« Quels sont les risques que vous vous permettez aujourd’hui ? », demandions-nous au débotté à l’écrivain et grimpeur jeudi dernier, à l’occasion de sa présentation à Val d’Isère de son dernier livre, « Les piliers de la mer » consacré à son vertigineux tour du monde des stacks, éperons rocheux ancrés dans la mer. La question appelait réflexion, nous rétorqua-t-il, précisant que la réponse ne serait jamais plus juste qu’à l’écrit. Soit. Elle nous est parvenue par mail, deux jours plus tard.
« Je suis un timide et un taiseux », laisse tomber Tesson, esquivant l’interview, à l’issue de la rencontres littéraires du Festival du film international Aventure & Découverte de Val d’Isère. Venant de l’écrivain voyageur le plus médiatisé du moment, l’un des plus volubiles aussi face à des audiences fidèles malgré les controverses, la remarque fait sourire, forcément. Mais le conférencier, pourtant jamais à court d’une citation ou d’un bon mot, n’est pas homme à se laisser piéger par les micros. Surtout quand la question porte sur un sujet sensible. Aborder, « à l’arrache » le (vaste) sujet du risque était, en effet, périlleux face à un grimpeur encore marqué par la grave chute subie en 2014. Accident dont il dira au micro de RTL : « J’avais pris 50 ans en 8 mètres ». Mais le sujet lui parle. Surtout quand il peut se donner le temps d’y réfléchir. Et d’y répondre à l’écrit. S’en est suivie une interview express, livrée ici. Eclairante (et sans filtre).
Quels sont les risques que vous vous permettez aujourd’hui ?
Je n’ai jamais pris de vrais risques. Les accidents de ma vie – chutes et blessures – étaient des glissades intempestives sur le bord des gouttières de la vie.
Rien de sérieux.
Le risque de la vie ? C’est la rater et faire le mal. J’essaie de toutes mes forces de ne pas prendre ce risque-là. Je ne sais si j’y parviens.
Réponse, post-mortem.
Et ceux que vous ne souhaitez ou ne pouvez plus prendre ?
Je ne fais plus d’escalade sans cordes mais je n’ai jamais autant grimpé (plus académiquement) grâce à mon ami du Lac [le guide Daniel du Lac] qui m’organise des traversées plus agréables que celles de Charon.
Précisons : des risques physiques, suite à votre accident notamment, mais aussi, plus largement, risques en termes d’écriture ou de prises de positions pouvant susciter des controverses.
Quelle drôle de question. Susciter une controverse serait un risque ?
On risquerait d’offenser des gens ? Mais qu’est-ce qui vous prouve qu’ils soient vertueux, recommandables, charitables et nobles ces offensés-là ?
Dire ce que l’on a sur le coeur serait dangereux ?
Le mot « dérapage » qui s’est invité dans l’infra langage médiatico-digital signale que les dameuses de la pensée prépareraient la piste et qu’il ne faudrait pas mordre sur les bords. Vive le hors-piste.
Vous entretenez une relation de longue date avec Daniel du Lac, guide de haute-montagne. Comment la décririez-vous ? Comment a-t-elle évolué au fil de votre tour du monde des stacks ?
Dans un livre intitulé « Blanc » (un récit) j’ai dressé de lui un portrait. Je ne le renie pas.
Ayant une grande lucidité sur moi, j’ai beaucoup d’admiration pour les autres.
Aux stacks, sa compétence mécanique et son intelligence du réel se sont confirmées.
En outre, du Lac est joyeux. Vertu suprême.
Après avoir beaucoup arpenté les cimes, les forêts et les chemins, vous semblez particulièrement attiré par les océans et les mers (cf vos deux derniers livres « Avec les fées » et « Les piliers de la mer », sans parler de « Un été avec Homère »). Votre prochain périple sera-t-il aussi maritime ?
Oui, mais pour l’instant, par superstition, je n’en parle pas. C’est un rêve, un jour ce sera un souvenir, entre les deux, j’en ferai un voyage.
« Les piliers de la mer », n’échappe pas à une réflexion sur les enjeux écologiques et l’urgence climatique, avez-vous envie parfois de fuir à nouveau le monde ? Sinon, qu’est-ce qui vous retient de le faire ?
N’étant pas connecté au réseau et n’ayant pas de poste de télévision, je n’emploie pas le mot urgence climatique.
L’homme s’est répandu sacrément. Dans dix ans, nous serons huit milliards sur le vaisseau. La Terre s’en relèvera. Nous, je ne le sais. Dans l’ordre cosmique rien n’est grave. Le niveau de l’eau est monté de dizaines de mètres dans les cycles. Ce qui serre le coeur c’est la mort des bêtes, le silence des marais vidés, les cuirassements de latérite, l’insulte à Virgile, l’indifférence à l’art, l’enlaidissement de la langue, le sarcasme pour la grandeur humaine, le primat de la tech, la fin de la douceur, l’arraisonnement des paysages, l’abandon des livres. Quelle trajectoire effrayante ! Rien ne changera. Nous-même, vous, moi, que faisons-nous vraiment, réellement ? Rien. Quelle réforme ? Aucune.
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- Sylvain Tesson