A quelques jours du deuxième tour des élections législatives dont l’issue sera cruciale pour l’avenir de la France et de la démocratie, la question de l’engagement des sportifs de haut niveau, véritables porte-voix aujourd’hui de notre société, et plus largement des représentants du monde du sport, est plus que jamais d’actualité. Face à la montée de l’extrême-droite, leur voix est longtemps restée absente. Au mieux, inaudible. Jusqu’à la publication, mi-juin, d’une tribune initiée par un collectif de sportifs et d’acteurs du sports qui très vite a rassemblé plus de 200 signatures (quelques 439 à ce jour). Dont de grands noms de l’outdoor, tels que François D’Haene, Victor De Le Rue, Xavier Thevenard ou François Gabart. Son but ? Appeler à aller voter et à se mobiliser lors des législatives du 30 juin et du 7 juillet. Un appel plus que jamais d’actualité, nous explique Clothilde Sauvages, ex sportive de haut niveau, une de ses instigatrices, également cofondatrice de « Vent debout », un podcast indépendant qui cherche à remettre le sport a sa place politique en donnant la parole à des athlètes engagés et à des chercheurs concernés.
Parmi les signataires de la tribune que vous avez rendue publique mi-juin on voit assez peu de figures de l’outdoor. Est-ce que cela vous étonne ?
Il y en a, mais elles sont juste perdues dans la masse. Il faut rappeler que cette tribune est née d’un mouvement collectif. J’en suis la co-autrice avec le navigateur Arthur le Vaillant. A son origine, un groupe WhatsApp informel qui rassemble des sportifs du monde de l’outdoor. Et notamment beaucoup de trailers et de skieurs. On s’est réunis pendant deux jours au mois d’avril avec plusieurs autres organisations pour augmenter la capacité des sportifs à prendre la parole. Par la suite, on a décidé de créer ce groupe WhatsApp pour nous aider à échanger des informations et nous donner du courage pour prendre position. Arthur et moi on a émis l’envie d’écrire une tribune. Dans ses fondements, il y a donc bien des représentants de l’outdoor, il ne faut pas l’oublier. Après, les médias traditionnels non pas toujours relayé leurs noms car ils sont plus habitués à en relayer d’autres (Yannick Noah, Marie José Perec, Brahim Asloum, Stéphane Diagana, Yannick Nyanga, Yohann Diniz, Arnaud Assoumani, Lenaïg Corson, Sarah Ourahmoune, Ysaora Thibus, Astrid Guyard ou Vikash Dorasso, ndlr)
Quel accueil a reçu votre appel ?
Certains n’ont pas voulu signer par devoir de réserve. D’autres souhaitaient que l’on inclut les extrêmes, ce que nous on s’est refusé de faire parce que le Conseil d’État avait tranché sur ce point, et on ne voulait pas entrer dans la rhétorique privilégiée par le gouvernement en place d’appeler la gauche les extrêmes. Nous, notre priorité c’est d’appeler à voter et de voter contre l’extrême-droite. Mais à part ça, on a reçu beaucoup de messages enthousiastes. Des messages de soutien de gens qui était ravis que la dynamique soit lancée et qui étaient fiers de mettre leur nom en bas de cet appel, d’être dans le mouvement. Donc ça a été plutôt très positif.
Est-ce que ça s’est accéléré au niveau des signatures et des encouragements après les résultats du premier tour ?
Non, ça s’est accéléré à partir du moment où ça a été publié dans le journal L’Equipe le dimanche 16 juin. Ca a créé alors une sorte de momentum. Thuram avait fait une première sortie dans les médias et Mbappé avait suivi. La tribune est sortie le jour même. On a commencé à voir des médias qui faisaient un appel, notamment Mediapart, en disant : « Mais où en est le monde du sport ? Pourquoi un tel silence ? » Notre tribune est alors apparue comme un appel pour dire : « On est là. On est présent, on n’est pas silencieux. » Du coup beaucoup de gens ont souhaité associer leur signature.
Depuis, il y a eu d’autres tribunes. Dont une lancée par un mouvement sportif qui a recueilli plus de 7000 signatures, elle est moins focalisée sur les sportifs de haut niveau, plus sur le mouvement sportif en général. Et aussi une autre tribune publiée lundi dans le journal Le Monde avec des personnalités du sport et du monde politique qui intègre aussi les sujets du sport dans leur programme politique. Ca, c’est un élément crucial pour nous, car aujourd’hui dans le programme du Rassemblement national, le sport n’existe pas. La première tribune – en fait une pétition appelant la jeunesse et le monde du sport à se mobiliser face aux dangers des extrêmes – a beaucoup tourné sur les réseaux sociaux et notamment sur LinkedIn. Notre position à nous, c’est d’appeler à un vote, sans que ça fasse le jeu des partis politiques. Sans rentrer dans un contexte partisan.
Sur le site de votre podcast « Vent debout », vous dites que le sport est politique. En quoi l’est-il selon vous ?
C’est vraiment ce que nous nous martelons depuis des années. Que le sport nous concerne tous et toutes, qu’il est au cœur de la cité, qu’il influence nos calendriers collectifs que ce soit par un Euro, comme on le voit aujourd’hui, ou par nos enfants que nous amenons à leur entraînement de leurs sports respectifs. Le sport dans son fondement participe à nos interactions sociales, quelles qu’elles soient. Il évolue en fonction des gouvernements politiques, en fonction des systèmes économiques. Le sport a toujours été instrumentalisé d’un point de vue politique. On prétend à un apolitisme dans les stades pour les sportifs. Mais il suffit de regarder l’histoire des Jeux olympiques pour s’assurer du contraire. Donc, pour nous c’était vraiment important de revendiquer le sport comme un objet politique et aussi de reprendre le pouvoir sur son développement. En fait, on est des passionnés de sport, mais on ne veut pas pratiquer à n’importe quel prix. Et pour influencer, pour questionner, on a besoin de rendre l’objet sportif politique, parce que si c’est neutre, si ça ne nous concerne pas, on n’en fait pas un objet de mobilisation, de développement et de contestation parfois.
Au-delà du vote, dans quelle mesure pensez-vous que le sportif de haut niveau ou le simple sportif peuvent avoir un impact ?
Déjà je pense que les sportifs sont aujourd’hui des figures médiatiques qui ont une influence, évolution que l’on doit en grande partie aux réseaux sociaux et aux plates-formes. Récemment il y a une étude qui a été faite sur les personnalités dont on se souvient dans l’histoire. Souvent, ce sont des sportifs. Bien évidemment, on parle d’une minorité, mais aujourd’hui cette tribune a une portée symbolique. Psychologiquement aussi, ça fait du bien aux personnes qui se mobilisent de se dire : « On n’est pas seuls, il y a aussi ces personnes qui influencent la société qui se mobilisent et qui utilisent la voix qu’elles ont et que d’autres n’ont pas ». C’est un élément très important. D’autant que le sport reste l’un des derniers éléments qui permettent de mobiliser, de rassembler très largement et de casser les frontières sociales de notre société. Les sportifs incarnent ça aussi, cette diversité, cette capacité à « faire collectif » dans leurs différentes disciplines.
Quelles sont les limites de l’intervention des sportifs d’après vous ?
La limite, bien souvent, c’est connu, c’est qu’ils ne sont pas des experts. Ils le disent, ils assument. C’est peut-être l’un des points qui peut leur être reproché. Un autre reproche qu’ils peuvent entendre, c’est « vous ne nous connaissez pas, vous ne pouvez pas connaître ma souffrance au quotidien, c’est facile en tant que milliardaires de nous donner des leçons ». Alors que la plupart des sportifs de haut niveau, et on le voit aujourd’hui dans le cadre des Jeux olympiques, vivent en-dessous du seuil de la pauvreté. Mais il y a encore des mythes qui sont associés à ces figures sportives. Qui sont à doute à déconstruire, parce que sinon leur parole est discréditée.
En terme de limites, nous avons vu que cela demande beaucoup de courage de prendre position politiquement sur les réseaux sociaux. C’est se confronter potentiellement à un retour de bâton. On l’a vu avec le cas de cette jeune escrimeuse qui a été victime d’un torrent de haine sur les réseaux sociaux. Or, quand on n’y est pas préparé, et notamment quand on est une femme, parce que les femmes sont souvent des cibles sur les réseaux sociaux, c’est extrêmement violent. Et donc une des limites, c’est d’avoir du courage, d’être armé et d’être entouré. Ce que tout le monde n’est pas. On ne peut pas demander à tous les sportifs demain de porter une parole politique. Tout le monde n’est pas armé de la même manière pour le faire.
On parle ici des athlètes de haut niveau mais pas des marques, pensez-vous qu’elles devraient également se positionner aujourd’hui ?
J’aimerais les entendre, parce que c’est une remise en question de la démocratie, de notre liberté de nos principes d’égalité, à laquelle on assiste aujourd’hui. On n’est pas dans un contexte électoral habituel. De la même façon que le sport est politique, les entreprises sont des corps sociaux, des corps intermédiaires qui sont politiques. Ca serait donc intéressant de les entendre. C’est vrai qu’on reproche aujourd’hui au sport d’être silencieux, or seules quelques marques ont osé prendre la parole et pas spécialement dans le milieu de l’outdoor. Picture par exemple. Mais on pourrait faire le même reproche aux fédérations. (…) J’aurais aimé voir un mouvement des fédérations qui collectivement dénoncerait cette montée de l’extrême-droite. Car au même titre qu’on interpelle les sportifs en leur disant « vous allez bien faire les malins si c’est Bardela qui vous remet votre médaille aux Jeux olympiques ». On pourrait dire la même chose aux marques qui en sont les sponsors officiels ».
Dans les conditions actuelles, pensez-vous que l’on pourrait voir aux Jeux des athlètes faire des revendications au moment de recevoir une médaille ?
Je vous avoue que je me pose la même question. Dans l’histoire des Jeux, il y a eu des moments comme ça, c’est d’ailleurs ce qui a marqué les esprits. Et je pense que si cela se produit, il y aura un retour sévère, car les athlètes sont encore soumis à une loi du CIO qui interdit d’avoir une prise de position politique, même si ce système se craquelle de plus en plus. Mais je serais étonné qu’il ne se passe rien. En tout cas, moi j’espère qu’il y en aura, car je pense que ce sont aussi ces moments-là qui permettent de faire avancer les choses et de faire évoluer les institutions qui sont les nôtres.
Est-ce que vous avez entendu parler d’athlètes qui auraient pris la parole et qui auraient dû en payer le prix, avec des conséquences sur leur carrière notamment ?
Il faut savoir que la plupart des sportifs que nous avons interviewés dans le cadre du podcast « Vent debout » ont eu des problèmes, ils ont perdu des sponsors et aussi des followers. La sportive interviewée dans l’épisode sur le sexisme par exemple dit que ça lui a coûté sa carrière sportive, mais elle ne regrette rien, ça a été une grande fierté pour elle. Je pense qu’aujourd’hui on a besoin de personne comme elle qui osent, qui ont ce courage. Prendre la parole pour ces athlètes, ça a un coût, mais c’est légitime. Donc ce n’est pas ça qui les arrête. Notre rôle à nous, via ce groupe informel, ce groupe WhatsApp, c’est d’être solidaires pour pouvoir prendre la parole en étant entouré, car en France il n’y a pas cette culture, contrairement aux États-Unis par exemple, on l’a a vu dans le mouvement « #metoo » ou « Black Lives Matter ». Historiquement, les sportifs français n’ont jamais été formés à la parole politique. Donc notre rôle c’est de voir comment on peut arriver à les aider à porter ce discours. Parce que si ça ne vient pas des sportifs, toutes ces revendications ne vont avancer que très lentement. On voit bien aujourd’hui que ce sont les sportifs qui se mobilisent pour faire évoluer les calendriers des compétitions, sur des questions de sexisme ou des thèmes environnementaux. Dans les institutions sportives, ça ne bouge pas. En fait, en France on cherche encore à réduire le sport à sa dimension de divertissement !
Qu’est-ce que « Vent debout », tout jeune podcast à la croisée entre sport, activisme et recherche ?
« Connaissez-vous les effets du mouvement #metoo dans le sport ? Les conséquences du dérèglement climatique sur nos activités sportives ? Les liens qui existent entre le sport et le capitalisme ? Pas vraiment ? Hé ben nous non plus, c’est pourquoi nous avons créé Vent Debout », écrivent ses deux créateurs.
« Vent Debout », c’est Clothilde Sauvages et Sylvain Paley, deux sportifs ayant pratiqué la compétition sur les circuits nationaux et internationaux. Tumbling, wakeboard et ski alpin. Dans le civil, ils ont d’autres casquettes : Clothilde est entrepreneuse indépendante et alumni du collectif Ouishare. Elle passe une grande partie de son temps à monter des projets de société et écrit pour la revue Climax. Sylvain est réalisateur de production audiovisuelle et co-fondateur de Société Nouvelle, un collectif d’indépendant au service de l’intérêt général. « Ensemble, nous nous sommes réveillés un matin en se disant qu’il serait intéressant que l’on tente de réunir ces deux facettes de nos vies. », disent-ils. « Car dans le ‘ tout est politique’ que nous fréquentons au quotidien, le sport fait toujours exception. Pas assez sérieux ou pas assez intello ? On invite rarement les athlètes pour leur demander leur avis sur la réforme des retraites, les violences policières ou le dérèglement climatique. Et pourtant ils et elles ont des choses à dire. »
Lancé en octobre dernier, « Vent debout » c’est aujourd’hui une première saison autour de huit thématiques : l’empreinte écologique du sport, la performance, le sexisme, le renoncement, les sponsors, le tourisme sportif, la mixité sociale et le militantisme. Huit sujets reliés à des pratiques sportives en pleine nature. » Car il nous importe de mettre le nez dehors, au contact des environnements fragiles que l’on souhaite préserver et que l’on définit encore trop souvent à tort, comme nos terrains de jeux », expliquent-ils.