Oui, des déchets de canne à sucre impropres à la consommation, voire même de l’huile de graine de ricin ! Dans l’industrie, on appelle ça du « bio sourcing ». Une des solutions pour sortir de la dépendance au pétrole à laquelle travaille activement Picture Organic Clothing, marque d’outdoor parmi les plus avancées dans le domaine du développement durable. Comment ça marche, jusqu’où peut-on aller sur cette piste ? Explications.
Comment concilier développement, innovations et développement durable ? Un casse-tête sur lequel planchent forcément de plus en plus de marques, à l’heure où la planète est bouleversée par une crise climatique et sanitaire sans précédent. Précurseur en la matière, Picture Organic Clothing n’écarte aucune option depuis sa création par trois jeunes Français, passionnés de snow et de skate. Pour mémoire, en une dizaine d’années d’existence seulement, on leur doit toute une série de lancements. Dès 2009 : la marque installée à Clermont-Ferrand sort sa première ligne Outerwear en polyester issu de bouteilles recyclées. Dans les années suivantes, elle enchaîne avec des boardshorts en polyester recyclé et des doublures de vestes en tissus récupérés. Sans parler de son « Rethink Bag », ou comment donner plusieurs vies à votre sac à dos, décomposable en une trousse de toilette, deux trousses simples, et une housse d’ordinateur. 2015 marque une étape clef, avec l’arrivée de son casque de ski/snowboard 100% constitué de matières recyclées et bio-sourcées. Suivi, en 2017 par des combinaisons de surf sans néoprène -matière difficilement recyclable- composées à 85% d’un caoutchouc naturel issue de l’hévéa, une plante malaisienne.
Déjà 30% de la collection outerwear FW20
Dernière innovation en date, arrivée en magasin cet automne, la veste Welcome. Fabriquée avec un tissu partiellement bio-sourcé à base de canne à sucre, elle a été distinguée par un ISPO Award. Le résultat d’année de recherches mais surtout le grand chantier de la marque pour les prochaines années, s’inscrivant dans le projet de sortie des énergies fossiles tout au long des chaînes de production. 30% de la collection outerwear FW20 se veut déjà entièrement bio-sourcée. Un début seulement. Picture vise 60% sur la saison suivante.
« Saviez-vous que la manière conventionnelle de fabriquer une veste de ski consiste avant tout à extraire du pétrole ? », explique Florian Palluel, en charge de la transparence et de la durabilité chez Picture. « En effet, un tissu technique en polyester conventionnel (PET) est composé de mono-éthylène glycol (30%) et d’acide téréphtalique (70%), deux composants pétrochimiques. Heureusement, d’autres solutions existent. Bien sûr, nous utilisons du polyester recyclé issu de bouteilles plastiques depuis la création de Picture, en 2008. Mais nous sommes toujours à la recherche de nouvelles solutions pour sortir de près ou de loin de la dépendance au pétrole. Une de ces solutions s’appelle le bio-sourcing. »
Canne à sucre, maïs ou betterave
Concrètement de quoi s’agit-il ? « Dans le cas d’une veste de ski, il s’agit de créer un tissu textile partiellement issu d’une plante : la canne à sucre ou l’huile de la graine de ricin par exemple. De manière plus générale, la plupart des végétaux contenant du saccharose (betterave, canne à sucre…) ou de l’amidon (blé, maïs…) peuvent également être transformés en Bio-Mono Ethylène de Glycol (Bio-MEG) pour remplacer la formule conventionnelle du MEG issue du pétrole », détaille Florian Palluel.
Concernant la veste Welcome et pour schématiser, voici en quoi consiste le bio-sourcing :
« Si l’on prend l’exemple de la canne à sucre – ou plus précisément du sucre extrait de la canne à sucre, après raffinage du sucre (fonte, décoloration puis cristallisation), on obtient une mixture appelée mélasse. Après fermentation, la mélasse est essentiellement destinée à produire de l’alcool éthylique (ou éthanol). Une des biotechnologies les plus anciennes employées par l’homme. Pour produire des boissons alcoolisées, dès la préhistoire, ou, plus récemment, du carburant, sous la forme d’éthanol. Dans le cas du textile, on utilise un processus de fermentation avec des bactéries spécifiques qui vont transformer les sucres de la matière première pour former par réaction biochimique du bio-éthanol qui sera ensuite transformé en bio-mono-éthylène de glycol (BIO-MEG) par une étape ultérieure de synthèse. On retrouve donc notre MEG de base, mais sur une base non-pétrolée ! Au final un procédé ancestral, adapté au textile. »
Rien de révolutionnaire, concède Florian Palluel qui rappelle que « dans les années 1950, en France, nous étions déjà capables de fabriquer du tissu polyamide à base d’huile de ricin. Ensuite, l’industrie pétrochimique en a décidé autrement avec la mise sur le marché de textile technique à bas coût. » Ce qui, depuis plus de 70 ans, signifie le jackpot pour les pétroliers, et la catastrophe pour l’environnement.
Les plantes, des alliées contre le changement climatique
« On comprend donc que la base de cette filière consiste à utiliser une plante », poursuit Florian Palluel. « Or, qui dit plante, dit photosynthèse. La canne à sucre est une plante de type C4 capturant beaucoup de CO2 pendant sa période de croissance (60 tonnes par hectare par an). Lors de la récolte de la canne, une partie du CO2 est libéré (18 tonnes restent dans les sols), puis les émissions sont réabsorbées lors du cycle de croissance suivant de la plante. Avec le maïs, le sorgho et le mil, les plantes C4 représentent environ 30% du CO2 capturé par les puits de carbone naturels terrestres, selon The Royal Society, l’équivalent anglais de l’Académie des Sciences. » En d’autres termes, conclut le responsable du développement durable de la marque, « ce sont de vrais alliés dans la lutte contre le changement climatique. »
Reste un hic, ou plutôt deux, reconnait Picture. Le vrai piège concerne la déforestation. Si cette technologie se répand, on peut légitimement craindre que la demande augmentant, certaines régions du monde développent, pour les besoins de l’industrie textile, une culture intensive de la canne à sucre, de la betterave ou du maïs, pour ne citer que ces végétaux. Une politique agricole souvent polluante, épuisant de surcroit les terres et les réserves en eau. En réponse, explique Florian Palluel « en aucun cas nous n’exploitons une filière de canne à sucre nouvelle pour un besoin textile. Nous nous raccrochons uniquement à une culture existante, pour laquelle des déchets de sucre utilisables sont disponibles. » La deuxième interrogation porte sur l’origine de ces déchets riches en saccharose. Picture achète actuellement en Inde ses résidus de canne à sucre, impropres à la consommation. Mais le tracking précis de ces ressources reste très difficile à obtenir, à l’heure où aucune certification n’existe encore. Picture suit donc activement les avancées sur ce point.
Objectif ultime : l’économie circulaire
A ce stade le bio-sourcing s’impose donc comme l’une des pistes les plus intéressantes pour sortir de la dépendance au pétrole dans la phase de création du polyester et limiter les émissions de CO2. Mais la marque, qui vise à contribuer à l’atteinte de la neutralité carbone mondiale (l’objectif des accords de Paris), a pleinement conscience qu’il s’agit là d’une étape de transition vers l’économie circulaire. « Une veste de ski doit redevenir une veste de ski », explique Florian Palluel. « Nous sommes en contact avec deux fournisseurs possédant des technologies de recyclage de vêtements polyester usagés, afin d’en refaire des nouveaux. Nous avons bon espoir de créer une veste de ski/snow de cette manière ».
En parallèle, d’autres chantiers majeurs sont donc menés. Dans l’idéal, la veste de ski la plus écologique, serait celle qui aurait un process bas carbone, c’est à dire une chaîne d’approvisionnement (filature, tissage, teinture, etc) utilisant une électricité qui n’émettrait quasiment pas de CO2. Depuis la production des matières premières, jusqu’à ce qu’elle arrive dans les mains du consommateur. Pour Picture, ça veut dire accompagner la transition énergétique de ses fournisseurs, mais aussi possiblement relocaliser certaines de ses activités dans des pays bas carbone, comme le Vietnam, le Portugal, certains pays de l’Europe de l’est ou la France.
Enfin, réparer, c’est augmenter la durabilité du produit, et diminuer son impact. Concrètement, complète Florian Palluel, pour Picture ça veut dire le lancement de la garantie à vie sur les produits techniques, et donc la possibilité de faire réparer gratuitement votre veste ou votre pantalon de ski. A terme, cette garantie devrait s’étendre à d’autres produits, comme les sacs à dos par exemple. Plus audacieux encore, la vente d’équipements d’occasion, acheter un produit de seconde main plutôt qu’un produit neuf étant une vraie solution pour réduire son impact carbone individuel.
On se plait, alors, à rêver que la marque offre une ligne de produits intemporels. Ces fameux basics, increvables et incontournables, qu’on garde, répare et qu’on ne renouvelle, la mort dans l’âme, qu’une fois usé jusqu’à la corde…
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Photo d'en-tête : Picture Organic Clothing