournage, on aimerait continuer ensemble ».
VINCENT KARDASIK : « Personne ne voulait nous suivre sur ce coup là! »
Opérateur aquatique à la base, c’est à lui qu’on fait appel pour des prises de vue très techniques. Quiksilver lui doit nombre de ses campagnes publicitaires et il a couvert les exploits de surfeurs tels que Jeremy Flores et Kelly Slater. La réalisation est un domaine relativement nouveau pour lui.
« Ce film, c’est de l’autoproduction totale. J’y ai mis le salaire d’un film de 26 mn que je venais de réaliser pour Billabong, « Vague à l’âme ». Quand on s’est engagé sur ce projet avec Romain, un truc m’a fait tiquer tout de suite chez lui : sa façon de vivre ses aventures. Elle se rapproche assez de ce qu’on vit dans le surf, particulièrement dans le surf de grosses vagues. Mais personne ne voulait nous suivre sur ce coup là, c’était trop casse gueule. D’un point de vue technique, mais aussi financier vu la taille de l’équipe, une quinzaine de personnes qu’il faut bouger à Nazaré à la dernière minute. Or la saison 2019 à Nazaré était catastrophique. Toutes les grosses houles annoncées n’apportaient pas du tout le résultat escompté. Mais on sentait qu’on devait le faire cette année-là. De nos jours, sur place il y a tout le monde, la BBC, National Geographic … Je me doutais qu’il y avait quelque chose à faire et que si on ne le faisait pas vite, quelqu’un d’autre allait le faire à notre place. Alors, je n’ai pas trop réfléchi.
On a donc tourné à Nazaré et, sans mauvais jeu de mots, ça a fait du bruit dans le milieu du surf. Tout le monde disait, « ils ont pris un branque avec un micro … ».
Le casting était hyper important. Romain m’a dit qu’il n’y connaissait absolument rien en surf, il m’a donc laissé carte blanche là-dessus.
Othmane (Choufani, ndlr), c’est un peu le diamant brut du surf de grosses vagues mondial. Tout le monde en a entendu parler et personne ne sait vraiment le potentiel qu’il a. Et Alex Botelho, c’est un mec assez magnétique, très calme, très posé, avec un physique de dieu grec. C’était le seul que je ne connaissais pas directement. Il a demandé à écouter la musique de Molécule et le lendemain il m’a rappelé et m’a dit : ok, je le fais.
Alex c’est le plus introverti, mais en termes de recherches sonores, je crois que c’est celui qui est allé le plus loin vers nous. C’était quelque chose qui le travaillait à l’époque, cette question du son du surf. Othmane a été très impliqué lui aussi, notamment dans la partie physique et aussi dans la partie beat. Alex, c’était plutôt la retranscription qui l’intéressait : “là, il faut que tu coupes le bruit, sinon on n’entend plus la vague”.
Les surfeurs sont intervenus sur le son quasiment tout du long de la production. On a fait une première écoute tous ensemble à Nazaré, puis une session du brut et du son retravaillé et enfin la troisième mouture. Tous ont dit, là c’est génial, mais tu devrais changer tel ou tel point. Ils sont même intervenus sur les noms des morceaux. C’est un vrai projet collaboratif. Molécule a réussi à impliquer tout le monde du début jusqu’à la fin.
Le premier jour de houle, Romain a réalisé ce que voulait dire Nazaré, mais je lui ai dit: ‘On n’a pas fait tout ça pour que tu ne remontes pas sur ce putain de jet ski.’ Il m’a répondu … « Je ne sais pas ». C’est Sancho (Benjamin Sanchis, détenteur du record du monde de la plus grosse vague surfée – 33 mètres, ndlr) qui l’a mis en confiance ce soir là. Et, le lendemain matin, il y est allé. Tu vois ce qu’il a fait, je l’ai fait aussi, avec une caméra, mais moi qui suis surfeur je peux te garantir que les deux premières sessions, je voulais que ça s’arrête ! C’est l’enfer ! Il faut s’y habituer, il faut gérer, il faut tomber aussi une ou deux fois, pour comprendre comment on peut s’en sortir.
On l’envisage d’ailleurs pour la suite. J’aimerais l’emmener sur une vague où il pourrait enregistrer le son sous l’eau. C’est un truc que nous les surfeurs on a tous vécu physiquement. Mais là, il faut qu’on le prépare. On a un préparateur physique maintenant, on peut le tenir en apnée. Il faut aussi qu’il soit prêt psychologiquement, qu’il comprenne que s’il se prend une vague sur la tête et qu’il finit sur le reef il va s’en sortir. Ça fait partie du surf, ça aussi.
Le son du tube, c’est un truc dont on lui parle, mais pour lui, c’est du chinois. Le fracas des vagues à Nazaré, il l’a eu, il a réussi à montrer ce que nous ressentons. Mais sous l’eau, Romain va arriver avec un regard et une oreille complètement extérieurs. Et il va y aller … il n’aura pas le choix ! (rires). »
OTHMANE CHOUFANI: « Nazaré ne casse jamais au même endroit. On se sent vraiment à la merci de l’océan »
« J’écoute énormément de musique avant et après les sessions, pour me motiver. Du hard rock ou de l’électro, selon mon mood. J’ai des sons dans la tête chaque fois que je lâche la corde (en surf tracté ou tow-in, ndlr), quand j’attends la vague, juste avant de la prendre. Le bruit de la vague, c’est une chose dont je parle énormément avec mes potes, d’autant qu’en surf tow-in, le son te sert à te repérer. Mais dès que tu sors de l’eau, tu as une poussée d’adrénaline et tu oublies le son. Je surfe à fond depuis l’âge de 8-9 ans, j’en ai 27 maintenant. J’ai tous les sons du surf en tête. Sous l’eau, sur l’eau, proche de la lèvre (de la vague, ndlr), sur le jet ski, avant ou après la vague, après la session. Mais je n’arrive pas à les retranscrire. Alors, ça m’a vraiment motivé de combiner musique et surf sur le projet de Molécule.
Les micros ne m’ont pas dérangé, j’ai surfé comme d’habitude, juste avec la volonté de rapporter le meilleur son possible pour qu’il puisse retranscrire ce que nous ressentons. J’avoue qu’à certains moments j’y suis allé un peu plus loin que d’habitude. J’y ai mis du cœur.
Un DJ sur un jet ski à Nazaré? Nous, on nous prend pour des fous. Molécule on le prend aussi pour un fou. Alors, je dis, plus on est de fous, plus on rit ! Moi ça m’a plu tout de suite. Avoir la chance que quelqu’un de ce calibre s’intéresse à ce qu’on fait … j’ai dit allons-y !
Le 2e jour du tournage, il a totalement repoussé ses limites. C’est quelque chose que j’admire et qui a beaucoup de valeur pour moi.
Mon but était de le mettre en confiance et que son expérience ne soit pas traumatisante, car on sait qu’il va avoir peur. A Nazaré, on a tous peur. Le jet ski peut ne pas se rallumer. Et là, la vague arrive, et toi, tu ne sens plus tes jambes.
Dans son domaine, Romain, c’est un boss. Il sait pourquoi il est là. C’est un mec qui « a des cojones », il est déterminé. Il va faire sa propre expérience, et on ne peut pas le préparer à ça. C’est respectable de repousser ses limites.
J’ai commencé à surfer en 2012 à Nazaré, avant le boom. Puis c’est devenu un peu le cirque. Je me suis un peu spécialisé dans le surf à la rame (non tracté, ndlr) et à Nazaré c’était presque impossible à l’époque. Puis j’ai vu que les mecs commençaient à y ramer alors je suis allé y mettre mon grain de sel. La rame, c’est ce que je préfère, ça demande d’être un bon surfeur à la base, et exige beaucoup d’humilité. On se sent encore plus petit face à l’océan. Surtout à Nazaré. Car contrairement à d’autres vagues de gros : ça ne casse jamais au même endroit. C’est tout le temps en mouvement. On se sent vraiment à la merci de l’océan. Même sur un jet-ski, c’est effrayant, Nazaré. Molécule était vraiment au « cœur du dark! ».
Pour télécharger l’album, c’est ici.
Article initialement publié le 20 janvier 2020, mis à jour le 25 avril 2022.
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