Il y a dix jours la SkyRhune, étape clé de la Golden Trail National Series organisée au Pays Basque, annonçait tirer sa révérence à l’issue de sa prochaine édition, le 21 septembre. Difficile sur le moment d’en parler avec Nicolas Darmaillacq, l’organisateur de 44 ans ayant annoncé ne pas être disponible dans l’immédiat en raison d’un projet en montagne se déroulant dans le cadre de son activité d’enseignant. Nous avons donc pris le temps de comprendre pourquoi il avait décidé, avec les autres bénévoles, de mettre fin à cette grande fête du trail rassemblant amateurs et élites.
« C’est une réflexion murie depuis deux ans » nous explique posément Nicolas Darmaillacq. « On veut finir en beauté, sur une 10e édition symbolique. Nous sommes encore très motivés ». « Nous », c’est ce groupe de copains à l’origine de l’évènement. « On fait des off, des week-ends de trail depuis plus de quinze ans. On a aussi partagé quelques courses ensemble ». Sauf que ce cœur de bénévoles ne se reconnaît plus dans les valeurs du trail d’aujourd’hui. Car en dix ans, cette discipline a connu une croissance exponentielle. La faute aux circuits privés dont la SkyRhune fait partie, avec les Golden Trail Series ? Quid des alternatives au côté business ? Et de l’avenir du trail ?
Pourquoi renoncer à l’organisation de la SkyRhune ?
C’est une forme d’abandon face à la professionnalisation du trail. Et à toutes les dérives qu’elle peut entraîner. On arrive au bout. Parce que ça devient trop exponentiel, je trouve. Le trail est vraiment en train d’évoluer à la vitesse grand V. Et ça s’éloigne totalement de mes idéaux. […] Car l’argent n’emmène que de mauvaises contreparties. On parle de plus en plus de dopage, de système d’entreprise, de bénéfices, et ça, ça me gêne. Ça dénature la pratique. Le dopage, c’est de la triche. […] Je parle du dopage des athlètes qui sont contraints par le système de réaliser des performances. […] Des dérives vont forcément arriver. Et ce ne seront pas les premières. Le cas des Kényans à Sierre-Zinal est parlant. Ces gens-là ne viennent pas faire ces courses-là parce qu’ils aiment le trail. Ils viennent parce qu’il y a de l’argent.
La SkyRhune, c’est une association. Votre entrée dans le circuit national des Golden Trail Series est-elle venue bouleverser les choses ?
Pas vraiment. Disons que je n’arrive pas voir le parallèle entre notre décision d’arrêter et les Golden Trail Series. […] Peu après l’annonce, on nous a dit qu’on n’avait qu’à quitter les Golden Trail Series. Mais quel est le rapport, je ne comprends pas ? Pourquoi est-ce que l’on assimile la SkyRhune à une course de haut-niveau uniquement parce qu’elle a la pastille Golden Trail Series ? Je pense qu’il n’y a aucun rapport. Parce que la pastille ne nous coûte rien. Ils ne nous demandent rien. Et amènent leurs moyens vidéos. Alors c’est forcément un avantage pour nous. Mais on n’a pas été les chercher. C’est eux qui sont venus vers nous.
Vous n’étiez pas obligés d’accepter non plus…
C’est vrai. Mais pour moi, le business n’est pas du tout là. Il y a beaucoup d’incompréhensions – notre critique est beaucoup plus globale. Car ce ne sont ni les athlètes qui nous coûtent cher, ni les Golden Trail Series. Mais toutes les prestations nécessaires à faire un événement de cette nature-là. De cette envergure. En dix ans, le budget des prestataires a été multiplié par trois ou quatre. Speaker, photographe, secours, chronométrage… Tout le monde a voulu sa part du gâteau. Sauf qu’il n’y a actuellement qu’un seul moyen de faire grossir le gâteau : augmenter les prix d’inscription. Ce qui a lieu dans 90% des courses actuellement. Les tarifs explosent. Parce que les organisateurs doivent assumer ces frais-là.
Et vous, avoir votre part du gâteau, ça ne vous intéresse pas ?
J’aurai pu en faire un business. Sauf que ça ne m’intéresse pas. Je trouve que l’argent est la dérive du monde actuel. Et ça, ça dépasse le trail. Et puis, il ne faut pas, selon moi, mélanger le business et la passion. Ce sont deux sphères séparées. Moi, j’ai mon métier. Tout le reste, je le fais par passion, de manière désintéressée à 200%. J’ai donné beaucoup pour la SkyRhune, j’aurais pu donner davantage. Mais je n’ai plus envie de le faire, au regard du milieu dans lequel cela évolue. Se positionner comme le Robin des Bois qui veut garder l’esprit originel du trail, monter une course au plus niveau en étant complètement décalé, ça va un temps. On peut revenir à une course de village, comme il en existe des milliers. Et heureusement, elles vont persister. Mais ça n’a jamais été le projet initial de la SkyRhune. On a toujours voulu faire une course de performance. Avec du gros niveau, du spectacle. Et des valeurs qui, je pensais, pourraient perdurer. Mais visiblement, ça ne perdurera pas.
Vous courez depuis le début des années 2000. Qu’est-ce qui a changé en 20 ans ?
Ce milieu devient réservé aux classes sociales favorisées. Et ça, ça me gêne vraiment. Toute cette inflation et cette professionnalisation entraînent un gros business économique. J’aimerais bien que quelqu’un chiffre combien ça coûte de participer à l’UTMB, là, maintenant, en 2025, puisqu’il faut deux ans pour se qualifier. Entre les qualifications. Le nombre de courses qu’il faut faire [pour obtenir les running stones, ndlr]. Les déplacements, les hébergements, le matériel, les prix d’inscription… […] Je pense qu’au bas mot, on est entre 5000 et 10000€. Je ne pense pas me tromper. On est sur une pratique similaire à celle du triathlon où les gens s’achètent des vélos à 10000€ et n’y voient aucun problème. […]
Le trail maintenant, si tu n’as pas d’argent, tu n’as plus accès à ces courses-là. Et ça, ça me gêne. Car pour moi, la course à pied doit être accessible à tout le monde. Mais aujourd’hui, il faut faire du business, vendre des chaussures à 200€. Qui étaient il y a dix ans à 120/130€. L’inflation n’explique pas tout, il ne faut pas exagérer. C’est juste que l’on a changé de clientèle. Ça me choque. La SkyRhune était à 15€ il y a dix ans, elle est passée à 25 puis 35€. Ça n’ira pas plus loin. Ce n’est pas cher parce que l’on offre le buffet à l’arrivée. Je me refuse d’augmenter davantage. […] Sachant que les frais d’inscriptions ne couvrent actuellement que 35% du budget. Il reste 30/35% en subventions, privées essentiellement. Et la dernière partie, c’est la buvette, puisque l’on organise une grosse soirée, et quelques produits dérivés. C’est ce qui nous permet de boucler le budget.
Et outre l’aspect financier ?
Et puis, il y a certains comportements qui exaspèrent. Des gens qui s’inscrivent sur 10 courses à l’avance (parce que les organisateurs ouvrent leurs inscriptions en janvier). Du coup, tu es obligé de t’inscrire à l’avance. Certains coureurs vont se blesser à la 2e ou à la 3e, revendent des dossards, annulent, ne préviennent pas. Ca complique tout. Il y a une espèce de consommation pure et simple des événements. C’est n’importe quoi. Et ce sont les mêmes personnes qui vont râler parce que la barrière horaire est trop dure alors qu’ils ne se sont pas entraînés de tout l’été. C’est insupportable. On a changé de clientèle, et ça me gêne.
Quelle est votre vision quant à l’avenir du trail ?
Très négative. On commence déjà à parler d’olympisme. Même si on en est loin. On ressent tout de même l’emprise fédérale depuis quelques années, avec les championnats de France, les équipes nationales, les championnats du monde… Et petit à petit, on va y aller [vers l’olympisme, ndlr]. Quand je vois le mal que ça a fait au VTT, à l’escalade, au ski-alpinisme… Tous les sports outdoor se font transformer pour être télégénique, c’est nul. Faire du VTT, ce n’est pas tourner en rond sur un circuit. Mais aller prendre son vélo et aller dans la montagne. […]
En trail, on est encore à la phase de guerre entre les boîtes privées. L’UTMB d’un côté, le skyrunning de l’autre. Mais aussi les Golden Trail Series. Et les fédés qui grignotent petit à petit leur terrain. On verra qui va gagner à la fin. C’est un joyeux bordel pour le moment. […] Et je n’ai pas peur de le dire : l’UTMB en est à 80% responsable. […] Je l’ai couru en 2006, c’était très bien. Mais c’était déjà d’un événement d’une grande ampleur. Pourquoi aller créer un deuxième ? Un troisième ? Un quatrième ? Je ne sais même plus combien il y en a… Et maintenant un circuit international. Ils obtiennent des subventions publiques énormes, prennent la main sur de nombreux événements. C’est un truc de malade.
Comment voyez-vous votre avenir sans la SkyRhune ?
On va continuer de se regrouper entre copains. Et passer de bons moments en montagne à s’éclater. En gros, on reste passionnés. C’est juste dommage que l’on n’ait pas réussi à freiner cette évolution, que la locomotive UTMB entraîne tout le monde dans son sillage. Heureusement, il y aura toujours du monde pour organiser des petites courses de village. Mais on est dans une société de réseaux, où il faut être vu. Une société de consommation. Je pense que les gens iront toujours là où il y a la lumière.
Photo d'en-tête : Goolden Trail Series / David Gonthier- Thèmes :
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