Chasseur, aventurier, hôtelier et diplomate, la vie trépidante de Boris Lissanevitch méritait bien l’éclairage de Michel Peissel dans un récit rocambolesque, gorgé de péripéties et d’anecdotes. A travers le parcours de Boris, on est transporté à travers le monde à une époque où certains pays comme le Népal sortent tout juste du moyen-âge. L’incroyable destinée du Russe l’a même amenée à ouvrir les portes du Népal à l’Occident.
Plusieurs vies dans une vie. Tel est le parcours de Boris, le magnifique. Insaisissable, ce Russe pourrait jouer le rôle-titre du film de Steven Spielberg « Arrête-moi si tu peux », tant il a cumulé les différentes casquettes. Sauf qu’à l’inverse de Franck Abagnale, Jr, incarné par Leonardo DiCaprio dans le film, ce dernier n’a jamais caché son identité, passant de réfugié russe à danseur de ballet puis entrepreneur, hôtelier, chasseur, aventurier et grand pote des Maharadjas. Boris c’est Gatsby le magnifique croisé avec Indiana Jones, plongé dans l’Inde et le Népal moyenâgeux de l’entre-deux guerre. Une épopée historique, rocambolesque et drôle se dresse devant nos yeux.
Sa vie pourrait se résumer à cette maxime : « vis chaque jour comme si c’était le dernier ». Boris fuit très tôt sa terre natale devenue dangereuse et inhospitalière à l’orée de la première guerre mondiale. Direction Odessa et son fameux opéra où les danseurs de ballet s’y produisent. Pour Boris, le ballet incarne l’échappatoire vers l’Europe. Malgré la famine et la misère qui pèsent sur la ville et la Russie en général entre 1920 et 1923, l’opéra et la danse jouent le rôle des arènes romaines de l’époque : distraire le peuple pour le calmer. Pour notre jeune héros, le ballet est synonyme de tournées partout dans le monde en cas de réussite.
La bête est lâchée
Pari tenté, pari gagné. Boris intègre la compagnie de danse, elle va lui ouvrir les portes du monde qu’’il va croquer avec un féroce appêtit. La bête est lâchée. Les savoureuses anecdotes et péripéties de sa vie sont retranscrites avec brio dans l’ouvrage de Michel Peissel, lui aussi voyageur et écrivain qui a eu la chance de croiser son chemin dans la capitale népalaise. « Le Tigre de Katmandou » originalement écrit et sorti en anglais en 1966 sous le titre de « A Tiger for Breakfast », est une perle rare qu’on lit d’une traite avec l’excitation d’un enfant qui trouve le manuscrit personnel de son grand-père parti à la guerre. Lire « Le Tigre de Katmandou », c’est basculer dans plusieurs époques, celle des périodes fastes de l’après-guerre, celle des premiers voyageurs, celle des explorateurs et celle du tout-est-possible.
Un James Bond au Népal
De Monte-Carlo à New-York en passant par Calcutta et Katmandou, les pérégrinations de Monsieur Lissanevitch n’ont rien à envier à James Bond. Fêtard, séduisant et entreprenant, le Russe met le monde à ses pieds et attire la sympathie au gré de ses voyages. Partout où il pose ses valises, il est demandé et admiré. Grâce à cette personnalité clivante, Boris lance plusieurs projets d’envergure qui vont avoir un impact sur le développement des relations sociales en Inde, notamment à Calcutta où il va ouvrir le très fameux « Club 300 », et le rendre accessible à toutes les castes et tous les sexes. Une révolution pour l’époque et dans ce pays. Mais c’est au Népal que son rôle prendra une ampleur supérieure. Boris y aurait fait passer des messages secrets à Nehru, contribuant au renversement de la dynastie des Rana, au pouvoir depuis des années. Boris devient donc une sorte d’agent secret qui ouvre le Népal aux touristes dans un après-guerre et une époque où ce mot était aussi inconnu et incompréhensible qu’un hiéroglyphe égyptien. Le récit de Michel Peissel, si bien documenté, vaut son pesant d’or. En flirtant entre le clinquant Gatsby et Henry de Montfreid, le personnage de Boris Lissanevitch que dépeint l’auteur nous apparait si attachant qu’on aimerait en connaitre davantage et le convier à dîner. Boris, c’est un peu le premier nom qu’on couche dans sa liste d’invités, c’est l’homme aux centaines de vies, aux milles anecdotes et c’est désormais sa vie qu’il faut savourer au travers de cet ouvrage.
Le tigre de Katmandou, Michel Peissel. Guérin, Editions Paulsen. 200 pages, 25€.
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