Elles sont cinq. Cinq « cholitas », indiennes aymara, cantonnées jusque-là à la cuisine des expéditions andines. Une époque révolue depuis que, piolet en main, elles ont pris le chemin des cimes. Comme les hommes. Mais en jupe, toujours. Dernier sommet en date : l’Aconcagua (6963 m), le plus haut sommet d’Amérique latine. Une aventure suivie par notre photographe Todd Antony et relatée dans « Cholitas », un documentaire de 53 minutes réalisé par Pablo Iraburu et Jaime Murciego sur ces incroyables alpinistes boliviennes.
En janvier 2019, Dora Magueño Machaca, Cecilia Llusco Alaña, Lidia Huayllas Estrada, Elena Quispe Tincuta et Ana Lia Gonzales ont atteint le sommet de l’Aconcagua (6963 m), le plus haut sommet d’Amérique Latine. Elles ont mis sept jours pour boucler leur ascension et en redescendre sans encombre. Jusque-là rien d’extraordinaire, si ce n’est que la cordée était exclusivement composée de femmes aymaras. Des indiennes de Bolivie qui, jusqu’à ces dernières années, travaillaient comme cuisinières et porteuses pour des expéditions venues du monde entier. On les retrouvait donc dans les camps de base des plus hauts sommets des Andes. Mais jamais au sommet. Jusqu’au jour où elles ont décidé de s’équiper de crampons et d’aller voir ce qui fascinait tant les alpinistes venus de si loin.
Mais sans pour autant renoncer à leur tradition. Par fierté, comme par pragmatisme, leurs ressources étant très modestes. Pour elles, pas de tenues d’escalade mais des « polleras », ces superpositions d’amples jupes tournoyantes qui caractérisent les « cholitas », diminutif du mot péjoratif espagnol « chola », ou métisse. Un terme utilisé aux quatre coins de l’Amérique latine pour désigner ces humbles femmes indigènes, mais que les « Cholitas escaladoras », les grimpeuses indigènes, entendent bien revendiquer, avec fierté. Pour transporter leur équipement, point non plus de sacs à dos, mais tout simplement leurs châles brodés traditionnels. Seule concession à leur costume, un casque pour remplacer, le temps de l’expédition, le chapeau melon fièrement enfoncé sur leurs cheveux tressés, dans la vie de tous les jours.
Seul concession, le casque remplace le chapeau melon
Il y a dix ans encore, les femmes indigènes aymaras de Bolivie, socialement ostracisées et systématiquement marginalisées, se voyaient interdire l’utilisation des transports publics et l’accès à certains lieux. Il aura fallu l’élection à la présidence d’Evo Morales, en 2005, pour que leur combat contre ces injustices, amorcé au cours des années précédentes, soit entendu.
Au point qu’en 2014 onze « cholitas », ex porteuses et cuisinières, agées de 24 à 52 ans, se sont lancées dans l’inimaginable : gravir elles-mêmes les sommets. En costume traditionnel bien sûr. Elles comptent aujourd’hui à leur actif sept sommets majeurs : Huayna Potosí, Illimani, Acotango, Pomarape, Parinacota, Sajama et, tout dernièrement, après quatre ans de préparation, l’Aconcagua, leur objectif principal depuis le premier jour où, l’une d’entre elles demandait à son mari, guide de montagne, « ce que ça faisait d’escalader les plus hauts sommets ». Peu loquace, l’homme lui aurait suggéré « d’essayer elle-même pour voir ». C’est chose faite.
Aujourd’hui, les Cholitas essaient de s’entraîner toutes les deux semaines pendant la saison pour garder la forme et améliorer leur technique avec les moyens du bord. Faute de ressources, elles ne possèdent pas leur matériel et le louent. Quant au transport sur les sites, elles le financent elles mêmes, en mettant en commun leurs maigres ressources. Leur prochain objectif ? l’Everest. Car désormais elles se sentent capables de tout.
Pour en savoir plus sur le photographe, Todd Antony
Né en Nouvelle-Zélande, basé à Londres et travaillant depuis 17 ans dans le monde entier, Todd Antony est un photographe multiprimé (AOP Awards, Communication Arts Photo Annual, Creative Review Photo Awards, American Photography Awards, Lurzerʼs Archive ‘200 Best Advertising Photographers Worldwideʼ). S’il est connu pour ses commandes publicitaires, notamment pour Samsung, Sony, Shell, Audi ou la BBC, il se consacre également à des projets personnels. Au Japon il a ainsi suivi les conducteurs de camions Dekotora. En Laponie, les courses de rennes en Laponie, et plus récemment, en Bolivie, les « Cholitas escaladoras ».
Article initialement publié le 11 mai 2020, mis à jour le 10 décembre 2020
Photo d'en-tête : Todd Antony- Thèmes :
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