Des scientifiques ont élucidé pourquoi il est plus facile de regagner en condition physique que de partir de zéro. Au coeur de leurs études, les étonnantes capacités de la mémoire musculaire. Une bonne nouvelle pour tous ceux qui aujourd’hui peuvent enfin reprendre le chemin d’un entrainement un peu plus intensif.
Pour le biologiste américain Lawrence Schwartz, dont les travaux ont été publiés dans un article de la revue scientifique Frontières en Philologie, tout commence par l’observation d’une chenille. Quand la Manduca sexta, plus connue sous le nom de sphinx du tabac, arrive au bout de ses 18 jours de métamorphose, elle emploie ses puissants muscles abdominaux pour s’extraire de son exosquelette. Dans sa nouvelle vie de papillon, nul besoin de ses abdominaux surdimensionnés : ils s’amenuisent donc. En trois jours seulement, les muscles du lépidoptère diminuent de 40%. La particularité de cette baisse soudaine : quand les cellules musculaires meurent, les noyaux cellulaires qu’elles contenaient, eux, subsistent bel et bien, a pu observer le scientifique.
Le muscle n’oublie jamais
La métamorphose du sphinx du tabac nous apprend quelque chose d’essentiel sur un phénomène propre à l’humain dans son système mémoriel musculaire, explique le chercheur. Lorsque nous atteignons un certain niveau d’entraînement, puis que nous le perdons, il nous sera plus facile de retrouver cette condition physique dans le futur, en comparaison avec l’effort fourni pour l’acquérir initialement. C’est un fait communément admis dans les exercices de force ou d’endurance. Plusieurs facteurs qui y contribuent, psychologiques, pratiques ou physiologiques. Mais les recherches récentes ont mis en évidence que le noyau cellulaire du muscle jouait un rôle déterminant dans ce processus.
Les cellules musculaires ont la particularité de contenir plus d’un noyau : on peut en trouver plus d’une centaine dans une seule cellule. Une simple fibre musculaire provenant du muscle sartorius (intérieur de la cuisse) peut faire jusqu’à 58 centimètres de longueur, donc pour synthétiser assez de protéines musculaires afin de conserver la fibre intacte, il faut plus d’un noyau. Une théorie connue sous le nom de “myonuclear domain hypothesis” (littéralement “hypothèse du domaine myonucléaire”) présuppose que chaque noyau peut seulement contenir un volume de cellules données, et que lorsque les cellules musculaires grossissent – en fonction du volume de sport pratiqué – nos cellules musculaires produisent proportionnellement de nouveaux noyaux.
Les noyaux garants de l’empreinte mémorielle
La grande question qui subsiste est de savoir ce qui se produit lorsqu’on abandonne toute activité physique. Dans un premier temps, les chercheurs ont supposé que le nombre de noyaux décroissait à mesure de la perte de cellule musculaire; la théorie selon laquelle les noyaux succombaient à la destruction programmée des cellules lorsque les muscles s’atrophiaient, leur semblait valide.
Or une série d’expérimentations avec des souris menée dans les années 2000 par le physiologiste norvégien Kristian Gundersen a contredit cette hypothèse : quand les souris arrêtaient tout exercice, et alors que leur capacité musculaire diminuait d’au moins 50%, on observait que le nombre de noyaux restait le même.
De cette observation, on a pu tirer l’hypothèse qu’un mécanisme de la mémoire musculaire se mettait en place : si l’on se met en condition sportive et que, suite à un arrêt de la pratique, on la perd, les noyaux persistants autour des muscles seront toujours là pour faciliter une nouvelle croissance lors de la reprise de l’entraînement.
Dans l’une des expérimentations du physiologiste norvégien, les souris qui s’étaient précédemment entraînées – elles possédaient donc plus de noyaux en sommeil – avaient regagné 36% de masse musculaire lors d’un programme d’exercice, alors que les autres suivant le même programme pour la première fois n’affichaient que 6% de gain de masse musculaire.
Un des enjeux clé, dans la compréhension des mécanismes musculaires lorsque l’on perd en condition physique, est qu’un nombre varié de cellules avec des propriétés différentes se mélangent aux fibres musculaires sur chaque muscle. Cela explique pourquoi les scientifiques ont initialement pensé que les noyaux disparaissaient au fur et à mesure du rétrécissement des muscles : leurs tests montraient des preuves indirectes de noyaux disparus, qui se sont avérés provenir d’autres types de cellules. Les données de l’étude sur le papillon du biologiste Lawrence Schwartz ont aidé à éclaircir cette confusion grâce à la spécificité des muscles de la larve, presque exclusivement composés de fibres musculaires.
Les mitochondries : le cœur du réacteur
Un autre groupe de chercheurs américains, travaillant à la Temple University, s’est également penché sur la question en 20118. Ils ont obtenu quelques résultats intrigants en observant une colonie de rats. Alors que la majorité des recherches sur la mémoire musculaire se concentrent sur les mesures musculaires, l’équipe de la Temple University s’est appliquée à observer les mitochondries, ces “centrales énergétiques” qui produisent l’énergie pour soutenir un effort, au cœur des muscles.
Le signe d’une bonne adaptabilité à un effort d’endurance est la prolifération soudaine du nombre de mitochondries dans les cellules. Lorsque l’on arrête un exercice, le taux de mitochondries diminue d’un coup. Mais les noyaux produits en plus, qui restent bien présents, contiennent l’information génétique qui contrôle la formation de nouvelles mitochondries. En conclusion, les chercheurs de Temple University ont démontré que lorsque l’on reprend un entraînement, nos cellules sont déjà prédisposées à accélérer la production de mitochondries plus rapidement, dès lors qu’on a été en forme avant.
Le dopage en ligne de mire
L’implication fréquemment débattue que souligne cette étude, est que les athlètes pratiquant le dopage gagnent un avantage qui dure bien plus longtemps que les quelques années de suspension qui les sanctionnent dans le sport de haut niveau. Un avantage qui perdure même très certainement au cours de toute leur carrière.
Autre point intéressant, nettement plus positif celui-là, souligne le biologiste Lawrence Schwartz, c’est que “pendant l’adolescence, la croissance musculaire est favorisée par les hormones, la nutrition et un réservoir vigoureux de cellules souches, ce qui en fait la période idéale pour se créer un capital de noyaux de cellules musculaires qui pourraient être utiles à un âge plus avancé.” De quoi inciter les parents à pousser enfants et ados à pratiquer des activités sportives. Pas toujours facile, on le sait, mais ils vous remercieront plus tard !
Article initialement publié le 5 avril 2019, mis à jour le 11 mai 2020.
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